Chapitre 15 : Perception transcendante

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Chaque jour à six heures, sur Terre 3, la villa Siriki se volatilisait soudainement. En ce matin de l’an 2099, elle quitta les côtes d’Afrilithe du Nord pour réapparaître en un éclair parmi les brumes maritimes, dominant les rives de Massilia. Ce chef-d’œuvre d’architecture enchantée s’intégrait au paysage, ses jardins luxuriants tranchant avec les embruns marins et les effluves épicés des marchés voisins.

Sous cette scène envoûtante, Baphomet, âgé de seize ans, se livrait à un entraînement rigoureux. Tandis qu’il appliquait les principes taoïstes dans le kung-fu, son clone, engagé dans une pratique de Tai-Chi, perfectionnait l’art de manipuler les flux telluriques. Les tatouages djiniques, apparus avec sa puberté, pulsaient en accord avec sa force croissante. Ses mouvements sculptaient ses muscles tendus, et la sueur perlait le long de ses cheveux d’ébène. Il persévérait jusqu’à l’épuisement total, avant de dissiper son double dans une brume colorée.

Derrière la baie vitrée du salon, Nick, les sourcils légèrement froncés, observait son fils plonger dans l’étang violacé. En réflexion, il en fut extrait par une main ferme qui se posa sur sa taille. Enlil s’avança, tirant doucement les rideaux de soie, tamisant l’ambiance.

— Massilia lui va à merveille, murmura l’Imperator. Nous devrions envisager de rester. À chaque visite, j’ai vu son épanouissement ; ici, il a des amis, et surtout il a besoin d’un environnement stable.

Faussement détaché, Nick rétorqua :

— Et surtout, c’est proche d’Avalon. Tu pourras te transformer en père poule pour sa dernière année.

À l’espièglerie qu’arborait son mari, le Seigneur des Djinns comprit qu’il mijotait quelque chose. Exploitant leur lien symbiotique, il s’enfonça dans ses pensées, fouillant jusqu’à dénicher l’entourloupe imaginée. Puis, il l’avertit :

— Pas question que tu deviennes professeur. Tu sais que notre fils a exigé de respirer, de se construire par lui-même. Et puis, soyons honnêtes, tu risques de muer les cours en guerre ouverte. Mieux vaut éviter d’ajouter du chaos à notre situation.

Enlil haussa niaisement les épaules :

— Visualise juste le désespoir de cette vieille harpie d’Estrella face à ma présence quotidienne !

— L’idée sera intéressante l’année prochaine !

L’entrée gracieuse de la bonne en déshabillé de satin les interrompit. Jouant des hanches, elle déposa des pâtisseries sur la table avec une aguichante obscénité. Près de Nick, elle murmura avec sensualité :

— Ce soir, les plaisirs surpasseront largement ces gourmandises.

Affriolé, l’Imperator attrapa un fruit qu’il porta à ses lèvres, un rire suave s’échappant de sa gorge. en lançant une œillade sans équivoques au majordome, il susurra :

— Vous avez un talent pour rendre l’hospitalité… irrésistible...

Ce dernier, vêtu d’un short moulant son fessier et d’une chemise de lin suffisamment échancré pour apprécier le lustre de sa peau bronzée, passa « accidentellement » sa main sur celle de son employeur et répliqua :

— Je ferai n’importe quoi pour vous satisfaire ; le moindre de vos désirs est un ordre.

Nick surenchérit :

— Pourquoi ne pas ajouter un peu plus de piquant à cette soirée ? Qu’en pensez-vous ?

D’une sensualité empreinte de promesses à peine voilées, les serviteurs se retirèrent laissant derrière eux un parfum enivrant, une anticipation délicieuse pour les plaisirs à venir.

Humide de sa baignade, Baphomet fit son entrée. Aussitôt, Nick ressentit un picotement à la base de sa nuque, signe que quelque chose n’allait pas. De plus près, son fiston présentait à l’abdomen les stigmates d’une blessure se résorbant. Sentant ses interrogations, froidement le Prince déclara :

— Hier soir, alors que je m’apprêtais à conclure avec de sublime jumelle rousse, j’ai été attaqué, annonça l’enfant prodigue. J’ai dû en éliminer deux, les réduisant en poussière. Un autre, désormais manchot, s’est enfui.

Enlil serra les poings en imaginant les souffrances que le chef du Prieuré Inquisitoire subirait s’il avait l’occasion de l’affronter. Nick, tout aussi impassible, déposa sa tasse en porcelaine avec une lenteur mesurée. Malheureusement, l’accord avec Avalon les contraignait à rester en retrait des affaires de la planète. Pour Baphomet, cette situation n’était qu’un prélude à un jeu qu’il maîtrisait déjà, un défi qu’il accueillait avec une sérénité implacable ; il connaissait sa destinée et était impatient de la réaliser.

L’ado transforma son short de bain en un sarouel noir qu’il assortit à un débardeur blanc ajusté. Un éclat amusé traversa ses prunelles hétérochromes alors qu’il secouait paresseusement ses cheveux pour les sécher. Absorbé par l’idée de farniente au bord des eaux turquoise de la cité phocéenne, il s’installa à table et saisit une goyave.

Simone de Medicis, Pythie de la Terre, descendit les escaliers en colimaçon, sa robe de soie émeraude glissant avec une grâce naturelle.

— Mon trésor, l’appela-t-elle douce, mais empreinte d’autorité.

Plongé dans son assiette, Baphomet releva le menton :

— Bonjour, maman !

Elle insinua ses doigts dans sa crinière mouillés, ses bijoux scintillant sous les premières lueurs du jour, puis inclina la tête pour offrir sa joue à son baiser.

— J’ai cru entendre que ta soirée avait été mouvementée !

— Pas plus et pas moins que d’habitude, ne t’en fais pas !

Maman fit la bise à Enlil, puis à Nick, qui, la bouche pleine, s’extasia :

— Mmm... ces croissants sont... mmm... exquis.

Les éclats de rire et les compliments sur les mets ponctuaient encore les échanges vifs lorsqu’un grondement sourd résonna, ébranlant Baphomet. Une puissance irrésistible s’approchait, envahissant progressivement l’espace. À mesure qu’elle gagnait en intensité, l’ado ressentait une pression croissante sur son être. Une impression qu’il n’avait connue qu’en présence de ses vieux.

Sa chaise glissa brusquement vers l’arrière sous la force de cette vague invisible. Instinctivement, sa main se posa sur sa poitrine, essayant en vain de calmer la chaleur. Il tenta de se lever, mais ses jambes refusaient de bouger. Un sentiment d’urgence grandissait, tandis que respirer devenait laborieux.

Déconcerté, il se tourna vers ses parents, espérant y trouver une explication. Ce qu’il vit accentua son désarroi : un soulagement, comme si une attente venait d’être comblée. Luttant pour dompter le tourbillon d’émotions qui le secouait, il chuchota :

— Que dois-je comprendre ?

Soudain, un type entra sans frapper, un matou noir et blanc dans les bras.

— Oncle Warren!

Le félin, impatient, s’élança immédiatement sur Enlil et cala sa tête dans son cou :

— Bus-bus, le gros chaton de son Papa ! Tu m’as tellement manqué !

Satisfait, le minou ronronna avant de diriger son odorat vers Baphomet. Sentant une similitude avec l’arôme de son maître, il bondit avec aisance sur les genoux de l’adolescent. Après l’avoir reniflé, Albus le fixa de manière insistante et, par une subtile impulsion psychique, fit deviner son désir :

— Caresse-moi.

Bien que toujours sous le coup de l’émotion, il céda à son charme. Pendant ce temps, Papa accueillit chaleureusement son benjamin, dont l’absence avait cruellement pesé sur son existence. Heureux de revoir son brillant beau-frère, Paps lui donna une poignée de main virile. Son attention détournée du chat, Baphomet jaugea l’individu et se rendit compte qu’il était tout aussi impressionnant et charismatique que son père. Ils se ressemblaient beaucoup, mais le visiteur était plus grand et plus massif :

— T’es vachement plus saisissant que dans mes rêves, Tonton !

Warren ouvrit les bras, son neveu redevenant un instant un enfant, content de rencontrer en chair et en os un membre de sa famille, s’y précipita :

— T’es le portrait craché de Darrius, affirma-t-il, enjoué.

— Qu’est-ce qui t’amène ici ? s’étonna Baphomet.

— Ta grand-mère m’a chargé de te former aux mystères de la magicologie.

— Je suis déjà ces cours à l’université, répliqua l’adolescent.

Ses parents et son oncle éclatèrent de rire.

— Quoi ? Vous trouvez Aëgir si médiocre ?

— Oh non, pas du tout, le rassura tonton se gaussant. Mais ce que je vais t’enseigner, seuls les Darck peuvent le maîtriser.

— Si j’ai bien compris son histoire, il est aussi un Darck.

— Pas de la lignée de la Créatrice. Il vient de celle d’Andromède, dont l’âme a servi à forger l’existence d’Elara, de même pour Merzhin avec Caïn.

— C’est super compliqué ton truc. En bref, c’est un Darck de secondes zones...

Simone se leva et embrassa le magicologue qu’elle adorait, mais ne pouvait le montrer devant son fils, au risque de révéler leur lien secret :

— Bien que cela fasse des siècles que nous ne nous sommes pas croisés, je dois partir !

Elle se tourna ensuite vers ses co-parents :

— Une réunion du Conseil Avalonien m’attend. Je pense rester à la Termitière de Jade quelques jours. Nous cherchons un moyen de pousser la population à se dépasser ; selon Lynéxia, nous vivons dans une satisfaisante torpeur sociétale.

— Elle n’a pas tort, affirma l’Imperator.

La Pythie sortit sa baguette émeraude de son décolleté, la pointa et psalmodia sa destination. Une explosion verdoyante émergea, formant un vortex. Elle le traversa avec grâce. Alors que le phénomène s’atténuait, le génie s’exclama :

— Maintenant, je comprends pourquoi c’était elle que maman a choisie pour mère et non une autre. Je suppose que de mon point de vue c’était notre première rencontre, mais pas du sien...

Par télépathie, Enlil l’invita à ne plus jamais soulever le sujet en présence de Baphomet, et détourna la conversation :

— Combien de temps s’est écoulé en Khalarie depuis mon exode ?

— Une semaine.

— Et ici, seize ans... Kayna et Lya me manquent, avoua Enlil, nostalgique.

— Figure-toi que c’est justement cette dernière qui a annoncé ta fuite à maman.

— Oh, je me doutais bien qu’elle le ferait ! J’imagine la frustration de Kelly de ne pas pouvoir réprimander le messager.

— Tu es trop retors, mon frère !

Le Magicologue donna des nouvelles de Khalarie, des découvertes récentes et du plan de Kelly en action, laissant entendre implicitement que son neveu en serait le champion. Cela inondait les pères de fierté ; il accomplirait ses premiers exploits intergalactiques avec bien plus d’expérience, d’armes et de soutien qu’ils n’en avaient eus lors de leur première aventure. Ils faisaient confiance à la grand-mère du jeune homme pour veiller à ce qu’il ait des appuis solides à portée de main, plutôt que de se mettre en première ligne. Et surtout, comme tout Darck, il remplirait son devoir envers la Création. Enfin, le visiteur déposa son verre et fixa Nick avec une intensité nouvelle :

— Kelly m’a commandé des vaisseaux surpassant tout ce que nous connaissons. J’ai besoin de spécialistes pour les entretenir. Ensemble, nous pourrions éduquer une génération de prodiges capables de les maintenir. En Khalarie, les sujets sont trop frivoles pour prendre ce genre de choses au sérieux.

Très intéressé, le Seigneur des Djinns demanda :

— Comment envisages-tu de procéder ?

— En fondant le Darck Magicologium ! Une entreprise pionnière dédiée à la conception et à la diffusion de nos innovations. Nous y recruterons des talents d’exception, les formerons aux subtilités de notre savoir-faire et introduirons notre art au monde entier, s’exalta-t-il.

Enlil se redressa légèrement :

— Et moi ? comptes-tu m’exclure de ce projet ?

Son benjamin sortit une lettre scellée de sa veste :

— Lis-la !

Il déchira l’estampille et parcourut les lignes avec attention. Peu à peu, son expression s’adoucit :

— Mère me charge d’enrôler les plus puissants de Terre 3 pour en faire les futurs officiers de la flotte Darckienne, déclara-t-il.

— Exactement. Pendant que nous modèlerons ces prodiges aux commandes des vaisseaux, toi, tu rassembleras les élites qui les mèneront au combat. Le modèle que je vous destine est une forteresse capable d’exploiter vos chakra au maximum, révéla Warren.

Nick, intrigué, le fixa :

— Parle-moi de ce vaisseau. Quels sont ses atouts principaux ?

Il se pencha légèrement en avant, comme pour partager un secret :

— Cette merveille est une extension de vous deux. Il peut canaliser et amplifier vos aptitudes, créer des boucliers impénétrables, et même manipuler la réalité sur des distances limitées. Ce n’est pas simplement un moyen de transport ; c’est une arme redoutable, un outil de conquête et de protection, expliqua-t-il, dévoilant ainsi l’envergure du projet.

Bien que captivé par la discussion, Enlil était déjà ailleurs, tissant son plan.

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