Chapitre 5 : Révélations et Résolutions
Les premiers rayons du jour pénétrèrent à travers les vitraux de l’antre royal, projetant des reflets mouvants sur les murs de pierre. Baignée de clarté, la salle exhalait une sérénité imposante. Un parfum de pain chaud, mêlé à celui d’abricot mûr, l’enrobait, ajoutant une touche réconfortante. Autour de la table monumentale, les sièges attendaient patiemment l’arrivée des Seigneurs. Précis et furtifs, les serviteurs accomplissaient leurs tâches avec une synchronisation parfaite, plaçant les coupes d’argent et les plateaux garnis de mets fins avec une attention méticuleuse.
À 6 h 32, les grandes portes s’élargirent avec un léger grincement, annonçant l’entrée de la Créatrice et du Sage. Kelly, enveloppée d’une robe de soie rosée, avançait avec assurance, ses pieds nus glissant sur le marbre glacé. Derrière elle, Darrius, encore marqué par la torpeur du sommeil, la suivait, son allure un peu désordonnée trahissant un réveil précipité. Sans un mot, il déposa un baiser sur la tempe de sa dulcinée et susurra à son oreille :
— Ton éclat rivalise avec le jour naissant.
Un sourire discret effleura Kelly. Elle prit la tasse de café qu’il lui offrait, frôlant délibérément l’alliance qui les unissait. Toutefois, derrière cette apparente quiétude, ils restaient tourmentés. Les souvenirs de la nuit passée revenaient avec insistance. Les plans de l’aîné, notamment son projet de rejoindre son fils sur Terre 3, risquaient d’être compromis, le privant de précieuses années. Les battants s’ouvrirent à nouveau, laissant entrer Kieran.
Son allure décontractée dissimulait une tension sous-jacente. Il déposa un baiser sur le front de sa mère avant de serrer la poigne de son père, puis occupa sa place.
— Ma femme ne sera pas des nôtres ce matin, annonça-t-il. Elle a jugé nécessaire de se rendre auprès du peuple pour s’assurer que le sang de Darrius a bien accompli son œuvre.
Kelly hocha la tête, une pointe de fierté la traversant. La dévotion de Lyana était inébranlable, une qualité rare et remarquable. Kayna et Lya firent irruption peu après, habillées de robes assorties qui virevoltaient alors qu’elles rejoignaient le groupe en riant. La petite princesse se précipita vers Darrius, qui l’accueillit avec une tendresse infinie, la soulevant dans ses bras avant de murmurer :
— Ma pierre précieuse.
Le moment de joie fut interrompu par l’émergence de Warren, vêtu d’un t-shirt blanc et d’un short noir, de chaussettes et de claquettes. Il salua son monde avec affection, sauf Kieran, qu’il évita délibérément. Kelly, percevant le changement d’ambiance, affirma :
— Il ne manque plus que notre Imperator et son rapport.
Kayna se détourna, mal à l’aise, tandis que Lya, espiègle et radieuse, fit teinter sa cuillère contre le verre de Karistal. Ses iris vifs, d’un violet pailleté d’azur, balayèrent l’assemblée, puis, d’une innocence feinte, elle déclara :
— Tonton est venu me dire au revoir cette nuit !
La petite, qui singeait sa grand-mère, fronça légèrement les sourcils. Cette dernière, déposant délicatement sa tasse, demanda avec une douceur mesurée :
— Que t’a-t-il dit, ma chérie ?
Lya haussa les épaules, reprenant son imitation parfaite :
— Qu’il devait rejoindre sa famille et qu’il reviendrait bientôt. Il l’a promis.
Kayna sentit toutes les attentions sur elle. Elle soupira, avant d’ajouter :
— Oui, bien sûr, qu’il est aussi passé me voir avant de partir, mais il n’a rien dévoilé de plus.
Sauf que nous comprendrions en temps voulu.
Kelly se redressa, ses traits se durcirent :
— Il n’a pas osé ! Ce n’est pas le moment, surtout après l’attaque que nous avons subie !
Demeuré taciturne jusque-là, Kieran profita de cette occasion pour, d’une ironie maîtrisée, graisser le chaudron :
— Sans oublier qu’il ne nous a toujours pas révélé ce qu’il a découvert dans le cerveau des deux gus.
Warren, observant ses nièces qui étaient focus sur la conversation, adopta un ton ferme et intransigeant :
— Rejoignez votre mère en ville.
Les Princesses échangèrent un clin d’œil complice. Puis, avec une pointe de défi, Lya protesta :
— On veut rester ici, Tonton !
Kayna acquiesça, ajoutant avec sérieux :
— En tant que Darck, on doit savoir ce qui se passe.
Inflexible, Warren insista :
— C’est un ordre.
Résignées, les jeunes filles se fragmentèrent en une pluie d’étoiles, disparaissant par la fenêtre ouverte.
Kelly bondit de son siège, provoquant un grincement aigu du trône contre le marbre froid. À ses pieds apparut une paire d’escarpins écarlates. Ses pas résonnaient, imposant une cadence autoritaire. Ses fils et son mari se levèrent, suivant sa marche martiale.
En arrivant près de Kieran, Warren adopta un ton cinglant :
— Pourquoi attiser la colère de maman envers Enlil ? Ta remarque était-elle vraiment nécessaire ? Tu as quelques semaines avant son retour. Profite de ce temps pour réfléchir à la manière de régler votre différend.
Irrité, le sermonner répliqua :
— Depuis quand te permets-tu de me donner des leçons, petit frère ?
— Parce que ta rancœur empoisonne tout le monde, et il fallait que quelqu’un te le dise. C’est fait. N’oublie pas que tu es censé être un modèle pour tes filles.
Son benjamin poursuivit son chemin, le laissant à ses tourments.
Ornés de portraits animés, les couloirs du palais résonnaient. Les toiles représentaient des membres éminents du clan Darck, depuis les légendaires Andromède et Merzhin, observant attentivement le passage des Goats.
Les murs de marbre, enrichis d’or et d’argent, se mariaient aux plafonds de bois clair, tandis que trois grands miroirs jalonnaient cette galerie historique : un d’onyx, propriété d’Enlil ; un second d’émeraude, hébergeant le laboratoire de Warren ; un tanzanite dont Kieran conservait jalousement les secrets. En arrière-plan, un balcon dévoilait un jardin surréaliste, parsemé de touches défiant les lois de la nature. Kelly s’arrêta devant un cadre noir, l’incompréhension émanant de sa posture :
— Pourquoi son cabinet est-il scellé ?
Warren, mesurée, proposa :
— Je m’en occupe ?
— Oui. Si Enlil a daigné nous laisser un message, il doit se trouver sur son bureau.
Le magicologue sortit son stylet de sa poche, plaça sa paume sur le panneau dissimulé pour l’ancrer, et diffusa son chakra smaragdin à travers sa dernière invention. Une onde se propagea sur la surface du miroir. L’Imperator apparu :
— Prévisible. Ne tentez pas d’ouvrir ce miroir, j’y ai stocké mon Néant. Si je suis absent et qu’il venait à être libéré… Je suis parti rejoindre ma famille. Après mon affrontement avec le Mystifacteur, j’ai renoncé à mes ténèbres pour embrasser pleinement mon rôle de père. La menace des Anciens approche. Vous avez trois mois, non, deux ans. Ils sont presque là, perçant la barrière qui nous sépare. Ils ont forgé un artefact capable de détruire cette protection. Se préparer à ce conflit reléguera mes besoins au second plan, et pour une fois, j’ai choisi de me privilégier. Rassurez-vous, je reviendrai en temps voulu. Mon fils devra puiser de vous ses leçons et apprendre à vous chérir. Prenez un moment pour explorer ses rêves afin de tisser des liens solides… Cela évitera qu’un Darck inconnu ne se retourne contre vous après la guerre…
Warren, se remémorant les paroles de Kieran à l’El Café des Délices, sentit le poids des dissensions familiales. Nul doute, la paix au sein du clan devenait impérative.
— Il serait judicieux de visiter la lisière cosmique, suggéra Kelly, d’un ton ferme, mais posé.
Kieran, visiblement contrarié, dissimula mal son trouble face à cette perspective. Ce voyage, bien que nécessaire, éveillerait des souvenirs désagréables. Pourtant, il demeurait le seul à pouvoir atteindre l’endroit. Ses bras se levèrent avec aplomb, ses doigts s’écartèrent avec une précision scrupuleuse, laissant jaillir des filaments azur de ses ongles, qui se déployèrent sur le reflet de Tanzanite.
— Hâte-toi, pressa Kelly.
Son cadet ignora sa présence, allongeant ses filins qui s’enroulèrent autour de la surface miroitante. Le passage vers la frontière extrastellaire se révélait complexe, la moindre erreur pouvant sceller définitivement cet unique accès direct.
En premier apparut la galaxie d’Andromède. Ses spirales majestueuses s’étirant avec grâce. Kieran guida les brins avec minutie. Une distorsion provoqua l’inquiétude de Darrius, qui intervint :
— Pourquoi cette hésitation ?
— Une barrière s’impose, une force extérieure me bloque. Assurément un phénomène cosmogonique, réagit Kieran, absorbé par sa tâche.
L’image dériva hors du cadre – l’instabilité persistait, la paroi ondulait à la manière d’une flamme vacillante, menaçante de s’éteindre.
Colubrina la planète de leurs alliées reptile se matérialisa. Une chaleur soudaine en émana, perturbant les filaments. Il la dévia vers la gauche. Deux pulsars jumeaux émergèrent, projetant des éclats réguliers. Le miroir intensifia sa lumière, mettant Kieran à l’épreuve. Concentré, il manœuvra in extremis avant de perdre le contrôle.
— Es-tu sûr de la séquence ? insista Kelly.
— L’erreur n’est pas une option, cingla-t-il, la mâchoire crispée. Un dernier duel, et nous serons à destination.
Enfin, la comète de Halley s’esquissa, traçant une traînée incandescente. Sous la pression croissante, le roi conserva son sang-froid, stabilisant la réfraction avec une maîtrise impeccable.
— Bienvenue à la frontière de notre Création... annonça-t-il, imprégné de triomphe et de lassitude.
Kelly, rassérénée, assouplit son expression. À travers la réverbération, les Darck furent plongés dans l’opacité profonde. Un faible éclat émanant du portail dessinait les contours flous des jardins de Khalarie, laissant entrevoir l’étendue obscure.
— Quel délai nous reste-t-il avant la fermeture du passage ? demanda Kelly.
— Trente minutes. Si nous dépassons ce laps de temps, il faudra au moins trois jours de vol pour rejoindre l’univers habité le plus proche et ouvrir un vortex.
Elle envoya une sphère dorée qui explosa en douceur, divulguant une cloison colossale, invisible jusqu’alors, qui les séparait des territoires des Anciens.
Guidée par une intuition, la Darck s’avoisina de la surface révélée. Elle y posa sa paume. À cet instant, sa conscience fut projetée entre les mondes, un sas où elle se retrouva face à face avec une entité vaporeuse façonnée de ténèbres, sa face dissimulée sous un voile de dentelle blanchâtre.
Le flot temporel se ralentit, suspendant les particules exotiques. L’adversaire se tenait prête à éclater en un déferlement de malveillance. Ses mots glissèrent tel un souffle venimeux :
— Ainsi, te voilà Créatrice !
Chaque syllabe traçait une traînée indigo, se dissipant en volutes brumeuses. Lucide du danger que représentait sa rivale, Kelly fortifia sa spiritualité et répliqua avec une froide assurance :
— Qui es-tu pour t’opposer à moi ?
Un rictus fugace traversa la méchante, aussi glacial que les abysses. Avec dédain, elle avança :
— La destructrice ! Peu osent me défier. Mais toi… ton audace me divertit.
Une vague morale, insidieuse et pernicieuse, s’élança vers Kelly, cherchant à percer ses défenses. Par un effort de volonté, elle repoussa l’assaut. Les deux âmes s’entrechoquaient, à l’instar d’un océan déchaîné contre les rochers. Tout souvenir devenait une arme acérée, les émotions des faiblesses exposées. Le bleu cobalt de la résolution de Kelly se mêlait au rouge carmin de la haine de son ennemie, générant des éclats stroboscopiques. Autour d’elles, les flux de réalité se tissaient et se détissaient, une tapisserie cosmique en perpétuelle transformation.
Soudain, la Créatrice perçut une fissure dans la forteresse mentale de sa némésis. Abattant ses cartes, c’est malicieuse qu’elle déclarât :
— Tes fils sont en vie. Ils sont sous ma garde.
Les volutes lie-de-vin qui entouraient la barbare vacillèrent un instant, avant qu’elle ne réplique, son ton empreint de dédain :
— Pourquoi ne les as-tu pas éliminés ?
— Ils me serviront contre toi, révéla Kelly un brin taquine.
Le pourpre de l’amertume s’épaissit, virant au noir, alors que la Destructrice crachait son dégoût :
— Ces deux-là ne sont que des échecs, des reliques sans valeur. Ils ne signifient rien pour moi.
Se rappelant les allégations de l’Invocateur, Kelly tenta un coup de poker, lançant une menace à peine voilée :
— Et le Fondateur ?
L’effet fut foudroyant. L’Ancienne, ébranlée, réagit avec une brusquerie contenue :
— Que lui as-tu fait ? Est-il vivant ?
— Dans l’immédiat, il ne représente plus un danger. Donc, malheureusement pour toi, oui. Le tuer causerait l’effacement fulgurant de mon domaine, donc tu comprends que je le garde en sécurité.
— Rends-moi mon héritier, et mon armada se retirera, proposa l’Antagoniste mielleuse.
Consciente qu’elle mentait, c’est tranchante que Kelly rétorquât :
— Tu peux toujours courir !
Profitant de la brèche psychologique, la Créatrice s’élança, plongeant dans l’Anaheim. Instantanément elle fut torturée par cette flotte immense qui s’imposa à sa perception… des vaisseaux démesurés. Véritables colosses de guerre, ils projetaient des salves de foudre contre la délimitation, cherchant à la fissurer. Le choc faillit la renverser. Elle-même soit louée, sa volonté inébranlable la ramena au sas des mondes. Poussée à l’extrême, l’iconoclaste libéra une marée écarlate. Sans hésiter, notre héroïne éleva un rempart incandescent.
De l’autre côté de la frontière, ses fils, accrochés à ses bras, y diffusaient leur chakra. Derrière elle, son mari appliqua sa paume contre son dos, devenant le canal d’une puissance incommensurable. La matriarche transforma cette force en un tsunami qui balaya les ténèbres, pulvérisant les défenses ennemies tel un astre.
Le voile de la Destructrice se déchira. Lentement, une vision surgit, distordant la réalité. Kelly tenta de résister. Elle ne put ! Une vague d’horreur l’envahit, ébranlant son équilibre. La terreur pure menaçait de la paralyser. Déployant un ultime effort, elle libéra une auréole tourbillonnante qu’elle expédia. Augmentant sa vélocité au gré de son avancée, la Vilaine ne put la repousser. Sa conscience fut expulsée du sas pour recouvrer son enveloppe en Anaheim.
Tremblante, la Darck se retrouva face à l’effroyable vérité qu’elle venait de découvrir. Malgré cette victoire, ce n’était qu’un répit. Le danger se profilait, plus terrible que jamais. Il devenait impératif de réévaluer son plan cosmique. Elle réintégra sa chaire et, sans hésitation, franchit le miroir, ses alliés sur ses talons.
De retour dans le couloir aux portraits, une lourdeur pesa sur son cœur. Kelly se dirigea vers le balcon, s’agrippant à la balustrade. Le vent frais ne pouvait calmer la tempête intérieure qui la tourmentait.
— Tout cela... pour en arriver à ce point, maugréa-t-elle.
Warren, qui avait suivi la scène de loin, s’approcha et lui fit un gros câlin, ce qui l’apaisa un tant soit peu.
— Nous trouverons un moyen de surmonter cela. Tu as eu la première victoire. En l’affaiblissant, tu nous as surement fait gagner du temps.
— Peut-être… un mois tout au plus… mais pour l’instant, il y a des vérités que je dois affronter seule, le rassura-t-elle en ce détachant.
Une unique option se dessinait : se réfugier au Palais Paladium. De là, elle pourrait déjouer les conséquences de ce paradoxe. Emportant cette vérité insoutenable vers un endroit où elle pourrait planifier le destin, le vide l’engloutit.
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