Chapitre 3

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Je me réveille en sursaut. Encore une fois, j’ai rêvé que je me noyais dans un lac gelé, et que quelque chose – sans doute Jade – m’empêchait de remonter. Les larmes baignent mon oreiller, je suis en sueur et mon coeur bat à toute vitesse.

Je jette un œil à mon téléphone. Il est deux heures du matin. Je remonte la couette sur mes épaules et soupire. J’ai froid. Pourtant, le thermomètre indique qu’il fait vingt-cinq degrés dans ma chambre. Rien à voir avec les moins dix degrés du lac, ce jour-là. Je me souviens encore des paroles de la maîtresse. Faites attention à ne pas tomber dans l’eau, elle est à environ moins dix degrés. Je ne suis pas tombée, puisque qu’on m’y a poussé. Je me demande quelle excuse a raconté Jade à la maîtresse. Je la connais, elle n’aurait jamais dit la vérité. Parfois, je me questionne sur ce qu’elle est devenue. Sans moi, elle n’avait pas vraiment d’amis. Est-elle toujours aussi toxique ? Fait-elle son hypocrite avec Hannah et Leyla pour ne pas rester seule ? S’est-elle trouvée une nouvelle «meilleure amie» à faire souffrir ? Si ça se trouve, elle a complètement changé. La maîtresse a dû la punir pour harcèlement, et ses parents ont dû payer une amende. J’ai bon espoir qu’elle s’est améliorée. À des moments, je regrette d’avoir été son amie. Mais je continue à être attachée à elle, malgré ce qu’elle m’a fait. Parce qu’au début, je l’aimais vraiment beaucoup, Jade. À mon avis, c’est ce qui m’a aveuglé et m’a en partie empêché d’en parler.

Je chasse mes souvenirs de mes pensées. Si je veux savoir ce qu’elle est devenue, j’ai juste à prendre mon téléphone, composer son numéro et l’appeler, ou lui envoyer un SMS. Je n’ai pas réussi à supprimer son contact. Et si je n’ose pas lui parler directement, j’ai toujours le numéro de Leyla ou de Hannah enregistré. Mais est-ce que je serai capable de parler à des gens de là-bas ? Des gens qui savent ce qui m’est arrivé ? Je ne pourrai pas supporter le fait d’avoir leur pitié. Je n’en ai pas besoin. J’ai déjà celle du psychologue que j’avais consulté – et qui ne m’a pas aidé – et je déteste ce ressenti. Je n’ai pas besoin des «ma pauvre», «oh non, ça va» ou encore «c’est horrible ce qu’elle t’a fait». Tout ça, on me l’a répété maintes fois. C’est sûrement pour ça que je ne veux pas parler de mon histoire à mes amis. Je ne veux pas de leur pitié.

Je me réveille quelques heures plus tard. Aujourd’hui, c’est samedi, je suis libre de faire ce que je veux. Je commence par aller déguster un brownie de ma mère, accompagné d’un chocolat chaud surmonté de crème chantilly. C’est mon lot de consolation après les cauchemars de ma noyade, qui arrivent quand même souvent. Mes parents savent quand j’en fais. Parce que je me réveille en suffoquant. Je tousse et fais un bruit infernal.

Puis, je vais me brosser les dents, coiffer mes cheveux châtains et enfiler des vêtements. Aucune sortie avec mes amis est prévue aujourd’hui, alors je mets une robe vintage bleu pastel.

Je vais mieux. Je suis plus souvent heureuse. Je recommence à accorder ma confiance. Après tout, cela fait six ans que j’ai été poussée. Mais dès fois, le passé ressurgit, et j’ai l’impression d’être à nouveau plonger dans l’eau.

Clara : Coucou, je passe chez toi, j’ai des cookies.

Clara est ma nouvelle meilleure amie. La seule à qui je dévoile ma vraie personnalité. La seule à qui j’ai eu le courage de révéler ma noyade. Et elle est vraiment gentille et digne de confiance. Elle ne m’a pas forcé, elle ne m’a pas demandé. C’est moi qui ai pris l’initiative. Clara est la sœur que je n’ai pas.

Elle arrive quelques minutes plus tard, une boîte de cookies faits maison en main. On s’installe à la cuisine équipée d’un bar, avec des verres de limonade.

- Ça va ?

- Oui et toi ? demande-je.

- Oui. C’est cool, que tu ailles bien. Tu me semblais un peu… angoissée, ces derniers temps.

Je prends une inspiration.

- Oui… J’étais dans une phase où… je repensais beaucoup à avant.

Elle sourit timidement et tapote mon épaule. Ce geste me rappelle Jade. Quand elle me tapotait les épaules, fière d’elle après une vengeance et qu’elle me sortait une de ces phrases du genre «je t’avais prévenue».

Je recule subitement et Clara lève sa main.

- Désolée. J’avais oublié.

On continue de manger nos cookies et Papa entre dans la cuisine.

- Tiens, bonjour Clara, salue-t’il.

- Bonjour Monsieur Bright, répond mon amie.

- Oh, tu sais, tu peux m’appeler Nicolas.

Depuis le temps qu’il lui dit… Clara a toujours été très polie et formelle.

- Sinon… outre tes aventures avec Jade… Comment c’est, New York ?

Je réfléchis en sirotant ma limonade.

- Trop beau. Impressionnant, même. Je te jure, il y a des gens partout, les bâtiments sont hypers hauts, on dirait que la ville ne s’arrête jamais. Le quartier chinois est trop mignon, et Central Park ! Ooh, j’adorais y aller.

- Tu vivais à Manhattan ? Je croyais que tu vivais à Brooklyn. Que Brooklyn vivait à Brooklyn.

Elle rit de son jeu de mots.

- Je suis née à Brooklyn quand mes parents y étaient pour visiter. Mais oui, je vivais à Manhattan.

Clara attrape un énième cookie et le grignote.

- Hm… Brook’, tu peux m’pacher la bouteille d’eau ch’il te plait ? demande-t’elle en enfournant l’entièreté de son biscuit en bouche.

- Tiens.

Je lui tends la carafe pleine d’eau. Elle s’essuie la bouche.

- On sort ? Faire un tour dans Glasgow.

- Ok, laisse-moi me changer.

Clara me retient.

- Hé. Je comprenne que tu n’assumes pas ton passé, car il est difficile et je respecte ce choix. Mais assume au moins ta vraie personnalité. Ne te crée pas une façade, parce que je te promets qu’ici, personne ne te jugera. On est tes amis, on t’aime comme tu es, Brooklyn. Alors peut-être qu’à Manhattan, tu te faisais juger. Mais ici, non. Tu n’es pas obligée d’être branchée pour être aimée.

Les larmes me montent aux yeux. Clara est vraiment une super amie. Mais si elle faisait ça juste pour que tout le monde voit qui tu es vraiment et que tout le monde se moque de toi ? La voix de ma conscience se crée un chemin dans ma tête. Dans mon esprit, ma conscience à la même voix que Jade. Et je n’ai jamais réussi à la faire taire. Tremblante, je porte ma main à mon cou, comme si je recommençais à suffoquer.

- Brooklyn, tout va bien ?

- Je… non… Tu peux… me laisser ? On sortira demain, promis.

Clara, compréhensive, quitte la maison. Je monte dans ma chambre, ferme le volet et me glisse sous ma couette. Je n’arrive pas à arrêter mon tremblement. Je repense à ce jour, où Jade a crié à tout le monde que j’étais sûrement venue du passé, et que c’était pour ça que j’étais – je cite – «aussi mal habillée» et que je n’avais «pas de smartphone». J’en avais un. Je le laissais juste chez moi.

Maman ouvre la porte de ma chambre et s’assoit sur mon lit. Elle passe un bras autour de mes épaules.

- Eh, ça va aller, d’accord ? Ne laisse pas Jade gâcher ta vie. Elle a changé depuis. J’ai gardé contact avec ton ancienne maîtresse, qui prend souvent des nouvelles de Jade.

- Elle est devenue comment ? murmure-je.

- Laisse-moi te raconter.

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