Moderato Cantabile
Le 5 février 2020
Même si je prévois parfois l'ordre de lecture dans une pile de livres en attente, je déroge très souvent à mes choix initiaux. Lorsque je termine un livre, je suis aussitôt saisi par le plaisir procuré par le choix de ma prochaine lecture. La sélection est souvent difficile, car plusieurs critères rentrent en compte. Mon premier mouvement est en faveur d'un livre susceptible de prolonger l'agréable sensation suscitée par le précédent, je cherche alors un autre titre du même auteur. Lorsqu'il s'agit d'un essai ou d'un livre d'histoire, j'ai envie d'approfondir les thèmes étudiés et de mettre à profit mes connaissances fraîchement acquises pour les confronter avec la thèse d'un autre auteur. Un critère purement matériel vient cependant pondérer mon enthousiasme ; lorsque je viens de terminer la lecture d'un texte exigeant sur le plan de la concentration ou très long, j'ai envie de me rafraîchir avec un texte court et plus léger. Ainsi, après "l'introduction à l'histoire de l'Antiquité", thème passionnant, mais en même temps assez aride, j'ai eu envie de passer au roman et si possible avec une histoire relativement brève pour me permettre de reprendre mon souffle. Après avoir fureté dans ma bibliothèque et feuilleté quelques pages ici où là parmi mes Josef Conrad, Patrick Modiano ou Jean Genet, et après avoir éliminé Amélie Nothomb dont j'ai déjà lu pas mal de livres, j'ai jeté mon dévolu sur un petit livre de Marguerite Duras au titre original : "Moderato Cantabile".
Je ne connais pas bien cette auteure, je n'avais lu jusqu'alors qu'un seul de ses livres "Le square". Ce n'était pas pour moi une révélation, mais j'y avais trouvé de quoi alimenter ma curiosité au point d'envisager la récidive. Après la lecture du premier chapitre de "Moderato Cantabile" j'ai eu l'impression de commencer un recueil de nouvelles, un peu dans le style d'Hemingway, celui de "Paradis perdu" qui commence, après une courte introduction laissant entrevoir une ambiance un peu étrange, par une scène de dialogue entre des personnages qui garderont, jusqu'à la fin de l'histoire, une grande part de leur mystère. Ce premier chapitre de "Moderato Cantabile" pourrait se suffire à lui seul, tant il résume bien le livre. Il met en parallèle deux événements ; l'un relevant de l'anecdote, un enfant met une certaine mauvaise volonté à suivre les consignes de son professeur de piano, et l'autre relevant du drame, un crime glauque est commis dans un bar. On en apprendra pas beaucoup plus au cours de la lecture des autres chapitres. Marguerite Duras ne raconte pas une histoire, elle peint une ambiance, décrit une atmosphère étrange avec peu de personnages conversant à demi-mot, presque toutes les scènes se déroulent dans un bistrot, rendez-vous des ouvriers du port situé non loin. Les scènes se répètent comme un thème musicale, des phrases reviennent souvent sous différentes formes, "un verre de vin, demanda-t-elle", "Il commanda du vin...", "Elle avala une gorgée de vin...". Le décor est assez sinistre, les personnages un peu suicidaires et l'auteur dessine progressivement le tableau d'une sorte de labyrinthe, le ton est désespéré, on entend comme une plainte déchirante issue d'une souffrance indicible mais rien n'est clairement dit. Ce texte, dont le titre évoque l'univers musical, doit peut-être s'apprécier comme telle, une composition provoquant l'émotion des auditeurs sans raconter réellement d'histoire. C'est une musique ou une peinture lugubre, faite de nuances de gris. Il n'y a rien avant ni après, c'est un récit elliptique ou domine les non-dits, une voie sans issue. Le style est minimaliste. Sans doute, faut-il interpréter ce récit à l'aune des autres ouvrages de Duras que je ne connais pas encore. Ce qui est certain, c'est que cette œuvre à le mérite de surprendre le lecteur par sa tonalité très particulière. On reste un peu en suspend, comme après l'écoute d'une œuvre musicale, on perçoit l'ambiance, on éprouve des émotions, mais on ne comprend pas tout. Il est vrai qu'un portraitiste de talent n'a besoin que de quelques traits pour s'exprimer.
Bibliographie :
"Moderato Cantabile", Marguerite Duras, Les éditions de minuit, format poche (2015), 159 pages. Le récit est complété par des articles de presse rédigés au moment de la parution du livre en 1958.
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