2. Devoirs et démons
Terre Lambda - Année 2020
En 1985, Pascal, s'engagea dans la Marine Nationale avec une détermination résolue, animé par une passion indéfectible pour son devoir. Dès son plus jeune âge, il avait voulu suivre les pas de son père qui avait passé plus de quinze dans la Marine. Il avait ressenti également cet appel de la mer, cette vocation presque sacrée à protéger, à servir son pays. Il ne chercha l'approbation de personne, ni de ses parents, ni de Glorie, sa jeune et jolie fiancée dont les yeux pleins d'avenir s'étaient tournés vers lui en totale confiance.
Il savait que son choix serait pour elle un coup dur, presque une trahison mais il partit, emportant avec lui une promesse d'amour incomplète. Ainsi, Pascal s'embarqua dans une vie pleine d'incertitude et de tempête, laissant Glorie face à des vagues d'un autre genre, à la douleur et l'attente.
Il se plongea dans sa nouvelle vie avec une détermination farouche, cherchant à se perdre dans le vaste océan pour échapper aux souvenirs qui l'attachaient encore à la terre.
Au début, il écrivit de temps en temps à ses parents, des lettres brèves, distantes, plus par devoir que par désir réel de maintenir le contact.
Mais lorsque ses parents lui firent la remarque de son silence envers sa petite amie, soulignant qu’il ne lui avait pas écris une seule fois depuis son départ, Pascal sentit une colère sourde monter en lui. Il ressentit le reproche de ses parents comme une accusation et, bien que justifiée, cela réveilla en lui une fierté blessée. Il ne voulut pas à admettre qu'il avait pu avoir tort, qu'il avait pu faire du mal.
Et plutôt que de se confronter à cette culpabilité naissante, il choisit la fuite. Il arrêta d'écrire à ses parents, leur reprochant en silence de ne pas comprendre son choix, de ne pas accepter qu'il ait préféré l'immensité de l'océan à la stabilité de la terre ferme. Les mois passèrent, puis les années et cette décision d'abandonner toute communication fut d'abord une libération, ou du moins, il s'en persuada.
Sans lettre à envoyer, sans nouvelle à attendre, Pascal put se consacrer entièrement à sa vie en mer. Il endurcit son cœur, coupant méthodiquement les derniers liens qui le reliaient à son passé.
Même ses amis, qui lui avaient envoyé quelques messages d'encouragement, finirent par ne plus recevoir de réponses. Ils comprirent, non sans amertume, que Pascal avait choisi de disparaître de leur vie.
Pour lui, chaque journée en mer devenait une épreuve de plus pour se convaincre que son choix était le bon. Il s'immergeait dans les tâches les plus ardues, se portait volontaire pour les missions les plus dangereuses, espérant peut-être qu'une vie pleine de risques et de défis finirait par justifier les sacrifices qu'il avait faits. Il se forgea la réputation d'un homme intrépide, respecté par ses compagnons pour son courage, mais distant, presque inhumain dans son refus de se lier à quiconque.
Mais, le soir, seul sous le ciel étoilé, alors que le reste de l'équipage s'accordait un moment de répit, Pascal se surprenait parfois à penser à Glorie. Il imaginait son visage, ses yeux remplis de tristesse t, à chaque fois, il repoussait ces images avec la froideur qu'il s'était imposée.
Il avait fait son choix, c'était trop tard pour revenir en arrière.
Malgré lui, ces pensées revenaient sans cesse... Jusqu'au jours où Pascal lui écrivit une lettre dans laquelle il laissa enfin parler son cœur, déversant sur le papier toutes les émotions qu'il s'efforçait de refouler.
Il y écrivit son regret de l'avoir abandonnée, confessant que son départ avait été autant un acte de fuite qu'un choix de vie. Il racontait les tempêtes qu'il affrontait en mer, mais surtout celles qui tourmentaient son esprit chaque nuit, lorsqu'il se retrouvait seul avec ses souvenirs. Il admettait que, malgré ses efforts pour se convaincre du contraire, une part de lui restait irrémédiablement liée à elle, à ce qu'ils avaient partagé.
Mais lorsque la plume se levait du papier, la réalité reprenait ses droits.
Pascal relisait ses mots, puis pliait la lettre avec soin avant de la ranger au fond de son coffre, loin des regards. Il n'était pas prêt à faire face aux conséquences de ces aveux, ni à raviver des douleurs qu'il avait tenté d'enterrer.
Il continua de naviguer, jour après jour, son cœur toujours en proie à cette lutte intérieure. A chaque nouvelle escale, il se demandait s'il aurait un jour la force de sortir cette lettre de sa cachette avant de l'envoyer. Mais dans l'instant, il préféra garder l'image de cet homme sans cœur, fuyant la douceur d'un amour qu'il croyait perdu à jamais, se condamnant à une vie de solitude et de remords.
Pascal finit par céder à cette lutte intérieure.
Une nuit, après des heures d’insomnie à tourner et retourner cette décision dans son esprit, il se leva brusquement, déterminé. Avec une résolution nouvelle, il sortit la lettre de son coffre. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu'il y ajouta quelques mots, une phrase simple qui résumait tout pour lui :
"Je t'écris enfin, parce que je ne peux plus me taire."
Les jours suivants furent une épreuve d'attente, d'incertitude, mais aussi d'une étrange sensation de légèreté. Il continuait à accomplir ses tâches avec la même rigueur même si quelque chose en lui avait changé. Il savait que les mots qu'il avait envoyés traversaient maintenant des terres et des mers, porteurs de toutes les émotions qu'il avait refoulées pendant si longtemps.
Enfin, après des semaines de silence, alors qu'il était en mer depuis plusieurs jours, une réponse arriva : une lettre, avec une écriture qu'il reconnaîtrait entre mille.
Tremblant de nouveau, mais cette fois d'une émotion qu'il ne pouvait nommer, Pascal ouvrit la missive. Les mots de Glorie, empreints de douceur et de chagrin, lui firent comprendre qu'elle n'avait jamais cessé de penser à lui. Elle exprimait sa surprise, mais aussi une lueur d’espoir, car malgré tout ce temps et les blessures qu'il avait laissées, elle n'avait pas oublié le jeune homme qu'elle avait aimé.
Il sut alors que son choix de partir avait été guidé par la peur. Le chemin pour retrouver Glorie fut long et incertain, mais c'était celui qu'il devait emprunter : affronter toutes les tempêtes pour tenter de recoller les morceaux de ce qu'ils avaient perdu.
Quelques années plus tard, en 1988, chacun reprocha à l'autre les échecs de leur relation. Glorie accusait Pascal d'être trop absent, d'avoir été plus absorbé par sa carrière que par leur vie de famille. Elle évoquait des soirées solitaires, des anniversaires oubliés et une maison qui se vidait peu à peu de toute chaleur humaine.
Quelques années plus tard, en 1988, chacun reprocha à l'autre les échecs de leur relation. Glorie accusait Pascal d'être trop absent, d'avoir été plus absorbé par sa carrière que par leur vie de famille. Elle évoquait des soirées solitaires, des anniversaires oubliés et une maison qui se vidait peu à peu de toute chaleur humaine.
De son côté, Pascal se plaignait de son manque de soutien et de compréhension face aux sacrifices qu'il avait dû faire pour assurer leur confort matériel. Il se sentait incompris, étouffé par les attentes de Glorie, épuisé par leurs disputes incessantes et à bout de sa possessivité et de sa jalousie. Chaque regard suspicieux, chaque question apparemment innocente masquait un besoin de contrôle qui l'étouffait un peu plus chaque jour. Il ne supportait plus cette méfiance constante qui pesait sur chacun de ses mouvements, comme si tout ce qu'il faisait était sous surveillance.
Les rancœurs s'étaient accumulées au fil des mois, et chaque tentative de réconciliation semblait creuser un fossé encore plus profond entre eux.
Leur histoire d'amour se termina par un divorce amer
Ce fut un tournant décisif dans leurs vies respectives. Glorie chercha à reconstruire sa vie, explorant de nouvelles passion tout en redécouvrant son indépendance pendant que Pascal tentait de combler le vide laissé par son épouse dans une immersion totale dans son travail.
Très rapidement, il se spécialisa dans les missions de sauvetage, des opérations souvent menées en territoires hostiles, où chaque décision pouvait être une question de vie ou de mort. Son divorce l'avait brisé, mais au lieu de se laisser abattre, il avait transformé sa douleur en une énergie brute qu'il canalisait dans chacune de ses missions. Il voyait désormais dans chaque tâche une échappatoire, un moyen d'oublier Glorie, de fuir les souvenirs d'une vie qu'il avait rêvé de construire avec elle.
C'est la raison pour laquelle, dès son entrée dans les Forces Spéciales, il s'était imposé comme un soldat d'exception. Son engagement total et son insatiable soif de prouver sa valeur n'avaient pas échappé à ses supérieurs. Ils remarquèrent rapidement son potentiel, cette capacité rare à rester calme sous pression, à réfléchir rapidement dans les situations les plus périlleuses ou à exécuter les ordres avec une précision redoutable. Ces qualités faisaient de lui un atout précieux pour l'armée.
C'est pourquoi il fut rapidement affecté aux unités d'élite, responsable de groupes d'intervention spécialisés dans les missions les plus dangereuses et les plus délicates.
Glorie était toujours dans son esprit, l'amour de sa vie hantait encore ses pensées. Il avait vite compris qu'il ne l'oublierait jamais, malgré le temps qui passait et les épreuves qu'il endurait. Elle apparaissait souvent dans ses rêves, dans des moments de silence, ces rares instants où le bruit des combats cessait. Comme un signe, elle était là, toujours présente, un rappel constant de ce qu'il avait perdu, une douleur sourde qui ne cessait de résonner en lui, même lorsqu'il se convainquait que son travail était tout ce qui comptait.
Il renoua timidement avec ses parents, leur adressant quelques lettres éparses, mais quelque chose s'était irrémédiablement brisé. Le lien autrefois indéfectible qui l'unissait à son père n'existait plus, et la flamme qui les avait animés semblait vaciller, presque éteinte.
Désormais, Pascal se retrouvait seul face à l'immensité du vide, sans famille, sans amis, sans âme à chérir.
Il avait été envoyé dans les régions les plus instables du globe : des jungles denses d'Amérique du Sud aux déserts arides du Moyen-Orient, en passant par les montagnes enneigées d'Asie centrale. Dans chacune de ces missions, il déployait toutes ses compétences, alliant intelligence stratégique et force brute, pour ramener ses compagnons ou des civils en lieu sûr. Chaque vie sauvée était une victoire contre lui-même, une manière de donner un sens à sa douleur.
Les années défilèrent et la réputation de Pascal crût de manière exponentielle, tout comme le nombre de ses succès et de ses décorations. Il était devenu une légende parmi ses pairs, un modèle de courage et de dévouement. Cependant, derrière cette image de héros, subsistait un homme en quête de rédemption, aux prises avec ses propres démons, cherchant dans chaque mission une raison d'avancer, un moyen d'échapper à son passé.
En 2020, lors d’une chaude nuit d’août, les pensées de Pascal l’empêchèrent de trouver le sommeil. Il décida de quitter sa cabine étroite pour aller prendre l'air sur le vaste pont du porte-avions où il servait. Le géant de la flotte française, voguait majestueusement au large des côtes libyennes, en mission dans le sud de la Méditerranée. Le silence n'était rompu que par le bruit de la mer fendue par la proue du navire, un chant apaisant qui semblait pourtant insuffisant pour calmer son esprit agité.
Lorsque le ciel était dégagé et constellé d'étoiles scintillantes, Pascal avait l'habitude de lever ses yeux vers l'infini, toujours à la recherche d'un réconfort dans la grandeur de l'univers. Cette nuit-là, le firmament offrait un spectacle d'une rare beauté, un ballet d'étoiles filantes traçant des arcs argentés à travers le velours noir de la nuit. Ebloui, il laissa ses pensées dériver avec la brise légère, lorsqu'un mouvement inhabituel attira son attention.
Venant du sud, une ombre immense, presque imperceptible, semblait se détacher de la nuit elle-même. Lentement, elle se rapprochait, effaçant les étoiles sur son passage comme un rideau sombre glissant sur une scène illuminée.
Le cœur de Pascal s'emballa, oscillant entre fascination et appréhension, tandis qu'il devinait la forme colossale de ce qui ne pouvait être qu'un aéronef. Sous ses yeux ébahis, l'engin survolait le porte-avions avec une lenteur majestueuse, sa taille titanesque dévorant le ciel au-dessus du navire.
Mais, même s'il était stupéfait par cette vision, il ne fut pas terrifié par ce qui relevait de l'incompréhensible. L'ombre gigantesque passait silencieusement, laissant derrière elle un ciel à nouveau parsemé d'étoiles, comme si elle n'avait été qu'un rêve fugace.
L'émotion intense qui le submergea lui assura qu'il n'avait pas rêvé mais il ne partagea aucunement cette apparition. Pour lui, cette rencontre fascinante, resterait gravée comme un souvenir indélébile, presque un signe, une nuit où l'infini avait frôlé son existence.
La mission dont il devait s'acquitter quelques semaines plus tard, en compagnie de ses hommes, devait se dérouler en Centre-Afrique. C'était, en apparence, une mission similaire aux précédentes. Toutefois, l’inattendu frappa avec une violence inouïe. Une trahison, une erreur de calcul, un piège inattendu, puis l'impensable se produisit : Pascal perdit la plupart de ses camarades, des hommes avec qui il avait partagé des moments intenses, ses frères d’armes. Lui-même fut gravement blessé, son visage portant désormais les stigmates de ce jour tragique, ce jour qui marqua un tournant définitif dans sa vie.
Malgré les dizaines de vies qu'il avait sauvées au fil des ans, malgré les missions accomplies au péril de sa propre existence, il se retrouva soudainement rejeté par sa hiérarchie. Ceux qui l'avaient autrefois admiré pour son courage et sa détermination semblaient désormais le considérer comme un poids, un rappel vivant des échecs et des pertes. L'homme qui avait consacré toute sa vie à son devoir se retrouva soudainement seul, une nouvelle fois face à lui-même, avec pour seule compagnie le souvenir de ses camarades disparus et la douleur de ses blessures.
Chaque jour se transforma en un véritable combat, non seulement pour guérir, mais aussi pour redonner un sens à une existence qui lui paraissait désormais vide, sans but. Pascal, l'homme de fer, l'indomptable, se trouvait confronté à une nouvelle réalité : celle de la solitude et du doute.
Il savait qu’une ultime bataille l’attendait, celle de la rédemption et de l'acceptation de ce qu'il était devenu.
Mais comment y parvenir ? Pour lui, l'heure était venue de tirer sa révérence.
Il prit donc sa retraite et s'installa près de Paulhenc, un petit village niché au cœur du Cantal, dans le centre de la France. Ce département, cher à son cœur, lui offrit le calme et la quiétude dont il avait tant besoin pour se ressourcer. Grâce à l'argent économisé durant ses trente années de service dans l'armée, il put s'offrir une vieille ferme, qu'il rénovait petit à petit, au gré de ses envies et de son temps libre. Il n'était pas dans le besoin et se contentait de peu, trouvant son bonheur dans la simplicité.
Ses loisirs consistaient en de longues promenades, souvent solitaires, à travers les forêts environnantes ou le long de la Vallée de Brezons. Parmi ses lieux de prédilection se trouvait la forêt de Fontanes, un endroit qui lui semblait dégager une atmosphère enchanteresse et mystérieuse, où chaque sentier racontait une histoire ancienne, où chaque arbre murmurait des légendes oubliées.
Les rayons du soleil qui jouaient à travers les feuillages denses, créaient des jeux d'ombres et de lumières qui conféraient à la forêt un air de sanctuaire. Les vieux chênes aux troncs noueux, les ruisseaux murmurants et les clairières baignant dans une douce lumière dorée contribuaient à cette ambiance presque féerique.
Quand Pascal se promenait dans cette forêt, c'était comme s'il pénétrait dans un autre monde, un lieu hors du temps où la nature se mêlait à l'imaginaire pour créer un espace apaisant.
C'était là, dans ce hameau isolé, qu'il trouvait son équilibre, loin du tumulte du monde, dans la contemplation de la beauté simple et sauvage de son nouveau Pays.
C'était là, dans ce lieu saint, qu'il rêvait de racheter ses fautes, de réparer ses erreurs et de corriger les mauvais choix qui l'avaient conduit jusqu'ici. A chaque pierre déplacée dans cette vieille maison, il se rappelait les décisions regrettables qu'il avait prises, les moments où il avait fait du mal, où il avait cédé à l'orgueil.
C'était là, dans ce refuge qu'il pourrait enfin faire face à ses démons intérieurs, se confronter à la part sombre de son être, et tenter de trouver la rédemption qu'il cherchait désespérément.
C'était là, au cœur de cette solitude qu'il s'était imposée, qu'il espérait panser ses blessures pour retrouver un semblant de paix intérieure.
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