Journal d'un lecteur
Le 19 mars 2020
L'œuvre d'Alberto Manguel gravite autour du monde des livres. Avant le "Journal d'un lecteur" j'avais lu "Une histoire de la lecture" et "La Bibliothèque la nuit", deux essais ou l'auteur nous invite à un voyage au cœur des bibliothèques et au plaisir de la lecture. J'ai retrouvé dans l'un d'eux un article découpé dans le nouvel observateur de décembre 2006, Alberto Manguel concluait l'entretien en ces termes :
«Les lecteurs, ont depuis toujours été traités de fous, de lâches, de misanthropes, de solitaires. Parce qu'on veut confondre l'espace intime créé par la lecture avec un éloignement. En fait, c'est le contraire. On rentre dans le monde en entrant dans un livre. Et on y rentre à plusieurs. On lit à deux, à quatre, à mille. L'amour d'un livre qui se propage, c'est vertigineux. »
Alberto Manguel c'est l'homme aux 35 000 livres. Sa bibliothèque il l'a construite dès l'âge de 5 ans, malgré ses nombreux déménagements, il possède toujours précieusement sa première acquisition : "Les Contes" de Grimm.
Il est né en 1948 en Argentine, mais il est citoyen du monde. Il a passé une partie de son enfance en Israël, puis il a résidé dans de très nombreux pays, le Canada, la France, les États-Unis. Il est journaliste, écrivain, traducteur, conférencier. Il a été, entre autres, directeur de la bibliothèque nationale d'Argentine et responsable de la collection "le Cabinet de lecture" chez Actes Sud. C'est un habitué de l'émission de François Busnel "La grande librairie" diffusée chaque semaine sur France 5. Son dernier passage date du 4 mars 2020 pour son livre "Monstres fabuleux".
Ce "Journal d'un lecteur" est un moyen pour l'auteur de nous faire part de sa vision du monde à travers le filtre de quelques chefs-d'œuvre qu'il a décidé de relire.
Dès la première ligne, on est séduit par l'intelligence, la clarté des propos et leur pertinence. L'auteur balaye un grand nombre de sujets en rapport direct ou lointain avec ses lectures. Son texte est émaillé de commentaires sur l'actualité, de réflexions philosophiques, de citations ou de souvenirs d'enfance. Il parle de sa bibliothèque, des objets qui l'entoure, de ses rencontres. Il évoque ses voyages, ses tournées d'auteur, ses trouvailles au marché aux puces. Chacun de ses paragraphes suggère une foule d'idées et d'images qui nous éloigne quelques instants du texte pour y mieux revenir.
Un livre fait d'anecdotes et de réflexions, de quoi contenter tous les lecteurs. Ce qu'il dit à propos des "Mémoires posthumes de Brás Cubas", peut s'appliquer à son "Journal d'un lecteur" :
«Un livre écrit avec indolence, avec l'indolence d'un homme que ne concerne plus la brièveté de ce siècle, une œuvre nonchalamment philosophique...»
Voici quelques passages que j'ai trouvés particulièrement savoureux, non pas spécialement par la profondeur de la réflexion sous-jacente, mais par leur concision et leur authenticité. Ils donnent le ton de cet ouvrage à la fois divertissant, instructif et stimulant pour l'esprit.
«L'idée majeure dans Don Quichotte, c'est la lutte entre un idéal et la réalité.»
«La chatte feint d'être surprise par sa queue, l'observe un moment et puis bondit pour l'attraper. C'est comme si elle s'était persuadée de l'apparition de quelque chose qui ressemble à sa queue, mais ne l'est pas : une queue fictive, en quelque sorte. Pour profiter du jeu, elle s'accorde de la suspension volontaire d'incrédulité du lecteur.»
«Pour qu'un livre nous touche, il faut sans doute qu'il établisse entre notre expérience et celle de la fiction - entre les deux imaginations, la nôtre et celle qui se déploie sur la page - un lien fait de coïncidences.»
J'ai bien aimé aussi cette anecdocte :
"Notre voisin est venu nous offrir du bois. Il a calculé combien il lui en faudra s'il vit jusqu'à quatre-vingt-dix ans. Tout le reste, il va le donner."
Je me demande si je ne devrais pas faire pareil avec ma bibliothèque.
Je suis heureux d'avoir découvert avec ce livre de nouvelles perspectives de lecture, notamment : Maccado de Assis, une grande figure de la littérature brésilienne et Kenneth Grahamme pour son roman "Le vent dans les saules" un classique de la littérature britannique pour enfants.
Bibliographie :
- "Journal d'un lecteur", Alberto Manguel,collection Babel, Actes Sud (2006), 245 pages.
- "Une histoire de la lecture", Alberto Manguel, Actes Sud (1998), 427 pages.
- "La Bibliothèque la nuit", Alberto Manguel, Actes Sud (2006), 335 pages.
- "Ma bibliothèque, c'est moi", interview d'Albert Manguel par Didier Jacob,"Le nouvel observateur" 30 novembre-6 décembre 2006.
Vocabulaire :
"Dans son mémoire sur le Tasse, Chateaubriand rend compte de la conviction qu'avait le poète de la présence du numineux en ce monde". (page 80 du "Journal d'un lecteur").
Numineux : nom masculin. Phénomène mystérieux, que l'on ne parvient pas à expliquer de manière rationnelle, et qui par conséquent laisse à penser qu'il est relatif ou divin.
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