Chapitre 16 : De l’huile sur le feu

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À deux heures du matin, la villa Siriki reposait dans un calme interrompu uniquement par le balancement des lanternes extérieures. L’Imperator et le Seigneur des Djinns, une coupe de champagne en main, sortirent des appartements du majordome et de la servante, frusqués seulement de sous-vêtements.

— Je ne m’attendais pas à une telle tournure pour la soirée, susurra Nick.

— Une expérience... singulier, acquiesça Enlil.

Encore empreints des réminiscences charnelles, ils se dirigèrent vers leurs chambres. Nick chercha réconfort et chaleur sous les draps, tandis qu’Enlil se rendit au dressing pour enfiler un survêt en soie et des baskets vintage.

— Où vas-tu à cette heure-ci ? fit son partenaire, mêlant fatigue et désir.

Enlil s’appliqua un parfum boisé et ajusta sa montre :

— Je dois faire le point avec Orin et Estrella au sujet de la mission confiée par ma mère, précisa-t-il.

Abusivement boudeur, le djinn étira les bras vers son amant.

— Vraiment ? Tu pourrais te reposer un peu...

Enlil vola un baiser, puis se dégagea :

— Patience. Je reviendrai bouillant !

Trop épuisé pour prolonger cette lubie nocturne, qui aurait pu attendre jusqu’à 14 h, Nick avala son champagne d’un trait. Cherchant à échapper à l’éclat du vortex, il se cacha sous la couette. En un instant, le tourbillon emporta l’autre moitié de son cœur vers la côte d’Armorique, laissant une villa bercée par la douceur de la nuit.

Face à Avalon, bordée par l’atlantique, Enlil examinait la muraille ornée de glyphes protecteurs qui délimitaient l’horizon. À l’entrée se dressait une immense porte d’obsidienne, arborant une figure où l’âme fusionnait avec le minerai. Il reconnut Yara, l’ancienne Reine des Amazones, dont l’attitude trahissait méfiance et désapprobation. Son attention se porta sur le dôme dominant la ville. Composé de fils de mana entrelacés, il capturait les rayons lunaires pour former un bouclier.

Se dirigeant vers un vieux cyprès aux branches tortueuses, l’Imperator effleura l’écorce. À ce contact, un rameau céda et se transforma en balai. Un instant plus tard, il l’enfourcha et s’éleva, savourant le contraste entre la fraîcheur nocturne et l’ardeur de la soirée écoulée. Propulsé avec force, il fonça vers l’entrée, qui hésitait à lui accorder le passage. La porte, prise de panique, s’ouvrit à la hâte, craignant d’être endommagée. Derrière elle se dévoilèrent les quatre fiefs élémentaires : l’Atlantide, royaume des contrôleurs de l’eau ; la Termitière de Jade, territoire des maîtres de la terre ; le Manoir Diamonite, forteresse des seigneurs du vent ; et le Palais de Rubis, bastion des virtuoses du feu. Dans l’ancien temps refuge serein des Mages, Druides, Magimale et Sorcière, Avalon était depuis dix-neuf siècles le siège de l’Université des Arts invisibles. Cette institution était guidée par le mystérieux Druide de l’Obscur...

Enlil plongea et ralentit. En dessous, la pelouse changeait de teinte à chaque mouvement, offrant un spectacle de couleurs fluctuantes. Plus bas, des étudiants restés durant les vacances, vêtus de soutanes rouges, bleues, laiteuses ou vertes, scrutaient les étoiles à travers d’antiques télescopes. Il vira à 180°. Sur une vaste plaine surplombée d’un volcan, des dragons effectuaient des manœuvres impressionnantes sous la surveillance attentive de leurs partenaires. Parmi eux, un blanc possédant une pupille d’or et l’autre cobalt, déployant une aura identique à celle de son œuf toujours pas éclos. Vif d’esprit, il comprit immédiatement qu’il avait affaire à un paradoxe, fruit des manigances de sa mère.

En survolant le Manoir Diamonite, une certaine satisfaction l’envahit. Le projet qu’il avait inspiré se dressait, solide et majestueux, tel qu’il l’avait envisagé. Nasëem avait su concrétiser ses idées avec brio. Il atterrit sur le parvis, et son balai se dissipa en une fine brume mordorée.

À l’intérieur, les druides en robes immaculées interrompirent leurs activités, l’attention générale convergeant sur lui. Les chuchotements cessèrent, et les parchemins suspendus se rangèrent doucement. Enlil traversa les couloirs, comme l’aurait fait le propriétaire des lieux. Ses pas glissaient sans bruit sur le sol poli. Un parfum de terre ancienne flottait, empreint d’une force primitive.

— Seigneur Enlil... commença un druide, sans toutefois oser poursuivre.

Il s’arrêta devant un Karistal enchâssé dans la paroi. À peine le contact établi avec la surface glaciale, des filaments argentés se déployèrent, révélant une entrée translucide. Le Solarium transparut sous un ciel parsemé d’étoiles, protégé par un dôme. Il avança vers le trône d’onyx, orné d’une dorure subtile. Le siège l’absorba avec une fluidité presque inquiétante. D’un simple mouvement, une bille de chakra jaillit, rebondissant contre les murs et traçant des motifs dans l’espace ; déclenchant ainsi les charmes d’intrusion.

Une tornade aqueuse s’amena alors, et l’Empereur d’Atlantide en émergea. Vêtu d’un pantalon de satin azur, Orin arborait un torse marqué par une cicatrice nécrosée, allant de l’épaule à la taille. Sa longue chevelure formait un chignon, maintenu en place par son sceptre réduit.

À sa suite, une sphère de braise surgit avec un grondement. Elle se dissipa en cendres, dévoilant la souveraine du Palais de Rubis. Sa colère était manifeste.

— Tu enfreins nos accords en venant sans prévenir ! rugit Estrella.

L’intrus demeura imperturbable, et, avec ironie, déclara :

— Toujours prompt à t’enflammer avant de saluer.

Orin, calme, mais ferme chercha à désamorcer l’animosité régnante :

— Il aurait été judicieux de nous informer de ta visite à l’avance et de solliciter notre réflexion à un moment plus approprié que le milieu de la nuit. Peu importe ton besoin, il pouvait attendre !

L’attention du touriste se détourna de la Sorcière pour se concentrer sur le Mage :

— Ah, Orin, répliqua-t-il, où serait l’intérêt sans un peu de spectacle ?

Enlil déplia un parchemin enchanté sur une table en bois. Immédiatement, la surface se révéla animée, avec des glyphes et des symboles en mouvement :

— Voici les Jeux Sorcellériques, annonça-t-il. Leur influence sera immense, et il est temps d’en discuter.

En déplaçant sa main, il fit apparaître des diapositives illustrant les événements envisagées. Les images de combats magiques, d’arènes flottantes, de labyrinthes en flammes et de créatures mythiques se succédaient, chacune accompagnée de descriptions détaillées et de schéma appropriés. Des inscriptions dorées se superposaient, clarifiant les mécanismes des épreuves et les interactions prévues. Certains passages se mettaient en avant pour signaler des éléments cruciaux ou nécessitant des ajustements. Le parchemin affichait également des sections pour les remarques, intégrant des suggestions et des alternatives pour les défis. Ce support qu’il travaillait depuis des années, lui permettaient d’adapter et de perfectionner les concepts des Jeux Sorcellériques avec finesse.

Estrella avança brusquement, provoquant ouvertement l’Imperator :

— Encore une de tes extravagances ? siffla-t-elle.

— Ambitieuse ? Peut-être. Mais c’est exactement ce dont nous avons besoin. Un incitatif pour motiver vos sujets, qui se vautrent dans la contemplation et l’érudition, croyant être à l’abri.

Un moment de réflexion suivit. Orin, après un léger soupir, prit la parole :

— Écoutons-le. Il mérite au moins de présenter son idée.

Enlil posa les chausses sur le bureau, invoqua un verre de bourbon et précisa :

— Simone, Lynexia et Jésus ont déjà approuvé la proposition. Leur soutien garantit la faisabilité du projet. Je suis ici pour le formaliser.

La souveraine, les poings serrés, manifesta une irritation croissante :

— Nous sommes les Rois de ce monde, pas des sous-fifres à ta botte !

Son timbre résonna, la chaleur autour d’elle augmentant. Imperturbable, Enlil croisa les bras :

— Ta colère ne changera rien. Les accords ont été respectés jusqu’ici. À présent, il est temps d’adapter les règles. Les défis à venir exigent des lois nouvelles. Vous êtes censés savoir mieux que moi de quoi il s’agit…

En un éclair, Estrella déclencha un torrent de feu. Orin, paralysé, resta muet, saisi par la terreur. L’Imperator étouffa l’attaque avec aisance.

— C’est tout ce que tu as à offrir ? lança-t-il, empreint de mépris. Penses-tu vraiment pouvoir m’atteindre ? Les Jeux Sorcellériques ne sont pas une option, mais une nécessité. Le monde évolue, et sans ajustement, nous serons écrasés. Vous devriez mesurer le danger que représentent les Anciens.

Calme, il fit tourner lentement sa chevalière autour de son doigt :

— Ce projet se déroulera à Massilia, précisa-t-il. Mon ambition est d’en devenir le gouverneur.

La colère de la souveraine monta d’un cran.

— Le poste est déjà attribué ! s’écria-t-elle. Il est inconcevable de le prendre ainsi, sans respect pour les accords en place !

— Il vous appartient de promouvoir cette personne ailleurs… ou de la licencier si elle n’est plus à la hauteur. Sinon, je n’hésiterai pas à la pousser moi-même… littéralement.

Presque hystérique, Estrella ouvrit la bouche pour répliquer, la provoquant par distraction, l’Imperator surenchérit :

— Ce projet doit voir le jour, que cela vous plaise ou non. L’opportunité de participer est offerte. Libre à vous de saisir cette chance...

Orin, calme, repris :

— C’est indéniablement ambitieux. Malheureusement, cela nécessitera des ressources, une coordination, et surtout une préparation minutieuse. Un bouleversement de cette envergure ne peut être envisagé sans un plan précis.

Enlil se fit plus glacial.

— Je comprends ta prudence. Mon rôle ici est d’informer, non de demander la permission.

— C’est ainsi que se déroule le dialogue ? gronda-t-elle. Crois-tu vraiment pouvoir imposer ces Jeux comme une obligation ? Nous avons nos responsabilités, nos propres réalités à gérer ! Ton arrogance te mènera à ta per…

Avant qu’elle puisse poursuivre, Enlil, implacable, la toisa. Puis, revêche, son aura écrasante se déversa sur la Sorcière. Estrella, sous l’effet de l’intensité, voulut reculer, mais ses jambes restèrent figées.

— Tu ne fais pas le poids, Sorcière. Et jamais tu ne le feras. Alors, abstiens toi, petite ingrate. Car sans moi rien de tout ceci ne serait à toi ! Apprends à respecter ceux qui t’ont fait et peuvent te défaire.

De la main, il accentua l’influence. Les genoux de sa victime cédèrent sous l’effort de résistance. Finalement, Estrella tomba à genoux, suffocante. Ses yeux, son nez et ses oreilles saignaient. Orin ne put intervenir, conscient de la force destructrice de l’Imperator. Enlil, relâchant enfin la pression, murmura avec une froideur calculée :

— La prochaine fois que tu te dresseras contre moi, ce ne sera pas en privé. Ce sera en public, et tu n’auras aucune échappatoire.

Bien que contrarié par la maltraitance de sa cousine, l’Empereur conservait sa sérénité.

— Tout cela pourrait être évité avec plus de modération. Tu es ici parmi tes égaux, non tes ennemis.

— Mes égaux ? ricana-t-il. Je n’en ai plus depuis longtemps. Et tu le sais.

— Nous allons en discuter, trancha le Mage.

— Préparez-vous. Les Jeux auront lieu, avec ou sans vous. Ah, oui... Warren est arrivé ce matin avec trente-neuf magicologues. Ils ont désormais le statut d’ambassadeurs de Terre 1, et toute question les concernant doit m’être adressée.

Orin et Estrella froncèrent légèrement les sourcils, alors il précisa :

— Warren ne vient pas pour organiser. Il est là pour fonder le Dark Magicologium, exempté de toute ingérence d’Avalon. Veillez à ce que cela se passe sans incident.

L’Imperator quitta le Solarium.

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