Chapitre 7 : Ève, lève-toi, et danse avec Lilith

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Terre 3 : - 5 heure avant la naissance de Jésus. An 0.

Brocéliande, étendue mystique, oscillait entre rêve et existence, enveloppée d’une aura légendaire. La forêt millénaire respirait une quiétude désuète. Au cœur de cet écrin verdoyant, un cerf immaculé broutait paisiblement, ses bois argentés se confondant avec la lumière diffuse.

Les feuilles bruissantes portaient des histoires ancestrales, tandis que les chants lointains des oiseaux tissaient une mélodie imperceptible, et la rivière murmurait des secrets demeurés inaccessibles aux humains depuis des siècles. Ce jour-là, cependant, une onde de magie ancienne perturba la tranquillité. Les oreilles de l’animal se dressèrent. Une fissure invisible traversa la réalité, et Kelly apparut.

L’habitant, loin de fuir, se maintint immobile. Kelly inspira profondément l’air saturé de musc sauvage, un sourire teinté de nostalgie l’effleurant. Les souvenirs défilèrent : l’aide apportée lors de la naissance de Merzhin, et cette rencontre avec Nick, qui avait croisé tant de versions d’elle-même. Le cervidé se prosterna.

Majesté des sylves, pensa Kelly.

Créatrice, vous honorez ce sanctuaire par votre présence.

Votre royaume est toujours aussi magnifique. Avez-vous perçu une étrangère pernicieuse ?

Il sonda les vibrations subtiles de son domaine avant de confirmer :

Une femme atypique a été vue, errant dans les recoins reculés – déchirée par une quête qu’elle redoutait autant qu’elle la désirait.

Merci, noble seigneur.

Le cerf inclina de nouveau la tête. Un rictus en coin, Kelly s’enfonça parmi les sous-bois, anticipant déjà l’excitation du jeu à venir. Et tandis que le jour s’effaçait, lentement les arbres se refermèrent derrière elle.

Rapidement, elle atteignit une clairière dissimulée et leva les bras. Alors les premières syllabes d’une incantation s’échappèrent :

« Escrintoris vellae luminaris... ».

Le lieu se tamisa.

Sous ses pieds, les racines réagirent, s’élançant tels des serpents de ramage pour s’enrouler autour de ses chevilles, l’enchaînant au sol. Son visage se transforma sous la pression d’une force invisible : des rides profondes creusèrent sa peau, tandis que ses cheveux perdirent leur éclat et tombèrent en mèches éparses. Ses vêtements se déchirèrent, en lambeaux accrochés à ses épaules. Ainsi, elle prononça :

« Claudicaris aeternum, transformis in malam formam... ».

De la terre s’éleva une brume noire l’enveloppant. Nul doute, Kelly jouait une partie dont elle seule connaissait les règles. Désormais d’une malveillance tangible, Brocéliande s’adaptait à sa présence, l’accompagnant dans sa funeste quête.

Non loin de là, l’ex-reine des Enfers, démunie et grelottante, tentait incurablement de recouvrer une once de chaleur en allumant un feu. Son apparence d’Ève, sa forme originelle, soulignait la fragilité de sa condition. Privée de ses compétences par le châtiment de la Créatrice, elle était réduite à une simple mortelle.

Espérant y retrouver ses capacités perdues, la déchue cherchait incorrigiblement l’abord de la grotte atemporelle. Malheureusement, son manque de mana l’empêchait de percevoir l’entrée juste derrière elle.

Depuis sa mésaventure avec les Darck, Lilith avait erré sur Terre, traversant les contrées d’Asie puis la Gaule. Affamée, battue, violée, séquestrée en cours de route, elle avait farouchement affronté ses bourreaux. Lucifer, son époux, n’avait répondu à aucune de ses invocations ni à ses sacrifices, la laissant seule dans son amertume. Volant, tuant, menaçant, elle était finalement parvenue jusqu’ici.

L’ex reine de l’Enfer luttait pour se relever. Des cailloux froids mordaient ses paumes, des épines perforaient sa peau, et des roches meurtrissaient son dos. Sa résilience restait son unique ressource. Malgré le temps peu clément, la sueur perla sur son front. Une peur instinctive la posséda. Se recroquevillant, elle scruta l’opacité. Une présence approchait...

Puis elle la vit.

Même privée des pouvoirs, elle la reconnut. La légende vivante, celle qui enseigna aux habitants de Sodome l’art de manipuler les ténèbres. Cette mégère qui scella des pactes inavouables avec Lucifer, puis captura des démons pour les asservir. Les histoires disaient que la Créatrice la laissait agir sans entrave, non par faiblesse, mais parce qu’elle jouait à un poste bien plus complexe, un rôle que nul ne comprenait.

À proximité de sa future marionnette, la sorcière s’immobilisa. Bien que terrifiée, Lilith ne pouvait se détourner de celle qui aurait pu dominer le monde, mais qui préférait la subtilité de la discrète conspiration. Tremblante, oscillant entre haine et crainte, la mortelle exigea :

— Que veux-tu Kara ?

Révélant des dents jaunies et pointues, la faiseuse d’antagonistes murmura :

— T’offrir une chance de reconquérir ce qui t’appartient.

Lilith se redressa. Ses cheveux, ternis et sales, pendaient en mèches éparses, encadrant un minois jadis radieux, à présent marqué par la folie et la détresse – une parodie de sa gloire passée. Elle toisa la rabougrie, cherchant à percer ses intentions inavouées, puis décida d’en savoir plus :

— Pourquoi te laisse-t-elle faire ?

Fielleuse, l’autre susurra :

— La Créatrice est mon ennemie. Je ne peux l’affronter directement, mais toi… toi, tu es parfaite pour la mettre à mort !

Tourmenté par le doute et la suspicion, Lilith serra les poings. Cependant, l’idée de regagner sa puissance, de prendre sa revanche, d’échapper à cette existence de misère l’enflammait. Sentant l’hésitation grandir, la sorcière avança d’un pas :

— Ta condition actuelle te rend vulnérable, mais avec moi, tu pourrais être bien plus que ce que tu fus. Nous pourrions renverser l’ordre des choses et redéfinir ta destinée. Avec moi, tu deviendras une légende.

Kara s’approcha, la dominant de toute sa stature. Menace voilée, elle posa sa paume sur la roche, révélant l’entrée de la grotte atemporelle.

Lilith franchit le seuil. Ses sens furent revigorés par la malveillance émanant des corridors sinueux, du son des gouttes d’eau résonnant, et la présence des damnées tapies parmi les Karistite. Les bêtes gardiennes, pourtant redoutables, s’évanouirent à l’approche de la sorcière aux pupilles d’argent. Côte à côte, elles avancèrent lorsque Lilith se fit violence pour briser la glace :

— Qu’est-ce que tu proposes ?

Imprégnée d’un venin subtil, Kara mielleuse la conforta :

— Une union. Nous combinerons nos forces, nos connaissances. Associées, nous pouvons déstabiliser la Créatrice, disloquer les chaînes de son règne, et façonner notre propre royaume. J’ai un plan, ourdi depuis des éons dont tu seras la pièce maitresse. Usons de ses armes préférées : manipulation, conquête assaisonnée de terreur. Qu’en penses-tu ?

— Tu oublies les Avaloniens, se moqua Lilith. Ils adorent se mêler des affaires des autres.

— Ils nous poseront quelques difficultés, mais après mon enseignement, tu écraseras ces cafards, s’amusa la vieille femme.

L’offre était dangereusement alléchante, et par expérience, Lilith savait que tout pacte avec venait avec un prix. Pourtant, l’idée de regagner sa puissance, de se venger, de sortir de cette misère la consumait.

Percevant le dilemme intérieur de la démone, Kara se rapprocha, presque à la toucher.

— Tu pourrais recouvrer ta grandeur d’antan... et bien plus encore. Imagine… retrouver ton fils, le sauver des griffes de cette gourgandine de Kelly. Je te transmettrais l’érudition nécessaire.

sentant sa prise se renforcer, la manipulatrice poursuivit :

— Conçois ses bras autour de toi, sa voix t’appelant... Tout cela est à portée de main, Lilith, si tu choisis de t’allier à moi.

Le désir de récupérer son bébé, plus intense que toute autre considération, brûlait comme un feu inextinguible.

— Parfait. Sache que si tu trahis notre accord, je mettrai tout en œuvre pour te détruire.

— Tu as toujours eu ce don pour l’imprévisible, ma chère. C’est ce qui m’attire chez toi. Et crois-moi, une fois que je t’aurai infligé ce qui t’attend, ton potentiel n’en sera que décuplé…

Elles atteignirent une chambre cachée, un sanctuaire d’arcane noir. La démone, ébahie, observa les runes gravées, les grimoires flottants, et l’autel central, où une flamme ébène vrillait, éternelle et vorace.

— Cet endroit... chuchota Lilith, fascinée. Tu savais que je dirais oui !

— Bien sûr ! Tu connais les règles. Il paraît même que tu as déjà initié un certain Nasëem dans une autre de ces alcôves.

— C’est juste… Nous sortirons à l’instant où nous sommes entrées et, peu importe les millénaires écoulés, rien n’aura changé à l’extérieur.

— Ici, tu maitriseras les arts les plus sombres de la sorcellerie. Au vu de ton passé et de ta réputation, cela ne devrait pas te prendre plus de 800 ans.

Son choix l’engageait sur un chemin sans retour, et pourtant, elle acceptait ce sacrifice. L’espoir de retrouver Baphomet la poussait à suivre cette quête implacable.

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