Chapitre 14 : Un Moment de Répit

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Un ciel sans tache dominait les jardins raffinés du Palais de Khalarie, où régnaient tranquillité et sérénité. Les haies, taillées avec précision, dessinaient des motifs élégants, tandis que des fontaines projetaient des arcs d’eau scintillants. La mélodieuse complainte des clapotis se mêlait au chant des rossignols d’Aurore, nouvelle espèce dont le plumage soyeux passait du rose tendre au bleu lavande, puis à l’or pâle, en accord avec les phases du jour.

Roses anciennes et lys parfumés fleurissaient, tandis qu’une brise légère animait l’écosystème. Complice de cette scène enchantée, le vent enveloppait les sens d’une caresse apaisante, laissant une impression de plénitude.

Albus, majestueux angora noirâtre et blanc, reposait près de l’abreuvoir central. Il ouvrit mollement ses prunelles d’ébène, s’étirant paresseusement, ses pensées vagabondant parmi les reflets aquatiques. Autour de son cou, un collier de rubis, orné d’une pierre précieuse aussi éclatante qu’Hélios à son zénith, émettant des vagues subtiles de magie protectrice, rappelant à quiconque l’observait qu’il était bien plus qu’un simple matou impérial.

À ses côtés, Yvi, une chatte tigrée au port altier, veillait. Tout était calme.

Brusquement, une perturbation impalpable capta leur attention. Le ciel, jusque-là serein, se couvrit de nuages faramineux qui s’amoncelaient en une marée noire, noyant le soleil. Une brume épaisse, d’un gris perlé, envahit le jardin, enveloppant les statues et les plantes dans un cocon d’incertitude.

La température chuta. Un malaise s’installa. Même le Palais retenait son souffle.

Le poil d’Albus se hérissa, ses prunelles dorées s’embrasant pareilles à celles d’Enlil, son Maître, tandis qu’un grondement sourd s’éleva, faisant vibrer leurs pattes. Yvi se redressa, ses pupilles vertes se contractant en fines fentes. Les buissons frémirent, les arbres se tordirent, et les oiseaux, d’ordinaire si calmes, s’envolèrent dans un chaos désordonné, leurs cris perçants en une symphonie discordante.

Albus évolua en un colosse, ses muscles saillants sous son pelage lustré. Ses griffes, longues et affûtées tels des poignards de damas, se plantèrent dans le terreau, et un rugissement guttural s’échappa de sa gorge. Quiconque en avait perçu l’écho savait qu’il fallait s’en éloigner promptement.

Yvi, à ses côtés, n’était pas en reste. Sa forme tigrée s’étira, ses pattes devenant massives, capables de briser le roc d’un sobre coup. Ses crocs étincelaient, et son feulement, aussi terrible que celui de son compagnon, fut une déclaration de guerre à toute menace.

Une chaumière sinistre, surgie de nulle part, s’ancra au cœur du jardin. Le contraste entre la vieille bâtisse, faite de bois vermoulu et de pierres noircies par des âges d’abandon, et l’environnement soigné du Palais de Khalarie était frappant. Deux mondes diamétralement opposés s’étaient superposés.

Les chats se figèrent, prêts à bondir, leurs muscles tendus sous leur pelage brillant. Chaque souffle profond qu’ils expiraient envoyait des vagues de force qui traversaient l’herbe, la faisant frémir.

Malgré l’évidente terreur qu’ils inspiraient, la silhouette qui émergea ne recula pas. Au contraire, elle avançait, savourant l’effet de son apparition. D’abord indistincte, la forme se précisa. Son visage, ridé et buriné par le temps, ne montrait aucun signe de peur face aux félins colossaux.

— Voyons ! Vous n’allez tout de même pas menacer une vieille amie ?

Puis, en un instant, Kara se transforma, laissant place à Kelly Darck, drapée d’une robe de satin caramel vaporeuse et de semelles compensées, associées à un Fedora en paille assortie. Reconnaissant la Créatrice, ils retrouvèrent leur aspect initial.

— Vous avez bien agi, dit Kelly en cajolant Yvi, qui ronronna de plaisir. Même les guerriers les plus redoutables doivent savoir quand se retirer.

Alors que Kelly parlait, Albus se détendit enfin. Il s’approcha et se roula sur le sol, exposant son ventre pour recevoir des caresses. Kelly s’en amusa et s’agenouilla pour le gratter délicatement, provoquant un miaulement de satisfaction. Yvi, voyant son compagnon si bien traité, frotta sa tête contre la main de Kelly.

Elle passa alors un moment à les câliner. Albus, grisé, battit doucement de la queue, tandis qu’Yvi, les yeux mi-clos, se blottit contre Kelly.

— Vous êtes adorables.

Comme toujours, affirma Yvi.

Les deux félins s’inclinèrent en signe d’assentiment, puis revinrent près de la fontaine.

Kelly, les observant s’éloigner, laissa sa conscience s’étendre au-delà du jardin, parcourant les vastes corridors du Palais. Son esprit, aussi aiguisé qu’un rasoir, voyagea rapidement, cherchant son benjamin. Elle le localisa au sein de son laboratoire.

Satisfaite, Kelly emprunta les marches en pierre menant aux parvis du Couloir aux Portraits. CLAC, CLAC, CLAC… Le son résonnait. Elle s’arrêta un instant devant la toile d’Andromède. Son aïeule lui manquait, elle se languissait de son retour. Sans réfléchir, ses doigts effleurèrent le cadre doré, sentant la texture vieillie sous sa peau. Ses idées noires furent chassées tandis qu’elle rejoignait les miroirs Trinitaux. L’émeraude fut traversée.

De l’autre côté, l’effervescence régnait. Des magicologues en devenir, la plupart désuets érudits de l’ère des hommes, s’affairaient dans tous les coins d’une immense officine à plusieurs niveaux, organisés avec une précision quasi militaire. Des écrans holographiques projetaient des équations complexes, tandis que des automates sculptaient des runes millénaires dans des matériaux exotiques. Les machines fusionnaient la science et la magie avec une élégance que seul Warren pouvait concevoir. Tous portaient des costumes verts bleutés, cravates assorties, manipulant des essences jadis qualifiées de divines.

Chaque mouvement témoignait de la rigueur inculquée par son fils. Cependant, une ombre traversa ses pensées. Cette armée qu’ils constituaient, cette préparation minutieuse, serait-elle suffisante pour affronter la Destructrice et ses forces incommensurables ?

Elle inspira profondément, laissant l’odeur familière des incantations gravées et du métal enchanté emplir ses poumons. Ce parfum rappelait les longues nuits passées à veiller sur son fils, à s’assurer qu’il ne s’épuise pas dans ses recherches.

Kelly n’eut pas besoin de le détecter parmi la masse grouillante  ; son mécontentement la guida :

— Donne-moi ça, incapable ! Où as-tu appris à calibrer du chakra de cette manière ? Tu me désespères, Elon !

TAC TAC TAC TAC TAC...

À ce légendaire bruit de talon, Warren devina immédiatement sa présence et se tourna vers elle, un large sourire illuminant son visage. Cela faisait deux jours qu’il ne l’avait pas croisée. S’approchant, il l’enlaça avec force.

— Maman, tu es resplendissante, s’exclama-t-il. Manipuler le monde te va à ravir.

Bien qu’il fût un maître incontesté dans son domaine, sa mère lui rappelait qu’il restait, avant tout, un Roi soumis à des obligations, mais aussi un pilier de la famille, l’empêchant de se perdre dans sa folie créatrice. Kelly passa une main dans sa tignasse indomptée, sentant sa texture familière, et rit en se souvenant de ses premières tentatives maladroites en magie.

— Et toi, mon bébé, tes toujours autant charmant. Il serait temps de te trouver une femme !

— Tu es encore sur ce sujet, malgré la crise que nous traversons. Bon, si tu me permets de ne pas revenir dessus, je veux bien te faire quelques confidences.

Warren l’entraîna vers un recoin paisible, éloigner de l’agitation du labo central, où deux fauteuils de velours les invitaient au confort.

— Je fréquente quelqu’un, et si tout se déroule comme prévu, tu auras ton mariage royal une fois la menace des Anciens écartée... et avant que la prochaine ne survienne.

Contenant sa joie, Kelly tapota la table :

— Des nouilles aux crevettes épicées ; légumes façon wok.

Warren l’imita, et aussitôt, le plat au parfum enivrant se matérialisa, accompagné de couverts, d’une boisson et de condiments. Tout au long du repas, Kelly détailla ses récentes interventions, mêlant récits d’actions audacieuses et réflexions stratégiques, ponctuées de conseils avisés.

La fringale vaincue et le café savouré, Warren se redressa, vibrant de fierté, et annonça :

— J’ai quelque chose à te montrer.

Il claqua des mains, et le miroir dimensionnel se déploya en fractales d’émeraude, les transportant tous deux dans un immense espace. Devant eux, cinq vaisseaux mères, trois fois plus imposants que la Terre, flottaient dans le vide cosmique, entourés d’un halo pulsant.

— Ces titans de caste Créatrice abritent chacun une armada de guerre impressionnante, composée de 2 500 navires spatiaux de classe Imperator ; 1 500 de croiseur de classe King et 500 navettes de type Princesse.

— Comment as-tu pu élaborer quelque chose d’aussi extraordinaire en si peu de temps ?

— En premier lieu, j’ai façonné des miniatures, avant de les agrandir. La coque, en cuivre, diamonite, Karistal et onyx, a été sélectionnée pour ces matériaux aux propriétés uniques, aptes à canaliser et emmagasiner des chocs et de se réparer à l’infinie. Ce choix explique la fabrication initiale à petite échelle ; traiter ces minerais aurait pris des éons, mais en utilisant des techniques de compression industrielle alliées à l’alchimie, j’ai pu accélérer le processus.

Warren agita le vide, et ils se transposèrent dans le Vaisseau Amiral, spécialement conçu pour Kelly, nommé « L’Or Destiné ». À la fois palais et machine de guerre, il était un miracle d’ingénierie et de magie. Les corridors dorés, ornés de fresques mouvantes, racontaient les épopées des héros de l’univers forgées par la Créatrice, tandis que les salles de commandement étaient équipées d’écrans holographiques et de matrices de mana.

— Le pilotage se fait par la pensée, expliqua Warren. Les segments du triskèle peuvent se séparer, chaque partie étant capable de traverser des distances extrêmes. Ils peuvent devenir invisibles et sont protégés par dix-sept couches de boucliers indépendants.

Ce prodige était l’œuvre de son fils, l’aboutissement de siècles de savoirs accumulés. Mais malgré cette prouesse, une question persistait : cette flotte, aussi saisissante soit-elle, suffirait-elle à contrer la Destructrice et son armada ? Elle s’immobilisa un instant, touchant les murs scintillants, sentant la chaleur du vaisseau sous ses doigts, presque vivante, témoignage de la fusion parfaite entre technologies et magie.

— J’ai également intégré un système d’armement basé sur les concepts des missiles nucléaires humains, adapté pour créer des bombes de chakra susceptibles d’anéantir des planètes entières. De plus, chaque hublot est équipé d’un mécanisme de lancement de sorts. Il suffit qu’un soldat l’empoigne, visualise la cible, le maléfice, et pouf... Réponse dans la nano-seconde ; taux de réussite 100 %.

Kelly hocha la tête, impressionnée par l’ingéniosité de son fils, dont elle avait pourtant l’habitude.

— L’idée de canaliser de cette manière est brillante. Cela change complètement l’équation stratégique dans l’espace.

Ils continuèrent l’exploration jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent devant une porte imposante, gravée d’or et d’argent.

— Voici tes appartements.

Les battants s’écartèrent sur un véritable palais en miniature. Le salon, richement décoré, était baigné d’une lumière naturelle.

Elle caressa du bout des doigts les objets familiers disposés sur des étagères : des sculptures en cristal façonnées par ses fils lorsqu’ils étaient enfants, des bouquets de fleurs, et des photographies de famille. Chaque détail parlait d’amour et de dévotion, chaque pièce racontait une histoire, un souvenir partagé.

Un corridor menait à une chambre où les parois étaient couvertes de soie, le lit drapé de lin fin. Une salle de bains somptueuse, avec une piscine intérieure, et une immense terrasse offrant une vue imprenable sur les étoiles complétaient cet écrin de luxe. Kelly se permit un moment de flânerie, rêvassant les nuits tranquilles qu’elle pourrait passer ici, loin des tourments de l’univers.

— Warren… C’est au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer !

— Je voulais que ce soit plus qu’un simple lieu de repos entre deux batailles ou conseils de guerre ; qu’il soit une extension de toi, un refuge où tu pourrais te ressourcer.

Kelly, submergée par la gratitude, l’étreignit.

— Cet endroit est parfait.

D’un claquement de doigts, le magicologue les reconduisit face aux cinq triskèles démesurées. S’attarder sur ce tableau de grandeur et de décadence martiale la scotcha, mais ne l’empêcha pas de remarquer que chacun était constitué du minerai catalyseur correspondant à son capitaine : rubis pour la force, émeraude pour la sagesse, tanzanite pour la ruse, améthyste pour la vision. Elle prit une profonde inspiration, sentant le poids des responsabilités s’alléger un peu, rassurée par une telle puissance sous son contrôle.

Warren replia l’espace, les ramenant sur leur siège de velours du laboratoire principal. Toujours pragmatique, son benjamin demanda :

— Quel était l’objet de ta visite ?

— Une mère ne peut visiter son garçon sans raison ?

— Pas quand elle doit manager des dimensions, des paradoxes et d’autres choses farfelues pour tous nous préserver...

— En effet, il est temps que tu te rendes en 2009, sur Terre 3. Baphomet a besoin de toi pour développer son potentiel en magicologie.

Warren acquiesça, prêt à relever ce nouveau défi, mais une idée lui chatouilla les méninges, donc il imposa le calme d’un sifflement. Ayant désormais toute l’attention, il clama :

— Hey, les gars, que diriez-vous d’un déplacement professionnel de quelques années ? Ce sera l’opportunité parfaite d’élargir nos connaissances et de peaufiner notre armement. Cela ne paraîtra pas plus de quelques jours ici.

Les sorciers, enthousiastes, acclamèrent la proposition. Alors leur boss ordonna :

— Rentrez chez vous, préparez vos affaires, prévenez vos familles. Nous nous retrouverons à l’entrée du Reflet de l’Univers dans trente minutes.

Ils s’éclipsèrent rapidement, traversant la réverbération de sortie. Bien que curieuse de l’expédition à venir, Kelly préféra se consacrer à un moment plus personnel. Passer du temps avec ses petites-filles était une occasion rare et précieuse. Des stylistes renommés, rêvant d’habiller le clan royal, étaient au programme. Ce moment promettait d’être riche en complicité, d’autant plus que Lyana participait à l’aventure.

Kelly entrevoyait déjà les échanges légers, les rires, savourant d’avance cet instant de normalité au milieu de leurs vies extraordinaires.

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