Secrets intimes
Le jour se lève sur la maison. Le soleil embrase la chambre de ses rayons chauds et dorés. Sur le lit reposent les draps froissés ; les jeux sombres de la nuit ornent encore les lieux de leur obscure présence.
Des effluves musqués planent dans l'air. Quelques gémissements étouffés se font entendre.
Ils viennent du "Vaisseau des songes" posé sur le sol. Sa chaîne attachée au lit de fer étincelle sous la lumière solaire. La chartre crépusculaire ne laisse rien deviner sur la nature du captif. Est-il homme, femme... autre ? Mieux vaut ne pas s'interroger sur cet éventuel "autre". Nous dirons "Lui".
Lui est immergé dans son immobilité depuis que l'Amant l'y a placé.
L'homme sut le séduire si facilement. Son sourire allié à un regard ardent. Son visage anguleux aux traits réguliers un peu durs, adoucis cependant par une chevelure si lumineuse que cela occulte l'allure souple et prédatrice de son corps sculptural. C'est un fauve dangereux et hypnotique.
Lui le devina et cela l'attira. Tel un papillon de nuit fasciné par la flamboyance, il se laissa capturer.
Il découvrit avec ce corrupteur des plaisirs interdits, inédits, ineffables. Mais, aussi des souffrances, constantes, électrisantes, saignantes. La joie et la douleur se fondaient étroitement pour lui procurer une extase indescriptible.
Éprouve-t-il du bonheur à se soumettre à son maître de cette manière ? Incontestablement. Le regrette-t-il parfois ? Jamais ! Même en cet instant où le manque d'air menace de le conduire à son trépas.
Mourir pour l'autre, n'est-ce pas au fond la plus belle preuve d'amour et de docilité qu'il puisse offrir à son dominateur ?
À moins que l'Amant ne le souhaite pas ? Il s'interroge, alors qu'il cherche une respiration de plus en plus irrégulière, de plus en plus rare. À cela s'ajoute la chaleur qui croît à l'intérieur de sa prison de cuir. Elle augmente avec l'ensoleillement progressif de la pièce... cette fois à moitié inconscient... Les souvenirs, les rêves se mêlent en lui...
"Un sourire, une voix, grave, tentatrice :
"Mon plaisir n'est-il pas le tien ?"
Lui acquiesce, les lèvres de l'amant esquissent un sourire triomphant qui s'efface...
Il lie ses mains comme il lie son cœur.
Vivre par lui, exister à travers lui, soumis à lui... "
D'autres souvenirs suivent... Sans douceur, cependant empreints de jouissances extrêmes. Il repousse la douleur, où plutôt il l'associe à l'adoration. Il oublie donc les instruments qui provoquent la souffrance, ne voit que l'électrification de ses sens, ses nerfs, la démultiplication de ses sensations ; la passion qui embrase son âme pour son Maître.
Un sursaut de conscience, il s'éveille, espère.
Il sait que l'Amant sera là bien avant que la mort ne lui insuffle sa respiration.
La confiance est là, ne s'éteindra pas.
Le soleil est au zénith.
La journée s'étire, les heures s'écoulent lentement.
L'astre du jour descend.
Suffocation inévitable, ultime pensée pour l'Amant.
Le néant...
Un court instant ?
Le "vaisseau des songes" s'ouvre doucement, l'air, la respiration, l'étourdissement, deux bras puissants qui l'enlacent, il en pleurerait de joie !
Son Maître le dépose sur le lit.
Dehors la lune d'or luit.
Débute la nuit ...
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