Chapitre 18 : Armures de Légende

8 minutes de lecture

— Pour les Jeux Sorcellériques, c’est là, déclara Baphomet en pointant une devanture.

Mirage Couture s’élevait avec audace, ses angles ciselés dansaient avec les reflets du quartier. Le lieu exhalait un charme voilé, un appel muet à franchir son seuil, promettant au-delà des façades bien plus que des vêtements.

L’intérieur respirait le raffinement. Le propriétaire, silhouette élancée et aristocratique, avançait avec une élégance naturelle, la queue de pie effleurait ses jambes. Sa tenue, finement brodée de constellations, témoignait d’un style soigneusement cultivé. Son gilet lie de vin ajoutait une touche de chaleur royale à son attitude sophistiquée. Lorsqu’il aperçut Nick et Warren, personnalités publiques, son enthousiasme fut visible, bien qu’il restât professionnel. Les autres demeuraient un mystère, probablement des Darck venus de Terre primale. Sans broncher, habitué aux caprices des bourgeois, il ravala sa surprise et s’inclina respectueusement. En découvrant Enlil, clôturant la file, son excitation monta d’un cran :

— Monsieur le Gouverneur ! Tom Ford, pour vous servir ! Quel honneur de vous recevoir dans ma modeste boutique ! Je suppose que vous cherchez une tenue digne de votre... prestance pour les Jeux ?

Flatté, le concerné esquissa un rictus avant de rétorquer avec nonchalance :

— Ne soyez pas ridicule, mon ami... Ce sont eux les participants.

L’index dirigé vers les adolescents fit vaciller un instant le couturier. L’évidence ne tarda pas à s’imposer : ces jeunes possédaient plus de pouvoir que l’ensemble des habitants de la ville. En bon observateur, son attention se focalisa sur leurs silhouettes, jaugeant leur morphologie, leur posture, et le charisme qu’ils dégageaient.

— Ah, bien sûr, bien sûr... Veuillez me suivre à l’arrière-boutique.

Derrière les rideaux de soie brodée s’ouvraient un atelier tamisé, empli d’es effluves subtils de cuir fin et des tissus rares. Des tentures majestueuses tapissaient les cloisons, et tout, jusqu’au moindre détail, transpirait la perfection.

— Ceci est mon sanctuaire.

Tournant les talons, il s’orienta vers une étagère où reposait une baguette de jade qui sauta dans sa main. En exécutant des rotations savamment orchestrées, il murmura une incantation. Des frissons coururent ses moustaches, signe qu’il maîtrisait un art antique. Immédiatement, des compas d’argent et des mètres émergèrent de partout, s’élançant vers les modèles, tel un essaim de butineuse.

— Vous aurez autant besoin de protection que d’élégance.

Les rubans virevoltaient, traçant des arabesques raffinées, mais l’un d’eux s’arrêta brusquement, flottant près du Prince, comme s’il hésitait, dérouté par sa substance infernale, avant de reprendre son travail. Un tressaillement parcourut l’assemblée lorsque Mister Ford s’écria :

— Là, là ! Je perçois déjà les résonances d’une tenue parfaite !

D’un tapotement subtil contre le mur, deux bibliothèques incrustées furent aspirées par le marbre :

— Vos Altesses, prenez place au cœur de ces alcôves.

Les cousins s’exécutèrent se retrouvant chacun au centre d’un pentagramme. Ses branches, une à une, hébergèrent des cierges rougeâtres. De par l’immobilité des flammes, il était certain que même le souffler du grand méchant loup n’aurait pu les faire vaciller.

— Alors, Miss, quelle essence désirez-vous insuffler à cette armure ? Une guerrière intraitable ? Une stratège impitoyable ? Ou... une créature aux mille visages, instable et insaisissable ?

Kayna ressentit le mana de l’artiste sur sa peau. Sa réponse jaillit :

— Pourquoi choisir quand on peut tout avoir ? Une défense complète adaptée à n’importe quelle condition ; une souplesse sans compromis ; la capacité de réinventer mon apparence à volonté ; un système d’hydratation sous-cutanée activé par les fibres de la tenue, ainsi qu’un dispositif de projection holographique lié à ma pensée pour tromper mes adversaires.

Impressionné par les exigences précises de sa cousine, qui avait compris instinctivement le fonctionnement de tout ceci, à son tour, Baphomet étala ses besoins :

— Je veux une combinaison qui se camoufle parfaitement, peu importe l’environnement. Elle doit inclure un espace de stockage intégré, ainsi qu’une armurerie accessible en permanence. Je ne tolérerai aucune restriction de mouvement. Ta création devra s’ajuster à mes transformations, se régénérer par ma magie, et ne nécessitera aucun entretien.

— Cela imposera une quantité massive d’Avaloni, lança-t-il, en braquant son attention vers les adultes.

Enlil, attendri par Lya blottie contre lui, et sa poupée nichée dans les bras de Kieran, ou peut-être était-ce l’inverse, chuchota :

— Peu importe, si c’est ce qu’ils désirent.

Ravi de voir ses traites enfin remboursées, Mister Ford moulina le poignet avec assurance. Sa baguette scintilla, projetant une étincelle qui fusa vers un tableau au-dessus de la cheminée. Les flammes verdoyantes, dans une danse hypnotique, vinrent lécher le cadre. L’effigie du modiste en émergea, instrument en main. Les Darck, figés dans l’incrédulité, n’avaient jamais été témoins d’un tel prodige. La copie salua le véritable avant de se placer devant l’alcôve de Baphomet.

— Que le spectacle commence ! clamèrent les stylistes.

D’un seul élan, “Tom et Tom” brandirent leur Régalia. Sous les pieds des jeunes gens, une vapeur dense, plus solide qu’elle n’aurait dû l’être, s’échappa. D’abord, les manifestations vrillèrent autour d’eux, s’imprégnant de leur essence. Puis, à la manière d’un soufflet, elles retombèrent et se muèrent chacune en un podium de Karistal. Emportés par cette estrade naissante, ses prestigieux clients furent élevés.

L’original fixa le gramophone et avança une paume vers le bras en métal, effleurant le disque de platine… et l’aiguille s’y posa délicatement. Un crépitement émergea puis se transforma en une résonance grave, jaillissant des entrailles de l’instrument. La première note des quatre éléments de Vivaldi s’épanouit, cristalline et limpide, évoquant le chuchotement d’un ruisseau serpentant à travers une clairière enchantée.

Un brouillard azur s’exila du cor, formant un nuage au-dessus des artistes. Warren, souhaitant préserver la solennité, s’exclama par télépathie :

— Il est de la Terre et pourtant l’eau lui obéit ! Ce gars est épatant.

En effet, répondit Nick. Cette pluie fine nourrit son pouvoir. Mais chut ! Attendons la suite…

Chaque sonorité rappelait des cascades étincelantes et des perles d’écume chutant sur des feuillages délicats. Concentrés, ils s’engagèrent dans son œuvre. Ses imaginations s’éveillaient, connectant sa psyché aux estrades. Cette musique devenait le conducteur de cette expérience unique. L’élan créatif grandissant, sa tension montait et en symbiose réverbératrice, les Modistes sentirent que le moment était venu...

À leur signal imperceptible, les rouleaux, les peaux tannées, les lingots de Kevlar, d’or, de Karistal et de saphirs quittèrent leur vitrine et leurs tiroirs. Telles des comètes arrachées au firmament, ils formèrent une spirale arc-en-ciel, dont les nuances défiaient l’entendement et dissimulèrent les adolescents.

En osmose, les Tom’s psalmodièrent :

« Filaments de lumière, tissez ensemble,

Étoffes d'ébène, que ta fibre tremble.

Dans la danse des teintes, associez-vous,

En ce moment sacré, de concert, devient-nous.

Que les matières s’associe,

Au travers de ce chant, mon savoir s’épanouit.

Par le souffle du mana, un lien se crée,

Étoffes rapiécées devint unité. »

Dans une implosion, les substances s’enchevêtrèrent, se froissant et s’assemblant en une création nouvelle. À droite, Kayna aperçut un rouleau noir d’ébène, orné d’arabesques dorées se révéler. Baphomet accueillit une texture où or et cobalt se mêlaient joliment.

La pluie fine, redevenant brume, céda sa place à l’écho du zéphyr s’échappant du gramophone. Les mains libres des Tom’s virevoltèrent. La brise, obéissant à sa volonté, happait les instruments en lévitation. En conséquence, les aiguilles, délicates et précises, jaillirent. Les filaments se tissaient et se dénouaient, s’entrelaçant aux matériaux, insufflant une résistance à l’ensemble.

— Regarde cette technique, ma chérie, s’étrangla Kieran.

— Ce n’est pas seulement de la confection, dit-elle doucement. C’est de la haute sorcellerie.

Le vent enveloppa les modistes, tandis que le gramophone s’embrasait. Les fils flamboyants dansaient autour d’eux. Bien que la chaleur soit perceptible, aucune brûlure ne les atteignit.

Dorénavant pyrotechnicien, Tom ordonna un surjet à trois fils, parfaits pour marier la doublure de soie au Kevlastar. Autour de Kayna, un tissu d’ébène s’enroulait, fusionnant avec sa silhouette.

— Souplesse, fluidité, élégance, murmura Tom, concentré sur son travail. Cette découpe doit être exacte, souffla-t-il tout bas.

La longue veste qui s’esquissait, rehaussée de boucles argentées et de ceintures multiples, offrait une dualité entre flexibilité et fermeté, préservant une allure imposante. Le bas fendu à l’arrière soulignerait sa démarche affirmée.

— Ce chef-d’œuvre est fascinant, chuchota Nick.

Baphomet aussi voyait son uniforme se matérialiser. L’or et le cobalt, ses teintes dominantes, s’imbriquaient pour former une armure légendaire. Le col relevé, majestueux, conférait à sa tenue une prestance royale. Ces composants furent pensés pour marier magie et substance : les manches brodées, les arabesques sur le torse, les lignes géométriques changeant d’aspect sous chaque angle. Le pantalon garantissait une liberté de mouvement totale tout en assurant une protection infaillible.

Emporté par son art, Tom plongea en transe, et la Terre, son élément, succéda au feu. Les filins manatike se tendirent, s’enroulant autour des estrades. L’énergie se condensait, prête à atteindre son paroxysme. Finalement, d’un moulinet de baguette, Kayna fut sertie d’un collier orné d’un pendentif en forme de triskèle, tandis que Baphomet hérita d’une croix inversée. Alors que Tom congédia son double, qui enjamba le cadre et retrouva une pose noblement statique, il exigea :

— Deux tapotements sur vos médaillons.

Ils s’exécutèrent. L’armure s’évanouit, laissant place aux tenus d’origine. Procurant l’émerveillement de tous.

— Maintenant, un seul.

En un clin d’œil, les combinaisons réapparurent, parées à l’action. Baphomet effectua une série de coups rapides. Elle réagit instantanément, décuplant sa force avec une efficacité déconcertante :

— C’est parfait. Tout y est. Camouflage, rendement, mobilité. Un véritable chef-d’œuvre.

Warren s’approcha :

— Vous voilà fin prêts pour les Jeux Sorcellériques. Quelque chose me dit que cette première édition sera particulièrement... spectaculaire!.

Rayonnant de fierté, Tom réaligna ses méridiens à l’aide d’un cola, puis pétillant de satisfaction, il annonça :

— Ces créations exclusives s’élèvent à 400 000 Avaloni.

Kieran et Lyana laissèrent échapper un sifflement admiratif. L’Imperator dégaina de sa poche une gemme de paiement, et la posa sur l’Ensorcetab, tendue par le commerçant. Aucune attente ne fut nécessaire pour valider cette transaction audacieuse.

— Un plaisir de traiter avec vous, Monsieur Darck, assura le Modiste.

— On verra bien si ça vaut vraiment son pesant de diamonite... plaisanta Kayna.

— Chaque Avaloni dépensé sera amplement justifié, s’enorgueillit le styliste.

Toujours concentré sur leur mission première, le Magicologue adopta un ton plus calculateur et proposa :

— Je souhaite te confier le poste de Ier armurier de la flotte Darckienne.

Le couturier n’hésita pas face à l’opportunité d’une vie :

— Ce serait un honneur. Nous réaliserons des merveilles ensemble.

L’accord se scella par une poignée de main, et une fois leurs coordonnées échangées, la porte de la boutique se referma et le rideau, littéralement, tomba.

— Encore un coup de maître, Warren, le félicita Enlil. Ce partenariat changera beaucoup de choses pour nous. Je parie que tout cela était prévu de longue date. Tu deviens aussi habile que maman et moi pour les machinations.

— En effet, mes mentors sont exceptionnels.

Kieran ajusta doucement Lya, veillant à préserver son sommeil paisible. Un soupir rassurant échappa à l’enfant, protégée dans ses bras. Lyana, s’imaginant vivre au sein de cette dimension, plus enjouée que la leur, marchait avec la charge de la poupée. Peu à peu, les sons festifs des tavernes et des marchés se dissipèrent, laissant place à la quiétude des quartiers résidentiels. Les portails massifs de la villa Siriki se dressèrent devant eux. Le calme des jardins luxuriants, embaumés de jasmin et de fleurs tropicales offrait un refuge loin du tumulte de Massilia. Illuminée par les torches enchantées l’encerclant, elle trônait telle une sentinelle redoutable.

La famille s’effaça parmi l’obscurité de la demeure, prête à affronter ce qui se profilait à l’horizon. Deux jours seulement les séparaient des jeux… Après-demain, la cérémonie d’ouverture aura lieu, et dès lors, aucun retour en arrière ne sera possible.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire limalh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0