Chapitre 6 : Le nouveau Plan cosmique
Sultanat céleste – Coeur du cosmos – heure et date inexistant
La Créatrice émergea du halo, posant délicatement ses talons sur le sol du Palais Palladium, aussi lisse qu’un miroir d’eau. Autour d’elle, les courants stellaires caressaient son épiderme. Majestueux, l’édifice s’élevait sur un nuage imposant, fusion parfaite d’onyx et d’or. Les colonnes laiteuses absorbaient l’opacité cosmique, la réfléchissant sur le marbre veiné de diamonite.
Au-plafond, des fresques astrales captaient les derniers souffles des étoiles mourantes. Ces projections, en perpétuelle mutation, rappelaient à Kelly l’équilibre fragile qu’elle était venue préserver. Sa promenade la conduisit à une statue la représentant. Elle ralentit, effleurant la signature de Darrius. Après un instant de contemplation, elle poursuivit son chemin, parée à contrecarrer la redoutable vérité occultée par le voilage de la Destructrice.
Devant elle s’étendait le Jardin psychédélique, un océan de teintes vibrantes et changeantes. Les plantes luxuriantes, dont les orchidées conscientes, pulsaient en harmonie avec ce microcosme vivant. Elle s’arrêta, absorbant les effluves enivrants, puis se laissa attirer vers l’étang violine, qui régnait au cœur du lieu. À son approche, l’eau se retira doucement, démasquant un passage. Sans hésiter, elle plongea, emportée par un tourbillon qui la déposa dans les profondeurs de son fief divin. Après avoir pressé son index sur le détecteur de chakra, un faisceau l’enveloppa, l’autorisant à traverser la roche.
Elle déboucha dans une vaste chambre où des colonnes de rubidium gardaient en stase des Enchanteurs déchus. Son regard toisa Zeus, la foudre en main, Shiva, symbole parfait d’équilibre et de destruction, et Aphrodite, dont les joyaux ornaient désormais les boites à bijoux de Kelly. À terme, eux et leurs semblables seraient lancés dans la bataille, à condition qu’elle trouve un moyen de les soumettre.
Au fond de la pièce, une vitrine contenant des artefacts liés au panthéon mythologique pivota. Habitée par des doutes quant aux actions à entreprendre, la Créatrice s’engagea dans le corridor sinueux et étroit. Peu après, de la lumière au bout du tunnel, émergea une silhouette élégante : Zargua el Gamma, Régente du Sultanat céleste, âme personnifiée de la Création et mère d’Andromède Darck. Parée d’une robe de satin écarlate, une cascade d’ébène l’encadrait, fidèle à la lignée. D’un ton souverain, elle déclara :
— Avance, Darling !
Kelly s’ajusta au pas de sa guide, traversant un dédale qui les mena à la Salle des Paradoxes. Cette pièce monumentale, soutenue par des colonnes d’émeraude massives, abritait en son centre une sphère de palladium lévitant doucement.
Avec grâce, Zargua s’approcha de l’orbe. Ses mouvements défiaient les lois de la sorcellerie, donnant l’impression qu’elle marchait sur un fil. Devant l’artefact, elle entonna un chant complexe, tissant un code acoustique qui fit écho à travers le sultanat, berçant les Constellaraes, Pulsarides, Galaxillions, Sombraphores, Stellarcis, Astralides, Aetherions qui y vivaient. Le calme s’installa, et une ouverture s’établit, libérant un nuage de limaille.
Solennelle, Zargua déclara :
— Entre !
L’intérieur oscillait entre éclat et ténèbres. Cette Grisaille, substance primitive, suspendait la clarté à la frontière du rationnel et de l’inobservable, élaborant un équilibre précaire. Tout autour, l’incompréhensible imagino-architecture du Fondateur pliait à sa volonté les principes de la relativité enchantée. Une seule erreur, et la Création implosaient. Pour cela, Kelly avait toujours refusé que Warren l’étudie, le risque de dénaturation étant conséquent.
Une interrogation muette passa entre elles.
Kelly réprima ses suspicions. Certaines vérités devaient rester enfouies. Pourtant, une inquiétude persistait : que cachait réellement Zargua derrière ce masque impénétrable ? savait-elle ? Connaissait-elle sa vraie nature, ses origines ? Kelly en doutait, mais comment en être certaine ?
Elles prirent place sur les trônes d’obsidienne, se faisant face. Les couronnes suspendues au-dessus d’elles descendirent lentement, s’apposant avec une brutalité attendue. Alors que la Grisaille, imprégnant la pièce, se connectait à Zargua, la Créatrice s’embrasa de son chakra. En face, les iris de sa compagne se métallisèrent.
Adoptant des formes géométriques complexes, l’intérieur de l’orbe entama sa métamorphose. Coutumière du phénomène, Kelly posa sa main sur l’accoudoir, activant le mécanisme d’extrapolation des événements. Une pulsation émana de l’assise lorsque la Régente, désormais résonante de l’essence de la Grisaille, déclara :
— La base temporelle est synchronisée. Que souhaites-tu savoir ?
Kelly recentra sa réflexion sur les épisodes récents.
— Analyse les conséquences si les Anciens perçaient la frontière, en incluant nos forces et faiblesses actuelles.
Instantanément, la matière réagit. Les projections holographiques se structuraient, dévoilant des scènes d’armées en marche, de résistances clandestines, de figures influentes tapies dans l’ombre. Elle scrutait méticuleusement, cherchant la faille, l’opportunité qui permettrait de réussir cette mission. L’issue inéluctable menait à une destruction réciproque. Devant la confusion qui persistait, elle apporta des éclaircissements :
— Identifie les moments charnières.
Défilèrent la genèse de la création, la chute du Fondateur, le renouveau divin, l’avènement de sa lignée. Elle sentait le poids des risques, mais l’urgence d’agir dominait toute autre considération. L’instant de vérité approchait.
La Grisaille, à travers la Régente, révéla :
— Tu t’égares, Créatrice. Ton univers a accompli sa destinée, les prévisions l’ont scellé. Ce combat se joue dans la troisième dimension, là où l’histoire du Fondateur s’est achevée, marquant l’ordre souhaité. Mais prends garde, les faits tiennent à un fil. La moindre altération pourrait tout chambouler.
Consciente des dangers, Kelly hocha la tête. Il n’était plus possible de reculer, alors elle réfléchit aux propos de la matière... Puis posément, elle reprit :
— Tu as raison ! Un simple geste peut ébranler la trame temporelle dans son intégralité. Pourtant, la loi m’interdit d’agir de manière frontale. Mon pouvoir réside dans l’influence, en orientant les faits pour qu’ils suivent le chemin voulu. Il me faut trouver l’instrument idéal, celui qui, sans s’en douter, exécutera mes desseins.
Les images se brouillèrent, laissant émerger une figure : Lilith, sous les traits de Ève, souveraine des enfers, enveloppée d’une fureur brute et dévastatrice. Kelly hésita un instant. Pourrait-elle dompter ce chaos sans l’éliminer ? Elle refoula cette pensée, consciente que parfois, seul un bon Antagoniste pouvait rétablir l’ordre.
Avec une gravité respectueuse, la Grisaille confirma :
— C’est elle !
— Sous mon emprise, la démone provoquera le bouleversement nécessaire, conclut-elle.
Les prédictions illustrèrent les différents scénarios où Lilith redéfinirait le destin. Les défis étaient immenses, mais les opportunités aussi. Laissant percer une pointe d’anxiété sous son masque de calme, Kelly s’enquit :
— Et pour la fusion de l’âme du Fondateur ? C’est essentiel à la conjuration du paradoxe.
L’orbe émit un éclat intense, modifiant à nouveau les hologrammes. Aëgir, le mage de l’eau en décomposition, apparut, suivi par la Mort, dont la faux projetait une froideur implacable. Il ne lui en fallut pas plus pour concevoir l’entièreté de la solution.
La Créatrice évalua ce chemin, pesant les risques… C’était la décision à adopter. Les couronnes remontèrent doucement, rompant la connexion mystique. Libérée de cette étreinte psychique, Zargua se redressa et demanda :
— Pourquoi ne pas agir sur le futur de Terre 3, comme prévu initialement ?
— Enlil et moi ne pouvons nous retrouver ensemble dans un temps qui n’est pas le nôtre. Notre puissance causerait des fissures dans la toile des réalités. Il refuse de revenir, ce qui m’oblige à intervenir à l’époque synchronisée avec la dimension primale, l’an 0 av. J.-C.
Elle prit une profonde inspiration, sentant les fils du destin s’entrelacer dans ses pensées.
— Lilith est essentielle, repartit-elle. Son arrivée en cette époque n’est pas un hasard. Cela révèle des forces à l’œuvre.
Cette pensée la hantait.
Kelly déposa une bise légère sur la joue de la régente :
— Merci ! J’aimerais tellement faire plus pour toi !
La Créatrice quitta les entrailles du Palais Palladium. Le moment d’agir était venu. Les doutes n’avaient plus leur place. Elle avançait, l’esprit fixé sur sa mission, ravie de déployer ses talents de manipulations.
Annotations
Versions