chapitre 16

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Maison Lonval, vendredi matin,

Paul, de retour de chez Marie Lefèvre, tournait dans la maison vide, sans femme ni enfants. Rémi et Lucie étaient à l’école et Judith était portée disparue. Tel un lion en cage, il attendait des nouvelles de sa femme ou de Marie, en espérant une issue heureuse. Quelques heures s’étaient écoulées avant qu’il ne décide de faire appel aux services de Marie, dont il avait entendu parler lors d’une conversation il y a quelque temps. Jusqu’ici, il n’avait jamais eu besoin de faire appel à un détective privé, mais souvent les choses changent.

Tout en regardant les photos encadrées aux murs, il se souvenait de tous les bons moments passés en famille. Leur mariage, la naissance des enfants, les voyages à deux, puis à quatre. Ce qu’il prenait pour acquis s’effaçait progressivement sous ses yeux, et cette idée l’effrayait. Personne dans le quartier n’était encore informé de la disparition de Judith, le suicide de Mégane planait encore sur le quartier. Il avait d’ailleurs pensé rendre visite à leurs amis afin de leur exprimer son soutien. Il s’était lié d’amitié avec le couple suite à la vente d’un bien immobilier pour le projet de Stéphanie il y a quelques années. Elle voulait monter un centre de bien-être et de sophrologie au cœur de Clermont. Paul, en bon vendeur, lui proposa une offre qu’elle ne pouvait pas refuser. Il assista à l’inauguration du centre, et par la suite, il tissa des liens avec la famille Floran.

Ne travaillant pas les vendredis, il pouvait vaquer à ses diverses occupations : faire du sport avec son voisin Christian Garde, s’occuper de la maison afin de soulager Judith et, plus récemment, retrouver sa femme disparue. N’ayant pas encore prévenu ses enfants, Paul cherchait la meilleure solution pour leur annoncer la terrible nouvelle. Déjà accablés par la perte de leur amie, il ne voulait pas en rajouter, mais il n’avait guère le choix.

D’un geste tremblant, il composa le numéro de Christian pour lui demander conseil.

— Christian, c’est Paul. Je vais passer au club dans quelques minutes. On peut repousser la séance d’entraînement ? J’ai quelque chose à te dire, et je n’ai pas la tête à faire du sport ce matin !

— Oh ! Tu m’inquiètes, que se passe-t-il ? Rien de grave, j’espère ? Ça a un rapport avec les Floran ?

— Non, rien à voir, c’est Judith, mais c’est mieux de vive voix, j’arrive dans quelques minutes !

— Je t’attends, je n’ai pas de rendez-vous après, nous avons tout notre temps ! s’exclama Christian d’une voix forte.

Paul inspecta la maison, comme s’il n’allait plus y retourner, ou du moins comme si plus rien n’allait être pareil après. Ses enfants encore en cours, il avait quelques heures devant lui avant de leur annoncer la disparition de leur mère. Mais il restait également à l’annoncer à son entourage. Comment pouvait-il faire autrement si quelqu’un lui demandait des nouvelles de sa femme ? Un vent de panique le submergea, plus les heures passaient, plus cette tragédie devenait de plus en plus réelle.

Sur la route qui séparait la maison de la salle de sport, il imaginait le meilleur moyen d’annoncer la disparition de Judith aux enfants. "Mes chéris, j’ai une nouvelle assez dure à vous annoncer, votre mère n’est pas rentrée hier soir, et je n’ai toujours pas de nouvelles. Les enfants, votre mère a disparu ! Non ! Trop direct", se disait-il à haute voix. Il avait même imaginé une histoire folle, où Judith le tromperait avec un autre et qu’il l’avait découvert, d’où son absence soudaine. Mais là encore, peu probable. Les enfants n’étaient pas dupes et connaissaient leur mère. Ils la voyaient mal se lancer dans une telle extravagance.

Christian attendait devant la salle en tenue de sport, un marcel moulant noir et un short gris. Comparé à Paul, qui n’était pas chétif, il paraissait hyper massif. Il était l’archétype du sportif en salle. Il n’avait pas peur des regards, bien au contraire. Égocentrique jusqu’au bout des ongles, Christian faisait attention à son apparence. Il prenait soin de mettre son corps musclé en valeur, il brillait plus par son corps d’Apollon que par son esprit.

— Salut mon grand ! Comment vas-tu ? Tes cours commencent à porter leurs fruits, je trouve, mais pas assez ! Il faut intensifier ça ! vociféra Christian de sa voix tonitruante.

Paul, n’ayant pas le temps de réagir, se fit enlacer par deux imposants bras puissants et sculptés qui lui rappelèrent douloureusement la dernière séance.

— Toujours aussi enjoué, Christian ! rétorqua Paul d’une voix atone.

— Le sport, c’est la vie ! Tout passe par là ! L’esprit, le bien-être, la forme, tout part du sport ! Regarde-moi !

Même si Paul n’était pas adepte de l’activité physique à outrance, il ne pouvait qu’approuver. Christian était tout en muscles et en testostérone, mais à son goût, c’était un peu trop. Paul n’était pas gringalet, ni fluet, il était bien taillé et proportionné et ça lui suffisait.

— Bon, viens, on va prendre un café à côté, tu me raconteras tes malheurs, proposa Christian.

Il brailla de la porte d’entrée pour prévenir son second.

— Phil ! Je te laisse la salle un moment, je sors. Tu gères tes danseuses, tes footballeurs, pas de conneries comme l’autre fois. C’est une salle classe, je ne veux pas des dégénérés ! Ça te fait rire Paul, mais il me ramène que des débiles. La semaine dernière, ils braillaient dans toute la salle en faisant du développé couché pour bien montrer qu’ils soulevaient du poids. Certes, le sport en salle a un côté viril, mais il faut respecter les autres et rester correct. J’ai le maire qui vient en fin de journée, c’est un bon client, je ne veux pas que des mecs comme ça donnent une mauvaise image.

— Trie ta clientèle ! Restreins l’accès à une certaine catégorie !

— J’y ai déjà pensé, mais ça va à l’encontre de l’esprit du sport, et tout le monde a le droit de se faire du bien et de prendre soin de son corps.

Paul, même s’il trouvait Christian limité par certains aspects, reconnaissait qu’il faisait preuve d’humanité et de bienveillance. Tout ce qui était en rapport avec le sport était toujours mesuré et pertinent.

Les deux amis arrivèrent au petit café à l’angle de la rue où se trouvait la salle de sport. Paul, la mine soucieuse, s’installa avec lourdeur.

— C’est si grave que ça ? s’enquit Christian en faisant signe au serveur de venir.

— Judith n’est pas rentrée hier soir et je n’ai toujours pas de nouvelles, annonça Paul avec gravité, le regard abattu.

— Oh ! Merde ! s’exclama Christian. Elle est avec un autre, tu penses ? suggéra-t-il du bout des lèvres comme s’il s’agissait d’une pensée interdite.

— Je ne sais pas ! Elle n’est pas comme ça, tu sais. Je la connais, je la vois mal faire une telle horreur.

— Alors quoi, tu penses à un enlèvement ? Pourquoi ?

Paul avait eu des heures entières pour chercher des raisons, une explication logique, mais il ne trouvait pas de réponse. Partir avec un autre était en effet une solution, mais comment pouvait-il se tromper à ce point sur sa femme, se demandait-il alors.

— Je ne sais pas. Qui sait, elle en a marre de tout et a décidé de prendre un peu de temps. Je ne sais pas ! Mais je dis quoi aux enfants ? Quand ils vont rentrer ce soir, je ne sais pas quoi leur expliquer. "Papa, où est maman, elle nous dit toujours au revoir avant d’aller au boulot !" Je vais avoir l’air d’un con ! Car je n’ai aucune réponse à leur donner, et je suis un très mauvais menteur. Et le fait est, je ne peux pas leur mentir !

— Sois évasif, gagne du temps, dis-leur que leur mère est fatiguée et qu’elle est chez ses parents, une amie, pour prendre un peu de temps. Ça arrive ! rétorqua Christian du tac au tac.

— Sans leur dire au revoir ? Les rassurer ? Et leur dire qu’elle revient bientôt ?! Quelle mère partirait sans rien dire pour voir une copine ? lança Paul pour réfuter les propos de Christian.

— Alors elle est partie voir un bonhomme ! Et là tu ne préviens personne ! Et c’est logique !

Paul avait également émis cette hypothèse aussi dure soit-elle, mais il n’y avait aucun indice prouvant cette théorie. Jusqu’ici, tout allait bien, ils formaient un couple heureux, épanoui, en totale harmonie. Mais aussi dure que cela pouvait être, c’était une possibilité à ne pas écarter. Plus plausible qu’un enlèvement en tout cas.

— Oui ! C’est une possibilité, même la plus vraisemblable ! Mais je la vois mal faire ça, surtout aux enfants ! J’ai même fait appel à une détective privée pour la retrouver, mais ça je ne compte pas encore en parler aux enfants, ça va être assez pénible comme ça.

— Ah oui ! Quand même ! On n’est plus sur "je me demande où est passée ma femme !" c’est détective direct, pourquoi pas ! C’est radical, et va l’expliquer aux petits après !

— C’est pour ça, je préfère temporiser et laisser voir venir, mais c’est dur. Et en attendant, je leur dis quoi ? interrogea Paul, mort d’inquiétude.

— Il vaut mieux dire la vérité. Tu es un modèle d’éducation pour eux, de sécurité, de stabilité. Si tu racontes des craques, ils vont le savoir, et ils n’auront plus confiance en toi. Et ça serait légitime ! Dis la vérité mais reste évasif, tu ne mens pas, tu dis ce que tu sais, point. Pas la peine de faire une directe ! Moins ils en savent, mieux c’est, tu dis juste que maman n’est pas rentrée.

— Et c’est tout ?!

— Et tu brodes, je n’en sais rien, mais tu ne peux pas l’occulter. Laisse déjà la détective faire son boulot, qui sait, elle va la retrouver rapidement dans les bras d’un autre et voilà, fin de l’histoire. Bon, tu demanderas le divorce après si c’est le cas !

— C’est rassurant ! Et l’enlèvement ? C’est une possibilité, une personne, un client qui lui en veut, dans le monde où on vit tu sais ! Il y a de plus en plus de tarés.

Christian posa sa main massive sur l’épaule de son ami et voisin en esquissant un sourire de soutien.

— Je suis de ton côté. Si tu as besoin d’aide pour n’importe quoi, n’hésite pas. Et pour le moment, tente de te calmer, garde tes esprits, parle à tes enfants, c’est important, mais il ne faut surtout pas mentir. Jamais à son enfant ! Leur mère n’est pas rentrée, et tu ne sais pas pourquoi. Suggère de faire appel à un professionnel afin de ne pas alerter la police si c’est ton choix. Comme ça, ils ont une partie des faits, mais tout est vrai. Bon, tu évites de dire que tu as déjà fait appel à un détective, tu les pousses à faire ce choix ! Je n’ai pas de réponse toute faite, je suis navré, mon grand. Mais ce qui est certain, ne raconte pas de bobards. Et si tu veux, je passe à la maison, et je t’aide à chercher des indices !

Paul acquiesça de la tête et termina son café crème, le regard évasif.

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