0j 00h 00m 19s
Ce n'est ni le matin, ni la nuit. Le jour ne se distingue plus du soir. Voilà un moment tout à fait tendre, celui où, entre deux inspirations, près du dernier souffle, le cœur s'arrête pour une brève incursion dans le vide. Puis, doucement, à peine perceptible, le battement reprend sa musique et les yeux d'Émilien s'entrouvrent.
Il a vu la lumière, celle du moment ultime engluée de l'instant du réel. C'est encore l'après-midi, du moins, il lui semble. Le soleil présente des rayons dont la courbure fait penser à un éclat de lumière sur un verre de cristal. Le silence de la pièce l'agresse. Ici, il y a toujours quelqu'un qui pleure ou qui crie. Il y a les alarmes, les appels sur l'interphone, le passage feutré des pas dans le corridor. Surtout à cette heure. La fin de la journée est un moment où tout se produit en même temps. Le début et la fin d'un quart. La faim qui gargouille dans le ventre des occupants qui ont fini de se vider les intestins dans leurs couches. Le délire du crépuscule annoncé, comme une mort en répétition. Le départ des rares visiteurs dont on quémande un regard comme un sans-abri espérant un sou. L'odeur de Javel qui s'interpose à celui des pommes de terre en purée qui mijotent dans un chaudron au sous-sol. Un parfum de fin du monde dans un tumulte incessant qui donne le tournis.
Émilien se demande pourquoi ce silence le torture autant. D'habitude, il déteste le bruit qui parade entre ses oreilles, tapage qu'il voit tout autant qu'il l'entend. Il le respire aussi. Mais là, le silence est tranchant et lui inflige une douleur dans la poitrine.
Le vieil homme se demande s'il n'est pas déjà mort. Il prend une profonde respiration. Le sifflement de l'air virevolte dans sa trachée. Il gonfle ses poumons fatigués, retient ce souffle et relâche doucement cette emprise sur le trop-plein pour laisser fuir cette pollution interne dans un gargouillis plutôt incongru.
Il sourit et lâche un vent : « Non, je suis vivant, par la Sainte Crucifixion du Christ ! »
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