Chapitre 9 : L’Avènement.
Au sommet d’Avalon, Ëlara, en contemplation de l’immensité cosmique, pensait à Nasëem, Kaëlle et Gaïa, ses défunts enfants. Brusquement, ses pupilles se révulsèrent ! Une lueur dorée, impromptue, l’enroba, s’ensuivit un froid glacial, auquel s’ajouta une présence oppressante. Nul doute, la Créatrice la mandatait. Alors, les présages funestes s’infiltrèrent dans son esprit avec la lenteur d’un venin :
« une femme épuisée, baignée de sueur, luttait pour accoucher. À ses côtés, son mari, les traits tendus par l’angoisse, serrait sa main, lui murmurant des paroles d’encouragement empreintes de désespoir. Chaque cri de douleur émanant de la parturiente résonnait comme un sinistre carillon.
Alors que l’enfant s’apprêtait à naître, l’horreur se matérialisa. Les ombres dans la pièce se condensèrent, se tordant pour révéler une figure monstrueuse – le cadavre du fils d’Ëlara. Sa carcasse en décomposition, ses yeux sans vie, exhalaient une malveillance inhumaine. Sans un son, il se précipita sur le couple avec une rage inénarrable.
Les rugissements d’épouvante se mêlèrent aux prières. Le père tenta de protéger sa famille, mais la créature l’attrapa par le cou, enfonçant ses crocs gangrenés dans sa chair. Le sang jaillit, éclaboussant les murs d’une teinte sinistre. L’époux se débattit, ses cris étouffés par l’effroi qui l’engloutissait. Le désespoir de sa moitié, hurlant son nom, résonnait tel l’écho d’une apocalypse.
Repue de sa victime, la bête tourna son attention vers la femme, dont les traits défigurés par la terreur exprimaient une souffrance indicible. Elle supplia, mais le Machabé resta impitoyable. D’un mouvement brutal, il la repoussa, ses griffes déchirant sa gorge. Son œil dément se posa sur l’enfant, encore lié par le fil de la vie.
D’un geste sec, il arracha le nourrisson, ignorant les sanglots poignants de l’agonisante, ses mains cherchant incurablement à récupérer son garçon. Le monstre s’éclipsa dans les ténèbres, emportant l’innocence brisée par les cris stridents du nouveau-né.
Le silence retomba, lourd et oppressant, seulement troublé par les derniers soupirs de la mère, fixé sur le plafond, son esprit déjà extirpé à ce monde. »
L’horreur de cette vision accabla Ëlara, une larme amère glissant sur sa joue, reflet de la tragédie qu’elle venait de contempler.
— Caïn ! articula-t-elle, non sans mal.
Son époux inquiet se matérialisa à ses côtés :
— Quelle prophétie t’envoie Kelly Darck ?
— Un péril... près de Bethléem. Le Machabée est là-bas !
D’un bond, le duo franchit la barrière manatike et retrouva leur descendant en concentration sur la surface lunaire faisant face à la Terre sondée par le Mage de l’eau. Aëgir interrompit sa méditation et se tourna :
— Je l’ai décelé, il ne nous échappera pas !
Il sortit une fiole de la poche de sa soutane azurée, et dévoila :
— Cette fois-ci, sa geôle est prête.
Caïn éleva ses mains, ses prunelles scintillèrent. Les étoiles paraissaient se mouvoir, guidées par une volonté cachée. D’un chuchotement à peine perceptible, il convoqua sa domination. Autour du trio, le cosmos ondula, pulsa. Une émanation d’ébène, dense et iridescente, surgit ex nihilo, tourbillonnant. Empreinte de divinisme, cette brume obscure les enveloppa.
Peu à peu, le nuage irradia, les emportant de la Lune. L’espace se déforma, le temps et la distance se ployant à la volonté du Tout-Puissant. Les astres devinrent un corridor lumineux tandis qu’ils traversaient les abîmes stellaires.
Bien qu’il s’étendit sur une durée infinie, le périple se conclut en un clin d’œil. Teintée de bleu et de vert, la planète grossit rapidement, les invitant à la fouler. Une masse noire les guida à travers les strates atmosphériques, les flammes de la réentrée formant une courbe tel un phénix en plongée vers sa renaissance.
À présent, ils se tenaient maintenant aux portes de Bethléem. Le contraste entre le vide et la vie humaine les enivra. Le bêlement lointain d’un troupeau se mêlait à la brise caressant les oliviers. Les arômes d’humus, de figuiers et de menthe imprégnaient l’air, signes distinctifs des collines de Judée.
Bethléem apparaissait presque endormie, excepté le crépitement sporadique des feux de veille où le murmure de ceux qui partageaient des récits pour repousser le sommeil. Le tapage occasionnel d’une porte qui s’ouvre ou se ferme rompait la quiétude, rappel des existences se déroulant derrière les façades de pierre, tissées d’allégresse, de tristesses et d’espoirs.
Caïn, Ëlara, et Aëgir sondèrent les alentours. Les allées étroites et tortueuses où régnait l’obscurité se voyaient peuplées des indiscrétions de la ronde lune. Ils s’y engagèrent.
Des échos de pas précipités résonnèrent sur le pavé usé. Une femme enceinte s’enfuyait aux côtés d’un homme. Marqués par l’inquiétude, ils cherchaient à échapper à une menace invisible.
Avec une élégance macabre, une silhouette déchue se profila – une réplique cadavérique d’Aëgir, son vide intérieur irradiant la malveillance. Au carrefour des chemins, le Mage de l’eau ressentit l’angoisse émanant des fuyards. Mais la vision de cette carcasse fit flamboyer sa rage. Ses parents discernèrent la transformation subtile de son mana, promettant une tempête imminente. Il éleva alors Triton, son sceptre de Karistal. Le trident s’embrasa d’un bleu parsemé de particules noires. En réponse, des symboles aqueux l’encerclèrent. Il les projeta, créant une barrière impénétrable qui isolait son Némésis de ses proies ; les vagues s’entrelacèrent, établissant un rempart d’écume inébranlable.
— Il suffit !
Sa requête retentit en écho de tonnerre annonçant l’orage, un ordre n’admettant aucune rébellion. Ëlara rejoignit la femme :
— Tout se passera pour le mieux, calme-toi... Nous allons régler ça.
Caïn entoura son compagnon d’une étreinte sécurisante.
Aëgir, fermement ancré sur les dalles glacées, inclina son bâton, observant la silhouette déclinante. Un murmure profond s’échappa de ses lèvres, invoquant une incantation puisée des tréfonds des océans. L’eau répondit à son appel, l’habillant d’une armure étincelante.
Le trépassé attaqua. Des tentacules d’encre s’en dégagèrent, assaillant Aëgir avec vélocité, les impacts laissant des traces vaporeuses.
L’affrontement redoubla d’agressions et de réplique. D’un mouvement brusque de sa paume, Aëgir déclencha un jet d’écume acérée.
L’ardeur s’empara du Mage, ses représailles gagnèrent en puissance, ses formules résonnèrent, jusqu’à ce qu’une frappe magistrale de Triton terrasse le moribond.
Haletant, il s’inclina pour enfermer son rival vaincu dans la fiole, sauf qu’une forme se détacha des ténèbres. Son identité masquée par un capuchon blanc, elle s’approcha sereinement. Sans même dire bonjour, elle étendit ses membres vers le perdant, et par un claquement de doigts qui stoppa l’instant, elle le captura de son halo si aveuglant que tous durent détourner les sens.
Lorsque le phénomène se résorba, ils avaient disparu, ne laissant qu’une pléthore d’interrogation. Aëgir demeura stoïque. Progressivement, un mélange d’irritation et de respect envahit son esprit envers celle qui avait dérobé sa cible. Contre toute attente, il dirigea son intérêt vers un figuier voisin et l’assaillit de son poing. L’arbre se brisa.
— Nous ne devons pas faire de la destruction notre legs, le sermonna Ëlara. Ce pauvre arbre ne t’avait rien fait que je sache.
Sentant venir la sempiternelle joute verbale, Caïn coupa l’échange :
— Qui était-elle ?
L’absence de réponse en fut une en soi. Ëlara, dans son autorité mêlée de bienveillance, tourna son attention vers les rescapés, les conviant à se présenter. La future mère fébrile consulta son compagnon avant de murmurer :
— Je... Je suis Marie.
Ses mains instinctivement serrées sur son ventre rond attestaient de son appréhension. L’homme, encore sous le choc, prit le relai :
— Et moi, Joseph. Nous arrivons tout juste à Bethléem pour le recensement exigé par l’Empire romain.
Caïn, perturbé par l’apparition de la femme au chaperon blanc, écoutait d’une oreille distraite. Aëgir, ayant achevé de soigner le figuier brisé, s’approcha :
— Le recensement... Il explique votre présence ici, mais il ne rend pas compte de ce qui vous poursuivait ce soir. Avez-vous été témoins de quelque chose d’inhabituel avant notre irruption ?
Marie et Joseph échangèrent une œillade empreinte de peur et d’incertitude. Avant qu’ils n’aient pu répondre, Ëlara décréta :
— Peut-être n’est-ce pas le moment pour de telles questions. Ils ont besoin de repos et de sécurité.
Marie fut prise de douleurs. Les eaux de la gestante se déversèrent, et le tourment s’intensifia, annonçant l’imminence de l’avènement. Sans plus attendre, Ëlara décida de trouver un lieu propice pour la naissance. Face au refus des auberges, saturée par les arrivants venus pour le recensement, Ëlara trouva refuge dans une étable. Cet endroit, certes impropre au miracle de la vie, offrait la tranquillité et la chaleur nécessaires.
À l’intérieur flottait une senteur de foin réconfortante. Avec délicatesse, Ëlara aida Marie à s’allonger sur un lit improvisé de paille, tandis que les messieurs, par pudeur, détournèrent l’attention, feignant un intérêt subit pour les moutons partageant l’abri.
Lorsqu’à la lueur vacillante d’une bougie, Ëlara l’examina, elle découvrit avec stupeur la preuve de sa virginité. Cette constatation, aussi inattendue qu’extraordinaire, lui coupa la chic. Cependant, elle choisit de ne pas troubler davantage ce moment déjà empreint de confusion.
Caïn et Aëgir se tenaient respectueusement à l’écart, préparant avec soin un abreuvoir pour accueillir le nouveau-né.
Ëlara, incarnation vivante de la Dame nature, se pencha avec une tendresse infinie sur Marie. Ses mains, irradiant un éclat vert doux, touchèrent le front humide de la jeune femme, dissipant instantanément sa souffrance. Le monde naturel répondait à son appel, l’atmosphère se remplissait d’une force bienveillante, presque perceptible. Les frondaisons des palmiers à l’extérieur chuchotaient des prières silencieuses, et une brise légère traversa l’étable, rafraîchissant l’air épais.
— Respire profondément, murmura Ëlara. Guide ton enfant vers la vie.
Les contractions de Marie s’intensifièrent, son corps s’orchestrant à l’accouchement. Ses paumes posées sur le ventre, la sage-femme chantonnait des incantations, tissant un lien mystique entre la mère et elle. Le foin s’agita sous elle, créant un nid protecteur.
Les vagues de souffrance se transformèrent en déluges de force, une puissance ancestrale sillonnant Marie, lui insufflant le courage de poursuivre. Le temps suspendit son cours, suivant les gémissements de la future maman, tandis que ses douleurs s’amplifiaient, devenant plus pressantes, plus insistantes. Un cri primal, perçant la quiétude, brisa l’équilibre, suivi d’un calme étouffant. Ëlara accueillit dans ses bras, enveloppé d’un éclat doré, symbole de la bénédiction de Kelly Darck.
Puis, les premiers pleurs de l’enfant résonnèrent, imprégnant l’espace d’une vie nouvelle, fragile, mais irrésistible. Caïn resta figé, tremblant légèrement, envahi par un vide soudain. Aëgir, perplexe, demanda :
— Père, que t’arrive-t-il ?
— Ce bébé... c’est la réincarnation de mon benjamin, que j’ai occis.
Il ne put terminer sa phrase, englouti par l’émotion et le fardeau des souvenirs qui l’accablait.
— Oncle Dieu ? s’exclama son fils.
Pour toute réponse, il obtint :
— Nous devons rentrer immédiatement !
Marie observait tendrement son poupon, lové en sa poitrine. Joseph, empli de fierté, se tenait à ses côtés, sa main appuyée sur son épaule. Ils écoutaient sans comprendre, sans peser le poids de cette déclaration. Tout à coup pris d’une intuition prophétique,
Aëgir ponctionna un fragment de Triton, qui se mua en un petit sceptre qu’il posa près de l’enfant.
— Je sens en toi un mage des eaux, ce présent grandira avec toi, fais-en bon usage.
Ëlara présenta une rose d’ambre qui ne flétrirait jamais, symbole de la beauté et de la protection perpétuelle de la nature. Quant à Caïn, encore troublé par les révélations de la nuit, il mit près du nouveau-né une dague d’argent.
Ëlara rejoignit Marie. Entre elles, un orbe doré oscilla, se consolidant petit à petit en une grasse bourse cuivrée.
— Cette bourse infinie vous apportera les moyens nécessaires pour le soin de votre précieux, souffla-t-elle.
Perlée de larmes, la jeune mère se tourna vers Caïn et, d’une naïveté émouvante, osa demander :
— Était-ce vous l’origine de cet enfant en moi ?
— Non, répliqua-t-il promptement.
— Pourquoi cette question ? interrogea Aëgir.
— Je n’ai jamais été avec un homme. Mon fils provient d’une conception sans tache.
Ses paroles ne s’apparentaient pas à une simple déclaration, mais plutôt à la manifestation d’une vérité, solide, gorgée du pouvoir d’une révélation sacrée.
Prête à voir ses visiteurs s’éloigner, la Vierge Marie, emplie de tendresse maternelle, teintée d’une conviction inébranlable, interpella Caïn :
— Nommez-le, articula-t-elle. Choisissez le prénom qui orientera sa destinée.
Face à cette demande inattendue, Caïn fut empreint de clairvoyance et, comme si le Paradis le lui murmurait, il décréta :
— Je le baptise Jésus !
— Ainsi, il sera Jésus de Nazareth, jura Joseph, s’engageant à en être le père.
Caïn s’arrêta au seuil de la chaumière. Sa conscience, vaste comme l’univers, s’étendit aux confins de la Terre. Il cherchait des anges déchus, dont la loyauté et la bonté n’avaient pas failli malgré leurs erreurs.
Les douze qu’il élit répondirent à son appel avec un frisson d’espoir, chacun marqué par ses propres épreuves, unies par la perspective d’une fonction câlicée :
— Vous formerez la confrérie des apôtres, annonça-t-il. Approchez-vous de lui, un à un. Veillez sur son parcours, assurez-vous que son innocence reste intacte face à l’influence de Lucifer.
Aëgir, à ses côtés, contempla l’horizon :
— Cette soirée est décidément étrange, même pour nous.
— En effet, acquiesça Ëlara. Mais l’énigme de cette femme au chaperon blanc demeure. Nous croiserons à nouveau son chemin, j’en suis certaine.
Alors que le trio s’éloignait, un astre au-dessus de Bethléem scintilla telle une balise dans la nuit, promettant l’aube d’un nouveau chapitre. Puis, unis par un élan commun, ils se laissèrent dissoudre en une myriade de particules qui s’éleva vers la ronde sélène.
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