12

4 minutes de lecture

12

Le Scotchees, Clermont-Ferrand, MINUIT,

A cette heure de la soirée, le pub était bondé, rendant la circulation compliquée sans pour autant se bousculer. Judith, toujours l'esprit préoccupé, courait dans tous les sens pour assurer un service de qualité. Par chance, elle avait embauché des extras pour l'événement. Une petite scène avait été montée pour l'occasion, les projecteurs illuminant tout l'intérieur du bar ainsi qu'une partie de la rue. Quelques clients dansaient sur la terrasse, et d'autres devant la scène. Pendant quelques heures, Judith oubliait tous ses problèmes, prise dans cette ambiance musicale, hors du temps, elle ne pensait plus à Jack ni à son passé qui la rattrapait inexorablement.

Après avoir investi du temps, de l'argent, et de la sueur, elle admirait le résultat avec émerveillement. Tout le monde chantait, riait, et l'agressivité ainsi que l'irrespect n'avaient pas leur place. Judith veillait à cela, tout comme Steven, son chef de la sécurité en cas de débordement, bien que cela soit très rare.

Le concert touchait presque à sa fin, et Judith était épuisée mais heureuse de voir à quel point les événements qu'elle organisait avaient du succès. Elle programmait généralement des concerts, des quiz culturels, ainsi que des karaokés. Avec le temps et la réputation, elle avait su garder une certaine clientèle tout en attirant de nouvelles personnes. Elle songeait même à agrandir le bar pour améliorer la qualité du service et recevoir davantage de personnes.

Pauline, son associée, courait également partout. Entre deux clients, elle prenait des nouvelles de Judith. — Tout va bien, ma chérie ? Tu veux faire une pause ? Je demanderai à Kévin de te remplacer au bar, s'exclama Pauline en haussant le ton pour couvrir le bruit ambiant. — Avec plaisir, je pense me faire un café vite fait. J'ai les jambes en compote. On va passer sur deux heures en happy hour, le bar est plein, on limite les entrées, il faut le dire à Steve !

Judith attrapa sa tasse de café et fonça vers la réserve. Elle comptait profiter de ses dix minutes de repos, seule, loin de l'agitation et du bruit. Elle entendit l'annonce de Pauline : "Pendant deux heures, la pinte de bière est à moitié prix, on en profite !" Des cris de joie explosèrent dans la salle, en effervescence. La frénésie était à son paroxysme, et par moments, Judith avait l'impression d'être dans un état second : tête qui tourne et oreilles qui bourdonnent.

En entrant dans la réserve, une odeur particulière attira son attention, un parfum plus précisément et qu'elle connaissait que trop bien. Son sang ne fit qu'un tour, un violent frisson parcourut tout son corps. Tressaillant d'effroi, elle le cherchait du regard, mais en vain. Le cœur battant, elle sortit en trombe de la réserve qui donnait sur la salle principale. Son sang martelait dans ses tempes, son estomac se nouait, morte d'inquiétude, elle scrutait toute la salle, chaque client, mais elle ne le voyait pas. Pourtant, il était là, elle sentait son parfum, elle le ressentait au plus profond d'elle. Elle se souvenait alors de ses mains sur son corps, de sa poigne sur ses hanches, de ses étreintes intenses.

Elle progressait d'un pas nonchalant et apeuré vers le bar. Pauline croisa son regard et comprit que quelque chose n'allait pas. Mais elle ne pouvait pas venir à son secours ; il y avait trop de monde à servir. L'ambiance tamisée accentuait son angoisse, elle manquait de visibilité, totalement à la merci de ce traqueur sans limites.

Entre deux poteaux, elle était à l'abri des regards, mais pas pour lui. Elle sentit alors deux mains la prendre par la taille avec fermeté et détermination. Une main se glissa sous son t-shirt ; sans le voir, elle savait qu'il était là. Elle sentait sa peau, sa chaleur contre elle, violant son intimité, abusant de sa faiblesse, de sa vulnérabilité.

"Je te l'avais dit, tu es à moi, bébé !" annonça-t-il de sa voix grave, sinistre, perverse. "Tout chez toi est mien !"

Malheureusement, personne ne les voyait, pas même Pauline qui la cherchait du regard. Des dizaines de souvenirs lui revenaient en mémoire, tous aussi dérangeants les uns que les autres. Elle se revoyait attachée par des cordes au plafond, entièrement nue. Elle sentait le martinet en cuir parcourir son dos, attendant qu'il daigne répondre à ses attentes.

"Prends-moi, mon loup !" supplia-t-elle, la voix tremblante.

Sans même le dire, il savait tout d'elle, ses pensées les plus intimes, ses doutes, ses peurs. Personne ne la connaissait mieux que lui. Il l'agrippait avec force, sans faire fi de son consentement.

"Tu n'es rien sans moi, tu es et tu seras toujours mienne," dit-il au creux de son oreille.

Il en profita pour humer son odeur, pour pénétrer davantage son intimité. Judith tentait de résister, de se débattre. Le cœur battait de plus en plus vite. Elle tenta de se laisser tomber afin de s'extirper de son emprise. Rampant, elle parvint à se libérer, sentant ses doigts s'agripper. Sa main puissante lui lacéra le bras. Sans se retourner, sans chercher Pauline du regard, elle quitta le bar en plongeant dans l'obscurité clermontoise.

"Tu ne pourras pas m'échapper !" s'exclama Jack en la regardant prendre la fuite d'un regard satisfait. "Je te retrouve toujours !" murmura-t-il en affichant un large sourire.

Fier et puissant, il savourait l'instant, triomphant, persuadé qu'il ne s'agissait que du début. Il se rappelait des mêmes souvenirs, des sensations de tous leurs ébats. Il se nourrissait de ces souvenirs qui le rendaient plus fort que jamais.

Judith courait, le souffle court, en quête d'un lieu sûr, à l'abri de ce monstre. Son corps explosait, sa tête était au bord de l'implosion. À bout de souffle et de force, elle courait sans s'arrêter. Ce n'était plus par peur, mais pour sa survie !

Elle prit refuge dans une sombre ruelle et s'abandonna totalement. Elle se laissa tomber d'épuisement au sol et fondit en larmes, tétanisée, perdue, sans défense. Durant quelques instants, elle était redevenue cette fille qu'elle avait tenté de fuir tant d'années. Le néant s'emparait d'elle à nouveau.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Serguei Bonal ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0