Histoire des bibliothèques
Le 14 janvier 2020
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours éprouvé une sensation de bien-être dans les bibliothèques. Ces lieux peuplés de livres dégagent un magnétisme unique auquel je suis sensible. Dès le seuil, je suis frappé par l'harmonie et l'esthétique des rangées de livres qui saturent l'espace et ravissent l'œil. En second lieu, je capte l'odeur des ouvrages, une odeur chaque fois différente mais reconnaissable. Des fragrances qui se déclinent en plusieurs variantes suivant la nature, l'origine ou l'état des volumes. L'odeur est lourde, forte et musquée dans les bibliothèques anciennes où les reliures en cuir dominent, elle est plus piquante et subtile dans les rayonnages des livres neufs ou persiste l'arôme du papier fraîchement sorti des presses. Ensuite, je suis impressionné par le mutisme ambiant. Ce calme est d'autant plus envoûtant qu'il se déploie dans un volume important peuplé de lecteurs. Le silence est ponctué par le bruissement des livres déplacés ou des pages tournées. Troublé par ses sensations prégnantes, je ne résiste pas à l'envie de m'approcher des rayonnages pour puiser dans cette manne avec appétit.
Je me souviens des différentes bibliothèques qui ont jalonné ma vie. Celle de la paroisse, située face à l'église, où j'empruntais des livres sur le mimétisme animal. Celle de la commune, où je consultais de gros volumes sur l'histoire de la littérature, et plus tard, l'imposante bibliothèque du onzième arrondissement de Paris qui offrait un choix très large de livres anciens reliés, aujourd'hui relégués dans les réserves. J'ai toujours considéré les bibliothèques comme des oasis de paix, des refuges, des lieux propices à l'étude et à la méditation.
Le livre de Frédéric Barbier "Histoire des bibliothèques, d'Alexandrie aux bibliothèques virtuelles" permet de mieux comprendre la magie qui règne au sein de ces sanctuaires de l'imprimé. C'est avant tout un livre d'histoire qui décrit, depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, comment s'est déployée l'inébranlable volonté des hommes de bâtir des lieux rassemblant le savoir de l'humanité. Les premières bibliothèques sont nées en Mésopotamie, le pays de l'invention de l'écriture, vers le IVe millénaire avant Jésus-Christ. Elles avaient pour but de conserver les documents comptables et les textes religieux. Cette aventure s'est développée par l'initiative individuelle de quelques érudits fortunés bientôt relayés par les institutions religieuses, notamment les monastères, puis par les rois et les gouvernants qui ont compris l'importance de contrôler la diffusion du savoir.
Au XVe siècle, la formidable invention de l'imprimerie contribua à rendre plus populaire l'usage des livres, mais ceux-ci restèrent encore longtemps entre les mains d'une élite qui constitua des bibliothèques réservées à l'usage privé. Ce n'est qu'à partir du dix-neuvième siècle que se développèrent des établissements dédiés à la lecture. D'abord sous la forme de cabinets de lecture d'initiatives privées puis sous celles de bibliothèques publiques prises en charge par l'État ou les communes. Pendant cette période, les investissements dans les bibliothèques ont atteint un niveau jusque-là inégalé.
Ce récit n'est pas limité à la France, mais il englobe le monde entier et prend le temps de s'attarder sur la genèse de quelques bibliothèques emblématiques qui ont marqué l'histoire culturelle, comme la célèbre bibliothèque d'Alexandrie ou celle du monastère de l'Escurial près de Madrid. Il n'oublie pas non plus les personnalités qui ont marqué de leur empreinte cette aventure, qu'ils soient princes, savants, pape ou esthètes fortunés (Assurbanipal, Louis onze, Charles V, Luther, Hernando Colomb). Il retrace les conséquences des révolutions qui ont conduit au pillage des bibliothèques du clergé et dénonce l'effet destructeur des guerres. Mais cet itinéraire ne serait pas complet s'il n'abordait pas les questions techniques liées au fonctionnement et à l'organisation des bibliothèques, à la formation du personnel et à l'architecture (nécessité de minimiser les distances à parcourir et les temps de communication, tout en améliorant l'éclairage). Tous ces sujets sont traités et l'auteur nous conduit jusqu'à une réflexion sur les perspectives offerte au tournant du IIIe millénaire. La bibliothèque en tant que lieu physique d'échange et de contact se transformera-t-elle en un espace virtuel de transfert de fichiers numériques ? La bibliothèque du futur, ressemblera-t-elle à celle qu'imaginait le philosophe Gaston Bachelard ? :
"Le paradis à n'en pas douter n'est qu'une immense bibliothèque".
L'ouvrage de Frédéric Barbier se veut exhaustif et parfois un peu technique, mais il reste très abordable pour un lecteur motivé.
À retenir en particulier, la devise portée au fronton de la bibliothèque du Cardinal de Bernis "Ici sont réunis l'agréable et l'utile" (cité page 226).
Bibliographie :
"Histoire des bibliothèques", Frédéric Barbier, Armand Colin 2013, 304 pages.
Quelques livres pour compléter :
- "La bibliothèque, la nuit", Alberto Manguel, Actes Sud 2006, 335 pages.
Un essai magistral à lire absolument, il témoigne d'un amour inconditionnel pour les bibliothèques et analyse tous les aspects de cette question, une version plus littéraire et poétique du livre de Frédéric Barbier. (Alberto Manguel est aussi l'auteur d'une "histoire de la lecture".
- "La bibliothèque nationale de France, mémoire de l'avenir", découvertes Gallimard 1996,176 pages.
- "100 conseils pour votre bibliothèque, la constituer, l'enrichir", Jean-Louis Cospérec, Editions Roudil 1987, 121 pages.
Un petit bijou dans le genre, que l'on ne peut trouver que sur le marché de l'occasion.
- "La véritable histoire de la bibliothèque d'Alexandrie", Luciano Canfora, Editions Desjonquières 1988, 212 pages.
Un livre passionnant et savant.
- "Les bibliothèques", Denis Pallier, PUF collection Que sais-je ? 2000, 127 pages.
Une synthèse utile.
- "La bibliothèque engloutie", Editions Paulsen, Wilson-Lee Edward 2019, 497 pages.
C'est l'histoire du fils de Christophe Colomb qui a parcouru l'Europe à la recherche d'imprimés de toute sortes pour constituer une bibliothèque universelle. Une aventure digne de celle vécue par son père.
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