Erreurs - 2

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Tᴇ sᴏᴜᴠɪᴇɴs-ᴛᴜ ᴅᴇ ʟ’ʜɪsᴛᴏɪʀᴇ ᴅᴇ Kᴀʟɪɪɴ ? Dᴇ ᴄᴇʟʟᴇ ᴅ’Aʀᴊᴀᴋ ᴇᴛ ᴅᴇ Nʏᴏᴋᴀʀ ? Iʟs ᴀᴠᴀɪᴇɴᴛ ᴛᴏᴜs ᴜɴᴇ ᴍɪssɪᴏɴ, ᴜɴᴇ ᴏ̨ᴜᴇ̂ᴛᴇ. Eᴛ ᴛᴏᴜs ʟ’ᴏɴᴛ ʀᴇғᴜsᴇ́ᴇ.

Au début, oui. Mais ils ont fini par l’embrasser.

Aᴜ ᴅᴇ́ʙᴜᴛ, ᴇɴ ᴇғғᴇᴛ. Mᴀɪs ᴏ̨ᴜᴇ sᴇ sᴇʀᴀɪᴛ-ɪʟ ᴘʀᴏᴅᴜɪᴛ s’ɪʟs ᴀᴠᴀɪᴇɴᴛ sᴜ ᴏ̨ᴜᴇ ʟᴀ sᴇᴜʟᴇ ғᴏʀᴄᴇ ʟᴇs ʏ ᴄᴏɴᴛʀᴀɪɢɴᴀɴᴛ ᴇ́ᴛᴀɪᴛ ʟᴀ ʟᴇᴜʀ ? Qᴜ’ɪʟs ᴘᴏᴜᴠᴀɪᴇɴᴛ s’ᴇɴ ᴀʟʟᴇʀ, sᴀɴs ᴏ̨ᴜᴇ ᴘᴇʀsᴏɴɴᴇ ɴ’ᴇɴ ᴘᴀ̂ᴛɪssᴇ ?

Mais… Les koxason auraient souffert.

Vʀᴀɪᴍᴇɴᴛ ? Cᴇ ɴᴇ sᴏɴᴛ ᴏ̨ᴜᴇ ᴅᴇs ʜɪsᴛᴏɪʀᴇs. Uɴ sᴇᴜʟ ɪᴅɪᴏᴛ ɴᴇ sᴀᴜʀᴀɪᴛ ᴘᴏʀᴛᴇʀ ʟᴇ ᴅᴇsᴛɪɴ ᴅᴇ ᴛᴏᴜs.

*

Dans les dortoirs que les Yudæln avaient faits leurs comme s’ils comptaient rester, quelques Dai ronflaient. À sa couche, on identifiait aisément le clan d’un occupant. Les Tickn tendaient à accumuler un tas d’objets divers autour d’eux pour se rappeler les litières concaves de leur jeunesse. Les Riaon superposaient les sommiers pour prendre de la hauteur ; quatre des cinq hamacs accrochés dans la salle leur appartenaient d’ailleurs. Sur le cinquième, chargé de plumes, de tissus et de coussins, somnolait Lautèg, la Kwashil. Les Boꜵrn, férus de solidité, s’étaient monté des châlits de bois et de métal pour remplacer les larges blocs de pierre de chez eux. Les Frreshien se tassaient autour des calorifères sombres, réjouis par l’obscurité, et les trois petites couchettes en retrait étaient celles des Nisn. Quant aux Rokiann, qui aiment dormir en communauté serrée, ils n’avaient rien trouvé à changer.

Le Riao Taki somnolait contre un mur. Sa crinière lui poussait jusque dans le dos. Il vous a suivi des yeux avec suspicion ou mauvaise humeur.

— Salut, Nash. Caei, fait longtemps qu’on t’a pas vue ici. Ça fait quoi d’être Naræs de la Cité ?

— Je suis Nëluuj, Taki.

— Vivement les luttes, alors. On sera mieux dans ce trou à rats avec une quasi-Dai aux commandes.

Une odeur d’eau-de-vie t’est parvenue.

— Taki, t’as bu ou quoi ? l’a interrogé Niashæl.

— Pas tes oignons.

— Tu ferais pas ça dans un clan, as-tu ajouté.

— Ouais, ben j’y suis pas.

— Et si quelqu’un t’attaquait ?

Il a émis un rire contenu.

— Quoi, genre un Ælv ?

— Ou un exilé ou un Yudæl ou un accident.

— Je m’en fous.

Il a pris une gorgée de son outre.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? a demandé Niashæl.

Un grognement t’a échappé. Vous deviez fouiller le dortoir. Il fallait se débarrasser de Taki, pas lui faire la parlotte. Le Riao a bu une deuxième gorgée.

— Y’a qu’elle est casse-cul, cette Cité.

— Sans blague, as-tu lâché.

— Taki…

— Nan, y’a pas de Taki qui tienne, foutez-moi la paix. Dégagez, là.

Tu as vu une opportunité pour écarter l’importun.

— Ça va être à toi de bouger si tu veux être tranquille, parce qu’on reste ici.

Taki a reniflé.

— Vous voulez que moi je dégage ? J’étais là avant.

Il a remarqué que Niashæl balayait la pièce du regard.

— Vous cherchez quet'chose, hmm ? Quet'chose de louche ?

— Mais merde, Taki ! Tu t’es saoulé jusqu’au cou ou quoi ? as-tu dit pour changer de sujet. Si le Naræs te voyait, j’te jure.

— J’suis pas dans un clan, j’ai dit. Y’a pas de clan. Pas de Naræs. Pas d’ennemi. Pas de rien. Juste de gentils Ælvn niais qui sont trop sympas pour nous rebalancer dans la forêt. Mais pas assez pour laisser Taki se chercher sa bouffe lui-même, non. Il faut faire ce que les Ælvn demandent, sinon Taki, il a rien à becter. Et quand les gentils Ælvn ont pas besoin de lui, il a rien à becter non plus. Ils pourraient juste me buter, mais non. T’façon j’ai trouvé la planque d’alcool, hé hé.

— T’as l’air de manger à peu près à ta faim, a dit Niashæl sans réfléchir.

— Ça, c’est parce que les copains me filent leur part. Comme à un nouveau-né.

Tu as secoué la tête.

— C’est déjà assez humiliant de devoir piocher dans leur réserve, s’ils te laissent même pas chasser…

— Ouais, hein ! Ils m’ont encore empêché de sortir aujourd’hui.

— Non ?

— Déjà que les gardes ont fait une exception pour Cuki. Il est censé partager ce qu’il trouve avec moi, mais j’en ai ma claque. J’suis plus un petiot, là. C’est à moi de nourrir le clan, merde.

— Tu sais quoi ? On va aller à l’entrée ensemble. Je vais leur dire de te laisser sortir et on verra ce qu’on peut faire pour les prochaines fois. Tu vas tenir debout ?

— Mais oui, j’te dis.

Tu as fait un signe de tête à Niashæl, qui a compris qu’elle fouillerait la pièce pendant que tu accompagnerais Taki.

Les gardes n’ont posé aucune question quand tu les as sommés d’ouvrir les portes. Nul doute qu’ils le rapporteraient aux Llëmnoa. Taki a traversé en courant le pont qui vous séparait de la forêt.

Le Riao a traqué quelques rongeurs et un palu replet. Tu as attrapé deux oiseaux et un prihwit. Sur le retour gisait le cadavre d’une auu. Sans cérémonie, Taki a porté la louve à ses épaules avec le reste de ses prises.

— C’est quoi l’histoire, Taki ? Pourquoi t’es pas retourné à Riao ?

— Plusieurs raisons, a-t-il dit après réflexion. Je peux pas juste revenir, c’est le jeu. Je dois attendre qu’un Riao me libère. Enfin tu connais la routine.

Pas vraiment. Toi, personne ne serait jamais venu t’affranchir.

— C’est pas dans la Cité qu’on te libérera, as-tu fait remarquer.

Taki a poussé un rire sardonique.

— Y’a des chances. L’autre raison, c’est que j’étais curieux. Je voulais voir ce que ça allait donner, cette petite escapade.

— Et maintenant, t’as vu ?

— Maintenant, j’ai vu.

— Pourtant tu restes.

— Ouaip. Mais p'tet plus pour long, je commence à en avoir ma claque. Je sais juste pas…

Il a ajusté son fardeau.

— … Je sais juste pas si le clan voudra bien de moi.

— Pourquoi ils voudraient pas de toi ?

— On m’a pas libéré, je suis toujours esclave. Ils diront : « Taki, t’as été demander de l’aide aux Ælvn, t’aurais mieux fait d’avoir crevé ».

— Je pense pas. Tant que t’es pas akci, Riao voudra bien de toi.

Ta voix était froide.

— C’est pas… C’était pas super honorable d’avoir cavalé comme ça, a-t-il insisté.

Tu as haussé les épaules. Il s’inquiétait pour rien. C’était un vrai Riao, le clan l’accueillerait toujours.

Plutôt que se reprocher de s’être enfui, il aurait mieux fait de se demander pourquoi il avait mis si longtemps à le faire. N’étions-nous pas plus forts de nous être libérés par nous-mêmes ?

Niashæl vous attendait à l’entrée de la Cité. Tu as confié tes prises à Taki, à déposer dans la réserve yudæl, et Niashæl t’a fait un compte-rendu une fois le Riao suffisamment éloigné.

— J’ai pas osé chercher trop en détail avec les Dai qui dormaient, mais je pense pas que la dague soit là-dedans. Enfin ç’aurait été étonnant qu’elle y soit.

— Pourquoi ?

— Les Ælvn réduisent le nombre d’armes en circulation. Ils viennent fouiller les dortoirs de temps en temps et confisquent ce qu’ils trouvent. On garde nos armes sur nous, du coup.

— T’aurais dû me le dire avant.

— Ça valait le coup d’essayer.

— Hm.

Vous avez avancé en direction des dômes. Niashæl se frottait les bras comme s’il faisait froid.

— Ëidhae pense que tu es une menace, a-t-elle dit sans transition. C’est pour ça qu’hier, elle a… Enfin, voilà.

Tu as marqué une pause. Tu ne voyais pas où elle voulait en venir.

— Je suis une menace.

— C’est pas ce que… On va dire que oui.

Pourquoi souriait-elle ? Ëidhae avait raison de te craindre. Les Llëmnoa auraient bien fait de suivre son exemple.

— T’as toujours été sans compromis, a-t-elle poursuivi.

— Je fais tout le temps des compromis. Sinon les Llëmnoa auraient plus de têtes.

— J’ai l’impression… Je me trompe peut-être.

— Je comprends pas ce que t’essaies de dire, Nash.

— C’est juste…

Elle a paru changer d’avis.

— C’est juste qu’Ëidhae se fait du souci. J’aimerais pouvoir dire que ses craintes sont infondées, mais c’est pas le cas.

— Hm hm.

— Ce sera ma faute, si elle part.

Tu n’écoutais que d’une oreille. Les conversations de Niashæl avaient bien changé depuis l’époque où vous discutiez techniques de combat.

— T’as pris sur les Ælvn. Tu tournes autour du pot comme eux, maintenant.

— Désolée. C’est juste que… ça sert à rien que je t’en parle, je connais déjà la réponse.

— Tu sais que t’as qu’à demander pour que je t’aide.

— Tu peux pas, a-t-elle tristement dit.

Tu as affiché un air maussade. Étais-tu toujours une enfant incapable à ses yeux ?

— Tant pis pour toi.

— Tant pis pour moi, a-t-elle répété.

Taki, au loin, portait le poids des vies que vous aviez volées. Niashæl le fixait, la boule au ventre.

— Ëidhae fait déjà des sacrifices. Elle s’est mis ses parents à dos.

— Elle pouvait pas ignorer que ce serait un problème. Ma mère s’est fait bannir pour le même crime. Ëidhae s’en sort bien.

Niashæl t’a regardée d’un air navré.

— Ils t’ont rendue cynique.

— Les idéalistes prennent toujours les réalistes pour des pessimistes.

— Je suis pas idéaliste, s’est-elle défendue. Je savais que ce serait difficile, mais je croyais la Cité plus paisible que ça. Les citoyens font juste semblant d’éviter la violence, mais ils s’attaquent aux émotions au lieu des corps.

Elle a baissé la tête, réellement attristée.

— Je mens pas quand je dis que je suis pas idéaliste, tu sais.

Elle a songé au fardeau sanglant de Taki. Qu’advenait-il des âmes de vos proies ?

— J’aurais aucune raison de l’être. Pas depuis que j’ai vu mes parents se faire tuer.

Tu as tendu l’oreille. Elle n’avait jamais évoqué l’incident en détail.

— J’étais complètement paumée là-haut, a-t-elle dit en posant un doigt sur son crâne. Je le suis peut-être encore, je sais pas. Je suppose que j’ai oublié ce que ça fait d’être normale.

— On n’est pas nées « normales ». Tu peux pas oublier ce que t’as jamais su.

— C’était normal, Caei. J’étais une enfant avec des parents. C’était normal.

— T’as zappé la partie où ils s’étaient isolés dans la forêt ? Et celle où ils étaient pas de la même espèce ? Ça vaut ce que ça vaut, mais moi, j’ai cru être normale. Je peux te dire que ça ressemble pas à ça.

Elle a détourné les yeux. Un court silence s’est installé.

— Est-ce que tu as l’impression, parfois… qu’on porte sur nous le poids de chaque vie qu’on a éteinte pour continuer à vivre ?

Tu n’osais compter le nombre de vies que tu porterais sur tes épaules si tel était le cas.

— Aya et Ama qui sont morts pour moi, et tous ceux que j’ai mangés… Ils me pèsent. J’ai l’impression de devoir compenser leurs sacrifices, mais je sais pas comment. Je peux pas juste arrêter de vivre ou ils seraient morts pour rien, mais plus je vis longtemps, plus mon fardeau s’alourdit. Comment est-ce que je peux repayer ça ?

Personne ne mourrait jamais pour moi, as-tu songé avec une pointe d’envie. Certains ont même risqué leur vie pour me nuire.

— Tu te poses trop de questions.

— Dis-moi quoi faire. Donne-moi une idée. Comment me racheter ?

— Rien. Tout le monde survit sur la vie des autres. On est tous coupables.

Elle a baissé un regard brumeux. Humide.

— Vivre, c’est tuer, as-tu dit. Le mieux que tu puisses faire, c’est de tuer avec discernement. T’as l’air de penser qu’on vit pour quelque chose, mais peut-être qu’on vit pour rien. On fait des sacrifices dans le vent.

Elle s’est serré les bras. Son air défait t’a agacée.

— Estime-toi juste heureuse qu’on ait assez tenu à toi pour vouloir que tu vives.

Elle a froncé les sourcils.

— Tu crois que j’apprécie pas le sacrifice de mes parents ?

— J’ai pas dit ça. Mais même sans les connaître, je peux te dire qu’ils aimeraient pas que tu te tortures comme ça.

Niashæl le savait aussi, mais ignorait comment l’accepter. Sa culpabilité ne lui pesait pas moins qu’avant.

— Toi aussi, je préférerais que tu vives.

— Ouais, ben va pas te sacrifier pour moi.

— J’essaierai de pas t’infliger ça, a-t-elle dit en parvenant à s’égayer.

Vous avez marché en silence. Niashæl te fixait de temps à autre, mais ton regard était happé par les dômes. Elle a soupiré.

— Pourquoi les Ælvn ont la vie facile comme ça ? C’est pas juste.

La question enfantine a failli te faire rire.

— J’ai une théorie là-dessus, as-tu répondu. Ça se trouve, l’univers se retient de leur envoyer des obstacles auxquels ils peuvent pas faire face.

— Ah. Donc les Dai se prendraient des claques parce qu’ils sont trop forts ? N’importe quoi…

— C’est toi qu’as demandé, as-tu dit avec un haussement d’épaules.

Niashæl a ralenti puis s’est arrêtée à l’intersection menant aux dômes de Chal et d’Amës.

— C’est ici qu’on se sépare… a-t-elle hésité.

Tu as soupiré en silence.

— Vas-y, ça te démange.

— À la prochaine fois, Caei.

C’était une traduction approximative de la formule ælv. Niashæl se passait difficilement des politesses. Elles la rassuraient.

Vlamum, as-tu répondu.

Elle a rougi. De la moquerie, as-tu cru ; de ton sourire espiègle, en vérité.

La demi-Dai est partie rejoindre son Ælv d’une démarche dansante et tu es restée plantée à observer le dôme de Chal. Il était propre et paisible. Tu ne voulais pas y retourner.

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