0j 00h 00m 18s

2 minutes de lecture

Émilien ferme les yeux, histoire d'obscurcir la lumière qui l'enveloppe comme une chape de pierre. Et tout ce silence qui le ronge jusqu'à l'os ne fait qu'augmenter le doute malgré l'odeur du vent qui monte à ses narines.

Il décide de se lever, découvrant tout à coup qu'il était couché, chose plutôt inattendue puisqu'il fait encore jour. Émilien se couche au couchant et se lève au levant, ridicule habitude qui l'a pourtant gardé bien en vie toutes ces années.

Il pose ses deux pieds dans les pantoufles gaufrées, deux bout de pieds bleu timide avec un ourson à gauche et un pot de miel à droite. Un trait de couture, fil noir en barbelé qui court de gauche à droite au bout duquel sourit une abeille. C'est un cadeau de son fils, Sébastien, qui est venu lui rendre visite il y a un siècle et demi, pour se faire bonne conscience. Le médecin devait lui avoir dit que le pauvre petit vieux n'en avait plus pour très longtemps. Seb téléphonait une fois par semaine mais Émilien ne faisait qu'écouter avec distraction les jérémiades de cet être qui s'était détaché de toute responsabilité envers son paternel. La distance n'avait plus d'importance car elle était en soi un désert qui ne servait ni au père ni au fils. Seul le souffle des mots vides de sens habitait pour un instant, la longue et ennuyeuse vie d'une mort annoncée.

Émilien, une fois les orteils enfouis dans les cavernes bleu poudre, projeta son corps vers l'avant, espérant encore une fois que ce dernier ne se retrouve pas en déséquilibre et qu'il chute le nez sur les carreaux froids à attendre que quelqu'un daigne venir le remettre sur son lit.

Il titube mais les murs tout autour de lui présentent une perspective d'équilibre dans laquelle il arrive à se déplacer. Le vieil homme raidit sa jambe droite et avance d'un pas, à peine un centimètre, s'attendant à choir mais tout se tient. Il sourit.

Il toussote. Sa salive a un goût de caramel brûlé. Il grimace. "Bon Dieu de bon diable, je suis trop vivant, encore trop en vie !"

Ses pas le mènent enfin à la porte de la chambre où il tourne la poignée au métal brossé. L'homme risque un regard dans le corridor et pousse un juron :

"Mais où est allé tout le monde ? Ho ! Allô ?"

Le plancher ciré lui renvoie une image inversée de la fenêtre au bout du corridor. Il inspire profondément, retient l'air et lâche de nouveau un cri :

"Germaine Trudeau est une salope !"

L'écho ne lui répond même pas. Dommage. C'eût été agréable sinon rassurant.

Émilien fait quelques pas et prononce encore trois ou quatre obscénités qui sont, d'habitude, fortement réprimandées et passibles d'une peine d'isolement pour les profanateurs qui ne sont pas atteints d'une maladie débilitante.

"Et j'encule le petit cul de la docteur Marchessault !"

Fâché de ce silence moqueur, il avance péniblement vers la chaise roulante qui se trouve tout près et s'y écrase avec force grimaces.

"Hé, ce n'est pas drôle ! On fait quoi maintenant ?"

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Patrice Landry ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0