Chapitre 6
On est tous les six dans la salle de musique. Clara tapote sur son téléphone, Holly joue avec ses cheveux, Jason nous fait un roulement de tambours.
- Bon, il faut qu’on discute de plusieurs choses. La première, il faut un nom pour notre groupe.
Je me creuse les méninges et pense à la première chose qui me vient en tête : Croftime. Ouais, non, c’est nul.
Holly tape dans ses mains et hurle :
- JE SAIS !!!
Steve la fixe avec dédain.
- Vas-y, parle.
- Attention, roulement de tambours… (Jason obéit.) Modern Black !
- Stylé, répond Clara, toujours le nez dans son téléphone.
- Pourquoi «Modern Black» ? questionne Steve, sceptique.
Simon hausse les épaules et répond :
- On s’en fout du pourquoi. Le plus important, c’est que le nom soit stylé.
- Ok, ok. Va pour Modern Black si tout le monde est d’accord. (La totalité des gens hochent la tête.) Maintenant, voilà les paroles des chansons écrites par Brooklyn, nommées Trop importante et Laisse-moi tomber.
Steve distribue les photocopies qu’il a faites tout à l’heure. Simon hoche la tête.
- Trop cool.
- On va devoir travailler, ajoute Clara.
Notre guitariste propose de commencer par une introduction au piano pour Trop importante. Il demande à Holly d’essayer quelques accords. Quand elle joue l’accord de sol mineur, Steve hoche la tête.
- Ok, fais quelques rythmes avec les notes de la gamme de sol mineur. Et à la main gauche, fais l’accord de sol mineur à plusieurs hauteurs différentes.
Elle fait ce que demande Steve. Ça rend triste, j’adore. Jason se rajoute à la batterie de manière stylée et quand Steve lui demande, Clara attrape sa guitare et joue quelques notes au hasard. Il donne un coup de menton dans ma direction et je commence à chanter. Simon tente un truc à la basse pas incroyable, mais il se reprend rapidement. Quand on est tous calés, Steve rajoute sa guitare. On la rejoue plusieurs fois un peu différemment, puis on commence à griffonner une partition.
- Ok, c’est bon pour aujourd’hui. On se revoit samedi dans le hangar près du lycée, annonce Steve.
Tout le monde range son instrument. Je m’approche d’Holly.
- J’ai adoré ton intro au piano. Ça colle super bien avec la chanson.
- Héhé, merci.
Clara m’attrape par la main et me conduit dans un coin de la pièce.
- Ta chanson. C’est en rapport avec Jade ?
- Ah… Hm… Oui.
Ma meilleure amie soupire et arrange ses cheveux.
- Tu l’exposes aux autres, tu t’en rends compte ?
- Ils ne comprendront pas.
Enfin, j’espère.
Je regagne ma maison, épuisée.
- Coucou, Brooklyn. Tu étais où ?
- Ah, je me suis intégrée à un groupe de musique. Pour participer à la fête de l’école.
- Génial ! Tu vas pouvoir penser à autre chose.
Ma mère me sourit et me tend un brownie que j’accepte. Je monte mes affaires dans ma chambre puis me douche. J’accroche le pommeau pour pouvoir laver mes cheveux et allume l’eau. Le liquide glacé se répand sur moi, il glisse dans mes cheveux, entre dans mes oreilles, coule sur ma peau. J’ai l’impression d’être de retour dans le lac. J’entends la voix de Jade hurler. Me dire qu’elle m’avait prévenue. L’eau me semble peser un poids énorme et exercer une pression sur ma tête. La main de Jade se visualise dans mon cerveau, je me débats tandis que l’eau continue de couler sur moi. Je tousse puis je hurle.
Ma mère débarque en courant. Elle éteint l’eau et me tend une serviette pour que je m’enroule dedans.
- Brooklyn !
Je frissonne et me blottis dans la serviette. Un coup d’oeil au miroir me permet de m’apercevoir. J’ai la peau pâle, les cheveux trempés et plaqués et les lèvres bleutées. Au loin, j’entends le ricanement de Jade et je me recroqueville.
Maman abat doucement sa main sur ma tête. Je m’apprête à la repousser quand elle descend le long de mes cheveux et me serre contre elle.
- C’est fini, Brooklyn.
- L’eau… elle était gelée.
Je sanglote. Maman secoue la tête.
- Non, Brooklyn. Elle était brûlante.
Je relève la tête. L’eau me semblait froide. Pourtant, la pièce est baignée de vapeurs d’eau. J’ai juste déliré.
Je frotte mes yeux et me rhabille. Ce n’est pas la première fois que j’ai peur sous la douche. Mais c’est la première fois que je perds mes moyens.
Le lendemain, je me réveille d’un nouveau rêve de noyade. Je mange une pomme avant de rejoindre le lycée, dans le vent frais.
- Hé, Taylor Swift !
Je me retourne. Steve me rejoint à grands pas. Qu’est-ce qu’il me veut, dès le matin ?
- Samedi j’ai un empêchement. On reporte la répétition à dimanche. Dis le aux autres.
- Ah… Mais pourquoi c’est toujours à moi de faire le messager ? Débrouille-toi, t’as leur numéro.
J’accélère et entre dans le lycée.
Le dimanche a donc lieu la deuxième répétition des Modern Black. J’arrive la première, vêtue d’une jupe en jean et d’un top noire, des bottines noires aux pieds. Steve sort de derrière le hangar et écrase sa cigarette par terre. Il sent le tabac froid, une odeur que je ne supporte pas. Je m’éloigne le plus possible de lui.
- Où sont les autres ? raille-t’il.
- Je ne sais pas.
Il attrape son téléphone.
- Ils ont déjà 15 minutes de retard. Tu leur as bien dit, non ?
- Je te signale que je t’ai dit de leur dire. Que je m’en chargerai pas.
Steve grogne. À mon avis, Holly, Clara, Jason et Simon ne sont pas prêts d’arriver.
- Bon, alors pas de répétition aujourd’hui.
- Super, je rentre.
Je ramasse par terre mon sac Eastpak gris et commence à m’en aller. La main de Steve s’abat sur mon poignet.
- Lâche-moi.
- Non. Viens.
Je le suis à contre-coeur à l’ombre d’un chêne et m’assois sur les feuillages.
- Tu penses que tu pourrai écrire une nouvelle…
- Chanson ? Non, désolée, mais au cas où tu ne savais pas, une chanson ça s’écrit pas sur un coup de tête. Il faut… de l’inspiration.
- Et alors ? Y a forcément un truc dont tu aimerais parler.
- Ouais, y a bien un truc qui me vient. Un mec super chiant qui me saoule tous les deux jours pour écrire un truc.
Il lève les yeux au ciel.
- Non, mais je sais pas moi, t’inspirer de ton enfance.
- Mon enfance n’a rien d’inspirante.
La tête de Jade apparaît dans mon esprit.
- Allez, Brooklyn. Fais pas genre que t’as eu la vie rose. Peut-être que les autres croient à ton petit mensonge, mais je sais très bien que tu n’as pas déménagé à Glasgow juste pour «changer d’air».
- Ok. Et même si c’était le cas, je vois pas ce que ça peut te faire.
Il me lance un regard.
- Raconte, dit-il.
- Pourquoi je ferai ça ?
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