Chapitre 8 : Les Griffes de la Vengeance
Une brume lourde et malsaine enveloppait les arbres tordus de Brocéliande, transformant la forêt en un labyrinthe spectral où même les échos demeuraient prisonniers. L’air, saturé d’humidité, étouffait les sens, rappel brutal de l’isolement que Kara et Lilith avaient enduré pendant cinq siècles. Spongieux sous leurs pas, la terre exhalait des relents de décomposition, comme si elle libérait le souffle de damnés qui hantaient ce lieu.
Imposante par sa présence, la vieille bique ouvrit la marche. Reconnaissant en elle une force supérieure, la flore se courbait légèrement à leurs passages. Par moments, elle murmurait des incantations suffisamment puissantes pour se dissimuler aux perceptions des Avaloniens.
Luttant pour s’accoutumer l’extérieur, la Démone suivait de près. Respirer s’avérait une épreuve, mais cette souffrance réveillait aussi une vivacité qu’elle croyait éteinte. Tout à coup, un ricanement sec perça la brume, provoquant un frisson de plaisir chez les deux femmes – écho dissonant des légendes horrifiques de la forêt. Kara s’arrêta :
— Notre règne s’amorce aujourd’hui, prodigieuse disciple.
En proie à un tourbillon de pensées extravagantes, Lilith absorba les paroles de sa mentore. Une partie d’elle se délectait de cette vision de domination, mais une autre, plus calculatrice, discernait la manipulation sous-jacente de la Sorcière.
— Ce n’est qu’un début. Il nous faudra terrasser La Créatrice et ses champions.
Amusée par l’illusion de défiance projetée par l’ex-Reine des Enfers, Kara adopta une intonation joyeuse :
— À toute ambition démesurée se dresse un ennemi de taille... Chaque chose en son temps, ma belle. Tu as tant à accomplir avant qu’ils ne trouvent le trépas. Notre plan est parfait !
Sa verbale caresse venimeuse était destinée à cultiver le mensonge de la supériorité de Lilith, tout en renforçant sa propre emprise. Tandis qu’elles progressaient, des enfants-spectres émergèrent de la brume.
— Brocéliande me paraît plus ténébreuse, moins enchantée, que lors de notre entrée dans la grotte.
— Effectivement, tes nouvelles prérogatives te permettent de distinguer la réalité dissimulée. À toute merveille son passé de calamité...
Avec sérieux, Kara scruta les spectres, et ajouta :
— Ces gamins ne sont pas de simples esprits. Ce sont les créations de Ménes, des âmes torturées, condamnées à errer ici pour l’éternité.
Malgré sa perversité innée, la Démone refusait totalement que des bambins soient victimes des manigances des puissants. Depuis sa propre maternité, elle détestait qu’on s’en prenne à des enfants, même si avant elle s’en délectait sans scrupules.
— Ou plutôt, ses abominations.
Kara laissa échapper un ricanement :
— Il fut mon disciple… une amère déception. Il a osé défier l’ordre naturel, cherchant à manipuler des forces qui le dépassaient. Il a échoué, et maintenant ces esprits mutilés sont piégés, visibles uniquement à ceux qui possèdent la Thélurie Obscure.
L’évocation de cette magie interdite fit trembler les branches, qui gémirent sous la pression.
S’ouvrant à la souffrance des âmes perdues, un peu par compassion, mais surtout par le désir de se nourrir de cette souffrance, Lilith déboutonna le col de sa robe afin d’exhiber ses diaphanes nichons. Dans la foulée, elle lança un maléfice informulé. En conséquence, les racines sous ses pieds se contractèrent comme les muscles d’un monstre prêt à bondir. Alors qu’elle absorbait les errants en ses seins, Brocéliande s’insurgea, envahissants sa psyché de visions bucoliques – tempête de joie qui terrifia l’ex-reine de l’enfer.
Constatant avec une satisfaction dissimulée l’effort, la Sorcière intervint en douceur. Un subtil souffle dirigé et la terre concéda ses prisonniers.
— Il faut savoir plier devant une force supérieure… Rappelle tant à l’avenir...
Tout de même secouée, Lilith se rebella :
— Pour qui me prends-tu ? Je ne crains pas les défis !
L’Ancienne posa ses doigts noueux sur l’épaule de sa marionnette :
— C’est ce qui fait de toi une arme si prometteuse. Ensemble, nous accomplirons des merveilles.
Bien que piquée par cette remarque, l’élève inclina la tête. Cependant, elle envisageait déjà un futur où sa Maîtresse périrait de sa main. Dans l’immédiat, se contenter de suivre pour gagner en prestige s’avérait plus judicieux.
Sans crier gare, un vent glacial s’éleva, fouettant la clairière, la brume et les branches, composant un concert de craquements sinistres. Puis, maugréant de frustration, les arbres s’écartèrent, révélant une allée sinueuse éclairée par la ronde lune, menant à l’orée de Brocéliande.
C’est devant un dolmen millénaire que le duo s’arrêta. Un éclair traversa les prunelles argentées de Kara tandis qu’elle étendait ses bras vers les cieux. Au-dessus, des nuages se formèrent, cachant les constellations. Un vrombissement effroyable laissa échapper la foudre. L’impact fit vibrer la pierre, qui s’embrasa d’ébène.
Sans prévenir, la mentore saisit sa main, y traçant une entaille nette avec une lame d’obsidienne. Lilith ne ressentit pas même l’once d’un inconfort. Au contraire, elle se délecta de la douleur. Ipso facto, un fluide écarlate pailleté s’en écoula et, avec une précision rituelle, Kara glissa l’athamé imbibé sur le monolithe. Instantanément, les symboles gravés à sa surface se mirent à pulser. Teintée d’une froide autorité, Kara déclara :
— Désormais, tu as accès au réseau de transport planétaire, sans que les Avaloniens ne puissent te percevoir.
Elle lui tendit un parchemin que Lilith déroula. Aussitôt, une lueur verte émana du document, projetant une représentation holographique de la Terre en rotation, imposante malgré sa réduction. Lilith, peu familière avec la magicologie, resta médusée, tentant de percer les secrets de cette vision saisissante.
— Quel est le principe ?
— Les points émeraude positionnent les passages, il te suffit de toucher l’un d’eux pour activer le monolithe d’exode qui te conduira à celui d’arrivée. Attention, les Avaloniens ont la préséance, puisqu’ils utilisent les lignes telluriques classiques...
— Le plan est en marche, s’exalta-t-elle.
— Nous nous retrouverons lors de ta victoire, Lilith. Jusque-là, nous ne rentrerons plus en contact.
Prête à se lancer dans cette mission cruciale, elle la toisa d’une manière qui disait clairement : « Je sais ce que j’ai à faire. » Sur le point de partir, un détail la retint :
— Où se trouve la Judée ?
Kara explosa d’un rire assourdissant, presque cruel. Agacée, la moquée fit la moue, mais se garda de protester. Finalement, la vieille bique désigna un point sur la grande étendue bleue en mouvement.
— Ma chère là se repère ta destination.
Du dolmen un faisceau fusa. Lilith endossa son capuchon blanc, devenant indiscernable pour tout possesseur de mana. La force du rayon l’absorba, ne laissant derrière qu’un effluve de chair carbonisée.
Kara, maintenant seule, se concentra sur son désir et resta immobile :
— Incantatio Fracta, Forma Vera Revertitur !
Un éclat argenté jaillit de sa paume. Lentement, il vira à un or liquide, l’enveloppant entièrement. Alors, la transformation s’opéra. D’abord, ses traits se fondirent, telle de la cire chauffée. Ensuite, sa perfection sculpturale se reproduisit : des courbes harmonieuses, une taille fine accentuant l’élégance de sa posture, des hanches galbées et des jambes longues et fuselées ; sa peau satinée arborait une teinte subtilement dorée, évoquant un luxe discret. Son minois, encadré par une chevelure de jais, soyeuse et impeccablement lissée, irradiait d’une beauté presque irréelle. Chaque détail de son apparence exsudait l’icône vivante du glamour contemporain.
— Enfin, murmura-t-elle, savourant son timbre naturel, il est l’heure pour mes champions de jouer la partie.
Elle porta son attention vers l’astre lunaire, plein et rayonnant. Malgré la distance, sa scrutation capta Aëgir, l’Empereur des eaux, en méditation. Cependant, celle que Kelly cherchait résidait ailleurs, sur la face dérobée de Sélène.
Sa volonté l’atteignit, stimulant une connexion subtile et mystérieuse tissée entre elles depuis des éons. Depuis la plus haute tour d’Avalon, Elara contemplait l’univers avec une fascination silencieuse.
La tempête à venir était en marche, et Kelly se réjouissait déjà du chaos qu’elle allait semer. En un minimum d’action, la Créatrice venait de modifier l’avenir de la troisième dimension, d’une manière brutale, mais efficace.
— Je vais pouvoir rentrer à Khalarie.
Après cinq cents ans cloitrés, c’est d’un pas décidé que fut franchit son vortex d’or, impatiente de s’installer devant la télévision, blottie contre son aimé, pour observer les péripéties qu’elle avait orchestrées... Cette nuit serait consacrée au repos, car demain, il lui faudrait extraire le Mysticateur et l’Invokateur des geôles horrifiques pour les mettre à l’abri, jusqu’à ce qu’elle comprenne comment ils étaient devenus les Anciens.
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