Niashæl - 2
Adramæk lui a raconté les histoires drôles que ses anciens amis partageaient autour du feu le soir. Il a narré les aventures joyeuses chantées par les Atliln. Il en avait oublié des passages et a dû improviser, mais Niashæl ne l’a pas remarqué. Il s’est réjoui du sourire, même discret, de la sauvageonne.
— J’étais plutôt doué avec les gamins du clan, s’est-il vanté.
Niashæl n’avait jamais vu d’autres enfants. Elle les imaginait comme elle. Ou comme ses parents et Adramæk, mais plus petits.
— Je dois dire que de tous ces jeunes fauves, Grogne, t’es de loin la plus sauvage.
Mais le regard de Niashæl s’égarait. La conversation ne l’intéressait pas autant que les récits.
— D’accord, je vais juste finir mon histoire alors, a consenti Adramæk. On était encore en train de suivre Laꜵn dans sa chasse futile au karxa bleu. Riakh n’arrêtait pas de lui répéter que c’était stupide et qu’ils n’existaient pas, mais Laꜵn jurait qu’il avait vraiment vu une harde de karxan bleus et qu’il était même pas si saoul que ça. Nous, on était juste là pour la rigolade. Au bout d’un moment, on s’amusait plus beaucoup, alors on commençait à vouloir rentrer, quand Riakh a flairé quelque chose de louche. Normalement, Riakh est la pire pisteuse du clan, mais lui dis pas ça en face. Et soit elle a eu un bol phénoménal, soit l’odeur était tellement bizarre que seul le cerveau d’un traqueur incompétent pouvait en tenir compte. Quoi qu’il en soit, elle nous a dit de nous arrêter. Évidemment, on n’était pas d’accord : « Allez Riakh, qu’on lui a dit, toi aussi t’es de mèche ? ». Mais elle a insisté, et elle a commencé à suivre la piste seule. Nous, on voulait pas passer pour des crétins, alors on a vérifié l’odeur et, ah ! Un truc tellement bizarre, mes poils se hérissent rien qu’à me rappeler. Alors on s’est tous mis à flairer cette piste étrange, en nous imaginant déjà ramener un karxa bleu sous les applaudissements du clan. Mais ça n’avait pas de sens, parce que l’odeur n’avait rien à voir avec celle des animaux à sabots. Ça sentait comme quelque chose d’autre, mais c’était trop idiot pour qu’on puisse le croire ou même y penser. En fin de compte, on est bien tombés dessus et ça s’est avéré bien plus rare que le karxa bleu dont Laꜵn arrêtait pas de parler.
— Qu’est-ce que c’était ? a demandé Niashæl.
— Tu me croiras jamais.
— Si ! Dis-moi !
Adramæk s’est réjoui.
— D’accord, mais je t’aurai prévenue ! C’était, et je te jure que c’est vrai, un demi-Yu. Vivant, respirant, marchant et même parlant !
— Un demi… quoi ?
— Un demi-Yu ! Promis !
— Oh ! Je me souviens, s’est extasiée Niashæl. Les Yu sont petits et ressemblent un peu aux Ælvn, avec des oreilles rondes. C’est ça ?
— T’es plus surprise que j’aie vu un Yu plutôt qu’un sang-mêlé ? s’est étonné Adramæk. Y’a pas d’esclaves Yu à Riao ?
Mais Niashæl n’a pas répondu. Elle attendait la suite de l’histoire. Adramæk s’est éclairci la voix.
— J’étais censé t’épater avec mon sang-mêlé. Ça n’arrive juste… jamais.
— Qu’est-ce qui n’arrive pas ?
— Les sang-mêlés, les akcin ! Enfin, y’a des accidents, j’imagine… mais jamais avec des Yu, en tout cas !
— Mais tu viens de dire… Pourquoi pas les Yu ?
— Pour commencer, je savais même pas que c’était physiquement possible, a expliqué Adramæk.
— Donc ce Yu avait un parent dai ? a jubilé Niashæl.
— Tu m’as l’air très heureuse tout à coup, Grogne, a remarqué Adramæk.
Niashæl est redevenue maussade.
— Oui, a repris Adramæk. Soit il avait un parent kwashil, soit sa mère, euh… l’a fait avec un oiseau ?
Adramæk s’est gratté la tête, puis s’est étiré.
— Je savais que les Kwashil étaient farfelus, mais de là à être… pour de vrai… intéressés par les Yu, c’est… Ouah. Je suis perplexe.
— Est-ce que c’est mal ? a innocemment demandé Niashæl.
Il lui manquait les mots pour expliquer que les Dai choisissent quand ovuler, mais elle savait nos enfants toujours désirés.
— T’as jamais rencontré de Yu, c’est ça ?
— Non.
— Ils sont petits. Faibles. Vieillissent vite. Presque n’importe quoi les tue. Plein d’animaux pourraient les tuer sans le faire exprès. Quand ils causent yu, on dirait des kicikn surexcités. Est-ce que t’as appris un peu de yu ?
— Non, a répondu Niashæl, qui n’avait même jamais entendu parler d’une langue pour les Yu.
— Eh ben en yu, tu peux pas dire « tristesse » sans que ta voix ait l’air triste. Tu peux pas dire « joie » sans avoir l’air joyeux. Pour dire « maison », tu dois hausser le ton, mais pour « camp », il faut le baisser. « Vert » doit se dire d’une voix paisible, parce que si tu le dis trop joyeusement, ça veut dire « fessier », s’est lamenté Adramæk. Et c’est complètement ridicule, si tu veux mon avis.
— Est-ce qu’ils peuvent parler dai ? Ou… ælv ?
— Bien sûr, si on leur enseigne.
— Donc ils n’ont pas besoin de parler la langue bizarre ?
— Non, c’est vrai, a répondu Adramæk en riant.
Niashæl a réfléchi.
— Qu’est-ce que tu sais d’autre sur les Yu ? a-t-elle enfin demandé.
Adramæk s’est massé la nuque et a haussé les épaules.
— Beaucoup de choses, j’imagine. Qu’est-ce que tu voudrais savoir ?
— Tout… ? a hasardé Niashæl.
Adramæk a éclaté de rire.
— Parlons de tout alors, Grogne.
Il a réfléchi en se grattant le menton, puis tapé dans ses mains :
— Est-ce que tu sais écrire ?
— Oui. Si je me souviens.
— Eh ben les Yu sauvages écrivent pas.
— Les Yu sauvages ? Dans la forêt, comme moi ?
— Non, ils vivent dans des tribus et se baladent dans le désert. Tout ce qu’il faut savoir, ils doivent le retenir dans leur mémoire. Sinon c’est perdu.
— Moi aussi je dois me souvenir de tout ce dont je me souviens, a approuvé Niashæl.
— Mais parfois on a besoin d’écrire. Si on veut pas oublier une histoire, ou pour être sûrs que les générations futures soient au courant d’une chose importante qui est arrivée.
Elle s’est contentée de pencher la tête.
— Quand les Yu doivent écrire, a poursuivi Adramæk, ils empruntent les lettres dai, ælv, kwashil ou celles d’autres terres.
— Donc ils écrivent comme nous ?
— Oui, presque. Ils ajoutent des signes autour des mots pour dire comment les prononcer. Et les sons ælv correspondent pas aux leurs, donc ils les modifient. Seulement, d’une tribu à l’autre, ils modifient pas l’ælv de la même manière, alors c’est encore plus compliqué.
Elle s’est désintéressée du sujet. Les histoires étaient plus amusantes.
— Les Yu se font des dessins sur le corps, a tenté Adramæk.
Cela a vaguement piqué l’intérêt de Niashæl.
— Ils les appellent des « tatouages » et chaque tribu a les siens propres.
— À quoi ils servent ?
— Pour autant que je sache, ils en ont besoin pour se souvenir de la tribu à laquelle ils appartiennent, s’est moqué Adramæk.
— Oh… donc comme ils n’écrivent pas, ils se font des dessins sur le corps pour se souvenir, a récapitulé Niashæl.
Adramæk a haussé les épaules à nouveau.
— T’en sais autant que moi sur ce sujet.
— Pourquoi est-ce que tu as les cheveux si courts ? s’est enquise Niashæl, sans aucun souci de continuité.
— Parce qu’ils poussent pas plus que ça.
— Pourquoi ?
— Et pourquoi pas ?
Adramæk avait l’habitude des questions interminables des jeunes. Il ne se laisserait pas prendre au jeu.
— Est-ce que tous les Boꜵrn ont les cheveux courts ?
— Non. Je suppose que tes parents avaient tous les deux les cheveux longs ?
— Oui, mais ceux d’Ama étaient moins longs. Plus longs que les miens quand même, mais c’est parce que je suis petite, a-t-elle dit en triturant ses mèches blanches.
Les yeux de Niashæl commençaient à se fermer. Adramæk a attendu qu’elle s’endorme pour éteindre le feu.
Niashæl murmurait. La plupart de ses paroles n’étaient que du charabia, hormis « ay a » : « en moi » ; à moins qu’elle n’ait dit « maman » en ælv ? Son sommeil est devenu agité et ses phrases plus distinctes. Adramæk a clairement entendu « Où est le reste de ton corps ? » et un frisson l’a parcouru.
Niashæl tremblait, se débattait. Elle s’est levée tout d’un coup et éloignée du camp modeste. Convaincu que la petite Grogne ne pouvait être apprivoisée, Adramæk n’a pas essayé de la retenir ; il s’est rendormi.
Niashæl marchait en rêvant ; parlait à sa mère en songe.
— Aya, il est comme les Autres, mais il est aussi différent. Quand est-ce que tu reviens ? Je me sens si seule… Ama n’a plus de corps, tu sais ?
Le lendemain matin, Adramæk l’a trouvée assoupie contre un arbre et a déposé près d’elle une poignée de baies et de racines qu’il venait de cueillir. Le Dai s’étonnait de l’affection qu’il éprouvait déjà pour Grogne. Il avait pensé que son exil serait triste et solitaire, jusqu’à rencontrer un groupe de Dai bannis. Tous de différents clans, ils auraient tant bien que mal appris à cohabiter. Ils auraient formé un clan de fortune, un clan nomade, comme ceux des Yu. Ils se seraient battus entre eux, souvent, et se seraient battus ensemble, parfois.
Mais Grogne l’inspirait. Il pouvait se racheter. Si elle ne rejoignait pas Riao – pourquoi ne rejoignait-elle pas Riao ? –, il pourrait l’élever, lui enseigner tout ce qu’il savait.
Niashæl s’est éveillée en sursaut. Depuis plusieurs cycles d’Essea, les seules présences à son réveil avaient été des prédateurs ou des chapardeurs, aussi lui faudrait-il du temps avant de s’habituer à ouvrir les yeux sur la silhouette d’Adramæk.
Le Boꜵr était heureux de l’avoir avec lui et Niashæl, tout compte fait, ne regrettait pas sa compagnie. La forêt avait été trop silencieuse, trop solitaire et, somme toute, trop dangereuse. Aux côtés d’Adramæk, Niashæl pourrait recouvrer un semblant de sa vie d’avant. Il l’avait fait sourire, or Niashæl n’avait pas souri depuis ses parents.
Elle ne parlait pas de son passé à Adramæk. Même si elle appréciait le Boꜵr, elle n’oublierait jamais la cruauté envers ceux qui mélangent les sangs. Elle ne doutait pas non plus qu’un jour, sous son odeur de forêt, sous son odeur riao, Adramæk sentirait l’Ælv. Sans doute l’avait-il déjà flairée. Au début, il penserait se tromper, que son nez lui joue des tours. Il ignorerait l’effluve insensé. Puis il se souviendrait du demi-Yu. Et s’en prendrait à Niashæl. Et elle rejoindrait ses parents.
Alors Niashæl cachait son odeur. Aussi souvent que possible, elle se frottait de terre et d’herbes. Elle sommeillait en hauteur, sous le couvert des feuillages. Elle se plaçait sous le vent, de sorte qu’Adramæk l’avait rarement voire jamais sentie. Elle n’aurait su dire s’il était amusé de son comportement étrange ou s’il admirait son dévouement au camouflage. Il hésitait à pointer que, si lui-même ne se cachait pas aussi bien qu’elle, les efforts de Niashæl étaient vains. À moins qu’il n’ait découvert son secret et ne débatte intérieurement de la peine à lui infliger.
La curiosité d’Adramæk a fini par l’emporter.
— Grogne, a-t-il dit un jour, pourquoi tu te tiens toujours si éloignée ? Tu te dissimules très bien, mais comme je dois crier pour te parler, les proies s’enfuient.
— Alors ne parle pas, a répondu Niashæl.
Adramæk a croisé les bras.
— Et comment est-ce qu’on va améliorer ton kwashil si on peut pas discuter ? Réponds-moi sans détour, a-t-il insisté.
Niashæl a réfléchi un long moment.
— Peut-être qu’un jour tu me voudras du mal, a-t-elle dit.
Adramæk ne comprenait pas.
— Si je t’avais voulu du mal, je t’aurais égorgée avant de te raconter l’épopée complète de Shtamala.
Mais Niashæl s’est rembrunie.
— Est-ce que tu as déjà fait du mal ? a-t-elle demandé.
Adramæk a eu l’air de déplorer la tournure de leur échange.
— À qui ? a-t-il dit plus bas qu’escompté, le regrettant aussitôt.
— Je sais que tu blesses ceux dont tu te nourris, mais moi aussi. Est-ce que tu as déjà fait du mal… pour rien ?
Adramæk n’aimait vraiment pas cette conversation. Il se refusait à mentir à Grogne ; mais elle était volatile, aussi infidèle que le vent. Le Boꜵr savait qu’il la perdrait s’il avouait la vérité. Il ne pouvait que se taire.
Niashæl en a tiré ses propres conclusions.
— Tu devrais me dire pourquoi tu as blessé, a-t-elle dit d’une voix froide, et me laisser le choix de partir ou de rester.
— Tu me jugeras pas ! s’est énervé Adramæk. Mon clan m’a déjà jugé et puni, le crime n’existe plus.
Le visage de Niashæl s’est figé en un masque dur. Des tueurs en vie se croyaient absous ? Les parents de Niashæl criaient à la vengeance pour leur meurtre et, quelque part dans la forêt, leurs assassins marchaient libres, la conscience tranquille ?
— Je suis pas ton clan, s’est indignée Niashæl.
Mais Adramæk a gardé le silence.
— Je dois savoir si tu es dangereux pour moi, a-t-elle insisté.
— Je le suis pas, a sèchement rétorqué Adramæk.
— Je peux pas le savoir si je sais rien.
— Tu sais rien de moi ? Tu sais que je te raconte les légendes de notre peuple, que je t’apprends le kwashil, que je chasse et mange avec toi. Je m’occupe de toi comme d’un enfant de mon propre clan. T’as pas besoin d’en savoir plus.
Niashæl commençait à s’inquiéter.
— C’est à moi d’en décider, a-t-elle dit faiblement.
— Je sais rien de toi, Grogne. Pas même ton nom. De quel droit est-ce que tu me demandes de parler du crime pour lequel on m’a banni ? La plus grande tragédie de ma vie, celle que j’oublierai jamais ?
Niashæl a roulé des yeux.
— La grande tragédie de ta vie ? L’exil ?
Adramæk a plaqué les oreilles en arrière et est devenu rouge.
— Je sais une chose de toi, Grogne, s’est-il emporté. L’un de tes parents était un Ælv !
Niashæl s’est trouvée interdite, puis a baissé des yeux mélancoliques.
— Alors tu sais pourquoi je dois savoir.
Adramæk s’est ressaisi. Il s’est gratté la tête, aussi désolé qu’un Dai peut se permettre de l’être, laissant s’écouler un long moment pendant lequel Niashæl n’a pas cillé.
— Il était une fois, Adramæk et Staliak, a-t-il répondu d’une voix douce.
Tᴜ ᴄᴏɴɴᴀɪs ʟᴇs ᴘᴇɴsᴇ́ᴇs ᴅ’Aᴅʀᴀᴍᴁᴋ. Tᴜ ʟ’ᴀs ʀᴇɴᴄᴏɴᴛʀᴇ́.
Non. Il se peut que j’aie… improvisé certains passages.
Tᴜ ɴ’ᴀs ᴘᴀs ᴅɪᴛ ʟᴀ ᴠᴇ́ʀɪᴛᴇ́.
Je t’ai raconté une histoire. J’ai comblé les zones d’ombre, mais tu sais que le reste est vrai.
Niashæl est demeurée bouche bée. Adramæk… Ce Boꜵr jovial, qui prenait soin d’une orpheline qui n’était pas de son clan… ni même de son espèce… Lui aussi faisait partie des mesan. Lui aussi nourrissait la noirceur qui avait volé ses parents à Niashæl. Lui aussi avait haï.
Niashæl a secoué la tête. Adramæk n’aurait pas pu… Mais son regard humide ne mentait pas. Le Boꜵr a baissé les yeux, triste et contrit.
L’enfant l’ignorait, mais Adramæk exposait des faiblesses qui lui auraient valu des reproches s’il avait encore appartenu au clan. Avec la petite sang-mêlé pour seule compagnie, il n’était plus nécessaire de se prétendre au-dessus de la douleur, insensible à la peine. Même s’il aimait son clan, même si son unique souhait était d’y retourner, il était reconnaissant que son chemin croise Grogne. La seule personne au monde devant laquelle il pouvait laisser libre cours à la tristesse d’avoir failli aux siens.
Le choc a empêché Niashæl d’éprouver la tragédie du récit d’Adramæk. Comme frappée d’une soudaine cécité, elle ne voyait plus qu’une chose : ce parent de substitution avait tué sans faim, tout comme les assassins de ses parents. Les muscles de Niashæl se sont raidis.
Le visage d’Adramæk se superposait désormais à ceux qu’elle avait guettés ce jour-là. Le grand Boꜵr qui lui apprenait le kwashil, l’astronomie et les histoires de son clan, le Boꜵr chaleureux qui lui donnait des conseils de chasse et de cueillette, lui préparait des plats exotiques avec des aliments pourtant familiers, le Boꜵr qui l’avait fait sourire à nouveau, mais aussi trembler dans l’attente du jour où il découvrirait le secret de son lignage, ce Boꜵr était redevenu un monstre comme les Autres. Un Autre qui déversait le sang de ceux qu’elle aimait dans les sillons du petit potager calciné.
Niashæl a détourné la tête. Elle n’avait pas ce genre de courage. Elle n’avait pas le courage d’affronter des meurtriers et moins encore l’envie de les pardonner.
Elle a rayé Adramæk de son esprit. C’était plus facile qu’elle ne s’y attendait. Elle avait passé des cycles à essayer d’oublier ce jour sanglant. Oublier un visage n’était rien en comparaison.
Intriguée par un bruissement, Niashæl s’est élancée dans la forêt, comme s’il n’y avait jamais eu d’Adramæk. Une brise portait l’odeur de son prochain repas, un herbivore blessé qui traversait difficilement la carcasse d’un tronc gigantesque.
Et Adramæk a compris qu’il avait perdu.
Le seul membre de son petit clan venait de le rejeter pour le même crime qui lui avait valu de quitter les murs de Boꜵr. Banni du cœur de l’akci à laquelle il s’était faiblement attaché, Adramæk sentait son âme se déchirer. C’était le but de l’exil, non ? Il avait des crimes à expier. Alors il a porté sa douleur comme on brandit son honneur. Adramæk souffrirait et, un jour, sa faute serait lavée.
En attendant, seul dans le silence, il croyait entendre le souvenir évanescent de la voix de Niashæl résonner contre la haute voûte des feuillages.
Annotations