Il y a des morceaux partout, et j'ai du mal à trouver un coin de terre assez propre pour m'asseoir et nettoyer ma lame. Ne jamais remettre ce genre de travaux à plus tard. Lorsque la rouille est apparue, il est trop tard pour agir. Un fil émoussé peut encore se reprendre, mais on ne peut rien contre la lente corrosion du métal, la fatigue qui attaque l'arme la plus affûtée. Et tant que je bougerai, je ne la laisserai rien emporter.

"Qu'est ce qu'il s'est passé ici ? Où sont nos soldats ?"

L'adolescent de tout à l'heure est revenu, flanqué d'un haut personnage en robe et toque de taffetas noir brodé de signes cabalistiques. C’est lui qui s’interroge, et j’ai la certitude que ma réponse ne va pas lui plaire.

"Tu marches dessus, Hyeronimus"

Hyeronimus. Amusant que ce soit toujours lui qui vienne constater les dégâts. A sa facon, il doit apprécier ma compagnie. Ce n'est pas le plus abîmé de la bande. En tous cas, tant qu'il conserve sa robe cérémonielle. Il a la démarche bien trop saccadée pour être tout à fait entier en dessous.

"Vous les avez détruits ? Tous ?"

"Ils voulaient entrer dans mon domaine pour de très mauvaises raisons. Maintenant, ils ne veulent plus rien et aucun n'est entré."

L'adolescent a l'air tout à fait désorienté. Il doit commencer à comprendre que ses zombis sont cassés et qu'il a échoué dans sa mission. Pas sûr qu'on lui en confie d'autre avant longtemps.

"Elsa, vous ne vous rendez pas compte de ce que vous avez fait. Ces soldats étaient très importants."

"Importants ? Il n'étaient pas à moitié finis. Ce n'est pas toi qui t'en es occupé, Hyéronimus ? Du travail bâclé si tu veux mon avis."

Hyeronimus prend un ton vexé. J'ai touché un point sensible.

"Elsa, on est parfois différent de ce que l'on semble être."

C'est à lon tour de me sentir blessée. Je me relève, je reprends mon épée.

"Hyeronimus, ce n'est pas la peine d'être désagréable. J'ai abîmé vos jouets. Vous en ferez d'autres; Mais s'ils viennent chez moi, je les briserai encore. J'en ai assez. Je rentre chez moi."

Au moment de fermer la porte, une dernière idée me vient, et je précise pour que les choses soient bien claires.

"Ah, et faites ramasser ce qui reste de vos soldats. Je ne veux pas qu'ils donnent mauvais goût à mes légumes. Il y a des gens qui ont besoin de manger dans cette maison."

Je n'attends pas la réponse. Je remets en place la barre de renfort et le contrepoids.

Et je vais m'occuper de mon invité. Lorsque je déverouille sa porte, il y a un glapissement à l'intérieur. J'aurais du m'annoncer.

"Puis je entrer, maître Bergman ?"

Mon invité porte une chemise de nuit froissée, et il a les yeux hagards dans la lueur des chandelles. J'espère que le grand jour le rassurera.

"Maître Bergman, ce n'était rien. A aucun moment nous n'avons couru le moindre danger. Les zombis n'auraient jamais pu franchir la porte. Et je les ai chassés, maintenant."

"Oui, mais s'ils reviennent avec un bélier ? Un bélier géant à figure humaine ?"

Je me demande où il a trouvé cette idée. Voilà pourquoi je l'avais transféré au rez de chaussée. La vue des armes de guerre défilant sous ses fenêtres ne vaut rien pour sa santé mentale.

"Je suis Elsa. Tant que je serai là, aucun n'osera m'attaquer. Ceux qui ont essayé ont été détruits."

L'apothicaire a un tremblement.

"C'est moi qu'ils veulent. Moi ! Rien que Moi !"

"Maître Bergman, je vous défends depuis longtemps. Tant que je suis ici, vous n'avez rien à craindre."

L'invité tremble toujours . Je sors en fermant la porte. Comme d'habitude, il va passer la nuit à trembler, et la venue du jour le rassurera un peu. Bien sûr, la maison sera toujours entourée de zombis, mais au moins, on pourra les voir d'un peu plus loin.

Epée au mur et moi dans la chambre, histoire de finir la nuit dans un semblant de normalité.