Stendhal par lui-même
Le 15 juillet 2020
Quel cheminement m’a conduit à lire cette petite étude de Claude Roy consacrée à Stendhal (Marie-Henri Beyle dit Stendhal 1783-1842) ? Tout le monde s’en moque me direz-vous et j’accepte ce point de vue sans contester. Ne vous sentez donc pas obligé de poursuivre la lecture de cette chronique qui n’a d’autre but que de fixer mes impressions de lecture avant qu’elles ne s’évaporent. Cette précaution prise je peux poursuivre mon propos en compagnie des lecteurs restants, s’il en est.
Envisageant de reprendre la lecture des œuvres complètes de Balzac, et ce d’une manière méthodique j’ai pensé qu’il serait utile de réviser au préalable toute l’histoire du XIXe siècle du moins jusqu’en 1850 année du décès de l’auteur de la comédie humaine. Cependant, me dis-je, cette étude historique ne peut être complète sans la lecture des grands auteurs de ce siècle d’autant plus que mes lacunes en ce domaine sont encore importantes. Un nom m’est venu naturellement à l’esprit, Stendhal. Plutôt que de relire « Le rouge et le noir » dont il me reste peu de souvenirs au point de douter l’avoir lu, je préfère, pour renouer avec cet auteur, aborder « La chartreuse de Parme ». Ce choix est motivé par l’intérêt que ce roman suscita pour Balzac au point qu’il y consacra une critique de 70 pages dans la Revue Parisienne du 25 septembre 1840 ! C’est en formant ce dessein que je me suis aperçu que je n’avais que peu d’éléments précis en tête sur la vie et la personnalité de Stendhal. Pour combler ce manque, j’ai d’abord envisagé de terminer la lecture de la grande biographie de 800 pages que lui a consacrée Michel Crouzet. Le courage m’a manqué et c’est ainsi que j’ai jeté mon dévolu sur ce petit livre de la collection « écrivains de toujours » que j’affectionne particulièrement au point d’avoir acquis progressivement la quasi-totalité des titres de cette collection publiée initialement dans les années 50 et reprise dans les années 90. Je me suis arrêté là dans cette démarche qui aurait pu me conduire à considérer que la lecture des pieds Nikelé était un préalable à mon projet, tant il est vrai que de fil en aiguille on peut établir des liens entre les auteurs, les époques, les idées, les styles, les genres et remonter ainsi très loin en concédant à chaque étape une certaine distanciation. Ce grand écart peut paraître étrange, mais qui pourrait nier la filiation entre l’épopée de Gilgamesh, les récits bibliques et l’Iliade et l’odyssée ? De ces sources qui permettent d’identifier les grands mythes découlent toutes les grandes œuvres ultérieures. Le temps n’existe pas dans le domaine de la littérature et de l’art en général. Jean de la Fontaine n’a fait que rafraîchir et actualiser les fables d’Ésope imaginées au 6e siècle av. J.-C. Nous lisons aujourd’hui La Fontaine avec le même ravissement que celui que devaient éprouver ses contemporains. Tant qu’il s’agit de décrire la nature humaine, les textes anciens présentent autant d’intérêt que les écrits modernes. Les différences viennent du style et de la langue.
Ce livre de Claude Roy publié en 1951 répond-il à sa vocation d’introduire à l’œuvre de Stendhal ? Oui, mais partiellement. Je pensais y trouver une biographie plus complète, en fait seules les soixante premières pages sont consacrées à la vie de Stendhal. Pour l’essentiel ce livre est constitué de citations et d'extraits de son œuvre. Ce n’est pas inintéressant, mais s’agissant d’une collection destinée au grand public il me semble que la succession de textes extraits d’œuvres diverses et exprimant dans une forme condensée des idées variées est d’une lecture assez monotone et peu efficace pour satisfaire mes attentes. J’aurais souhaité être plus accompagné et mieux guidé dans ma réflexion plutôt que livré à la lecture de textes rendus un peu arides, car éloigné de leur contexte.
C’est donc dans les premières pages que j’ai trouvé les informations les plus intéressantes. Un passage m’a plus particulièrement frappé, il est anecdotique, mais assez amusant, car il montre que les fiches de police peuvent parfois être utiles à l’histoire. Un fonctionnaire, dans le cadre dont ne sait quelle enquête, décrit ainsi les habitudes de Stendhal : « C’est un gros garçon… Il va très rarement dans les salons… Il va beaucoup au spectacle et vit toujours avec quelque actrice… Il achète beaucoup de livres. Il rentre tous les soirs à minuit. » Voilà qui donne en peu de mots un aperçu de la vie de Stendhal en 1814. Ces informations, aussi minces soient-elles ont le mérite de l’authenticité et de l’objectivité, car on ne peut pas y discerner une volonté quelconque de déformer les faits bruts.
Je retiens de Stendhal qu’il s’inscrivait par son goût pour l’introspection et l’analyse des émotions, dans le mouvement romantique. Il privilégiait la recherche du bonheur plutôt que la gloire et la fortune. Il prône un style sec, direct, au service de la vérité des sentiments, il critique Chateaubriand qui cache par le style l’absence d’émotions réelles. « Il dénonce le superflu de la forme parce qu’il est toujours le signe d’une faiblesse d’âme… et déteste chez Madame de Staël cette façon dégoûtante qu’a l’auteur de Corinne de continuer à mimer une émotion qu’elle ne ressent plus. » (page 37). Devenu assez tardivement romancier après s’être essayé à la critique, aux livres de voyage, aux biographies et à l’autobiographie, il s’est finalement orienté vers le roman parce qu’il était convaincu que ce genre restait le seul capable de toucher le plus grand nombre possible de mondes. Sa courte vie (59 ans), mais aussi son indécision sur le choix d’une carrière et peut-être un manque d’ambition, ne lui aura permis que d’écrire quelques romans (les plus connus : « Le rouge et le noir », « La chartreuse de Parme »). Ceux-ci comptent cependant parmi les plus grands chefs d’œuvres du siècle, même si leur mérite ne fut reconnu qu’après la mort de leur auteur. Il est aussi connu comme l’inventeur du concept de cristallisation qui permet de décrire les étapes de transformation d’une femme ou d’un homme qui tombe amoureux.
Le petit livre de Claude Roy a le mérite de nous rappeler que Balzac a été le premier à reconnaître la valeur de Stendhal et que l’échange épistolaire entre ces deux romanciers est très éclairant sur leur point de vue concernant l’art du roman. Voilà qui m’incite maintenant à lire intégralement les 70 pages que Balzac a consacrées à l’éloge de la Chartreuse de Parme, selon lui :
« Monsieur Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre. Il a produit, à l’âge où les hommes trouvent rarement des sujets grandioses, et après avoir écrit une vingtaine de volumes extrêmement spirituels, une œuvre qui ne peut être appréciée que par les âmes et les gens supérieurs […] »
Ce jugement d’un écrivain en pleine gloire à l’égard d’un quasi-inconnu témoigne des qualités de visionnaire de Balzac.
Bibliographie :
– « Stendhal par lui-même », Claude Roy, collection « Écrivains de toujours », Seuil 1951, 189 pages.
– « Stendhal ou Monsieur Moi-même », Michel Crouzet, Grande Biographie Flammarion, 1990, 795 pages.
– « Études sur M. Beyle », Revue Parisienne dirigée par M. de Balzac du 25 septembre 1840, page 273 à 342.
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