Carte postale asiatique
Quelques semaines plus tard, je me retrouvais, comme prévu, au Vietnam. Avec du recul, je constate bien que mes déplacements géographiques ignoraient complètement le sens de la logique. J’étais dans cet état vibrant de liberté, tel un électron sciemment emporté par les courants de la vie. En huit semaines, j’ai sillonné les routes de Hanoi jusqu’à Ho Chi Min, en remontant ensuite par le Cambodge et le Laos.
D’un bout à l’autre, c’était des kilomètres à moto entrecoupés d'échanges, de jus d’ananas frais, de soupes de nouilles chez les petits marchands de trottoir munis de tabourets en plastique. Les mots s’alignaient sur mon carnet de voyage, esquissant le portrait d’un pays, sauvegardant les expériences et découvertes :
Vietnam
C’est un vert charnu
Verdure constante
Des îlots rocheux
Montagnes individuelles
Dressées en multitude
Dans l’océan,
Les plaines,
Les rizières
Des pagodes dorées
Dont le toit pointu
Signale l’existence
Au coeur des forêts
Panneaux publicitaires
Grand format
Grosses lettres
Les couleurs criardes
S’exclament en silence
Dans le paysage
Le long des routes
Emballages plastique
De bonbons et chips
Soulevés par le vent
Absorbés par la terre
Répartis avec art
Sur le sol verdoyant.
Des heures dans l’autobus
Des poules dans l’autobus
Les conversations
La transpiration
Poste de frontière
Cambodge
Goudron brûlant
Salades de mangue
Visages ronds
Sourires avenants
Démarche lente
Une bande de marmots
Panier au bras
Les mots en poche
Marchandent colliers,
Bracelets en scoubidou
L’ombre d’une raie
Glisse sur le sable
Des plages blanches
Le silence aquatique
L’esprit bercé
Dans un hamac
Plonger l’orteil
Dans l’eau turquoise
La nuit se blottir
Dans un bus couchette
La présence inquiétante
Des mauvaises intentions
Qui parfois vont jusqu’à
Passer à l’action
Aux limites du pays
Confiez votre passeport
Au douaniers gardiens
Des prochaines aventures
Laos
Forêts brûlées,
Argile sèche
La route orange
Terrain en friche
Familles nombreuses
Cabanes en bois
Bouddhas trônant
Sur les collines
Moines aux pieds nus
Drapés d’orange
Dragons sculptés
Au coin des temples
Voilé de poussière
L’astre rose pâle
Épouse son reflet
Dans le fleuve du Mékong.
Ces deux mois ont été remplis d’aventures et de belles rencontres autant que d’interrogations sur moi-même. Je me regardais malmener mon corps, entre les brusques changements de climat, de nourriture, d’hygiène et les interminables trajets en bus. Lors de ceux-ci, les paysages défilaient devant mes yeux tandis que je cogitais inlassablement. Des questions que je ne me posais pas lors des précédents voyages surgissaient alors, provocantes, sans réponse, insatiables. Aujourd’hui je vole, je roule, je marche, je profite. Mais demain, à mon retour, qui suis-je ? Quelle est ma place dans ce bas monde ? Quel est mon rôle ? De quoi vais-je vivre ?
J’appelais Bilal de temps à autres, comme il me l’avait suggéré. C'était une des rares personnes à prendre régulièrement de mes nouvelles, mes proches ayant pris l'habitude de considérer que j'étais loin et occupée. Or, j'étais certes loin sur la planète, mais je pensais beaucoup à eux et attendais toujours avec impatience de pouvoir leur partager mes aventures et en rire avec eux. Il me fallait être patiente, car je me heurtais souvent au décalage horaire et à l'absence de réseau. Au téléphone, mon ami d'Islande se contentait de me dire que tout allait bien et me rappelait que si j’étais en difficultés, il était toujours disposé à me prêter de l’argent. Je lui répondais que j'avais le nécessaire, la vie sur place étant très bon marché. En revanche, je lui demandais parfois s’il avait des contacts pour m'aider à trouver du travail à mon retour en Islande. Il répondait toujours “Eeeeeeeasy, relax, profite de ton voyage. On va trouver, aie confiance.”
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