Chapitre 8

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Je rejoins le lycée presque en courant. Je me suis réveillée trop tard, et le temps que j’enfile mon uniforme et que je me coiffe, l’heure de partir était dépassée de quelques minutes.

Je passe en trombe à côté de Steve que j’entends à peine dire «Salut Taylor Swift». Je pousse les portes du lycée et grimpe les escaliers quatre à quatre jusqu’à ma salle de classe. J’ouvre la porte et tombe nez à nez avec ma prof de français dans les bras d’un prof de physique. Je rougis subitement et bafouille des excuses à peine audibles avant de refermer la porte et de m’affaler par terre.

- Hé, Taylor Swift.

Même si je ne suis pas habituée à sa voix, il n’y a qu’une personne pour m’appeler comme ça. Steve. Il arrive dans le couloir.

- Répétition ce soir à 17 heures.

Il se penche et me chuchote à l’oreille :

- T’as écrit une nouvelle chanson ?

- Tu verras ça tout à l’heure. Maintenant, dégage. J’ai cours.

- Ici ? (Il jette un œil à la porte.) J’ai vu des profs tout à l’heure. Un truc de dingue. Enfin, bon. Je vais attendre mon prof de physique ici.

Il s’assoit à côté de moi et je me décale pour m’éloigner de lui.

- Brook’ !

Holly arrive dans le couloir et me serre dans ses bras. Elle jette un regard à Steve puis à moi. Elle me sourit avec malice et se pose par terre.

- Alors, y a une répét’ tout à l’heure, c’est ça ? Héhé, j’ai travaillé Trop importante chez moi tout le week-end, et j’ai eu quelques idées pour Laisse-moi tomber. Dis-moi, Steve, tu aimerais avoir combien de tubes pour la fête du lycée ?

- Je sais pas, environ cinq.

- On jouera au festival de Noël qu’organise le lycée le 19 décembre ? Ils ont besoin de quelques groupes pour animer un peu.

- Si on est prêts.

Holly continue de mitrailler Steve de questions avant que les profs ne sortent et nous envoient dans nos salles respectives.

Le soir, à la répétition, on peaufine Trop importante et on commence à travailler Laisse-moi tomber. Je n’arrive pas trop à placer ma voix et Steve perd patience.

- Hé, Taylor Swift, remue-toi un peu ! Si on joue vraiment pour le festival de Noël, on va pas se ramener avec une chanson.

Je me contente de lever les yeux au ciel et de recommencer à chanter. Holly claque ses doigts sur le piano et joue un peu fort, Jason n’est pas en rythme, la guitare de Clara sonne faux et Simon casse une corde de sa basse.

Je suis sûre que Steve est à deux doigts de s’arracher les cheveux.

- Mais c’est quoi votre problème, aujourd’hui ?! C’est pas si dur ! Holly, je te demande juste de jouer moins fort, Jason, si tu te décales, tu décales tout le monde ! Clara, t’aurai pas pu accorder ta guitare avant de venir ?! Simon, tu m’expliques comment tu vas jouer avec une corde cassée ? Et toi, Brooklyn, c’est quoi le problème ? Les notes sont pas si compliquées à chanter !

Il serre les dents avant de nous dire de recommencer. Je suis tellement stressée que ma voix chevrote et que Steve met fin à la répétition. On quitte la salle rapidement pour éviter la colère du guitariste mais il me retient encore.

- Quoi ? demande-je, exaspérée.

- Je peux avoir les paroles de la nouvelle chanson ? Et si elle est bien, je t’offre un truc à manger pour me faire pardonner.

Je lève un sourcil avant de farfouiller dans mon sac en faisant tomber au passage un cahier, un gloss et un papier à donner aux parents. Je lui tends la feuille froissée contenant les paroles de Noyée, la chanson que j’ai écrit hier soir.

Tandis qu’il lit les paroles, je range ce que j’ai fait tomber par terre.

- C’est cool. Mais les autres vont pas s’interroger en voyant ces paroles ? C’est tes potes, tu devrais leur dire.

- Clara le sait déjà. C’est la seule à vraiment me connaître. (Je range la feuille dans mon sac.) Jason et Simon sont le genre de potes avec qui je rigole, pas avec qui je parle sérieux. Et Holly… Elle me voit comme une fille parfaite, branchée, populaire… Comme la plupart des gens, en fait.

Steve me toise du regard.

- Ce qui t’es arrivé ne changera rien au fait que tu es «populaire», «branchée» ou tout ce que tu veux. Tu seras toujours la même.

Je le fixe.

- Enfin bref. Je t’ai dit que je t’achèterai à manger. Allez, viens.

Je le suis dans les allées de Glasgow. On s’arrête devant un café et on s’assoit à une table. Il me tend la carte.

- Choisis. Je paye tout ce que tu veux. Dans la limite du raisonnable, hein !

Il esquisse un sourire avant de reprendre son froncement de sourcils habituels. Je parcours la carte des yeux : des glaces, des cupcakes, des brownies, des cookies… Mon regard s’arrête sur un cornet de glace qu’ils appellent le Brooklyn and Manhattan Ice Cream. Un cornet rempli de cinq boules au choix, de la crème Chantilly et d’un coulis de chocolat, caramel ou cacahuètes.

Je souris.

- Ça.

- Ok, ok. Si tu veux.

Il appelle un serveur.

- Vas-y, commande, dit-il.

- Un Brooklyn and Manhattan Ice Cream, parfums cookies, menthe, melon, pastèque et vanille, coulis cacahuète s’il vous plait, demande-je.

- La même chose pour moi, continue Steve.

Une fois le serveur repartit, il se penche par-dessus la table.

- Tu l’as pris parce qu’il te donnait envie, ou autre chose ?

- Ah, les deux.

Steve me regarde à nouveau et je baisse les yeux. Les glaces arrivent.

- Je n’ai jamais mangé de sorbets au melon, avoue Steve en plantant sa cuillère en bois dedans.

- En seize ans ? Jamais, jamais ? Tu as raté ta vie, alors !

Il sourit et murmure :

- Heureusement que je l’ai rattrapée en te rencontrant alors.

Je crois qu’il pense que je ne l’ai pas entendu, parce qu’il continue de discuter comme d’habitude.

On quitte le café et on déambule dans les rues de Glasgow, déjà décorées pour Noël. Le sapin de la place principale se dresse fièrement et des gens sur des escabeaux le décore de guirlandes et de boules. Les vitrines des magasins sont agrémentées de Père Noël, de sucre d’orge ou encore de petits lutins. En ce 2 décembre, je me sens heureuse. Pour une fois. C’est sûrement la magie de Noël. Ou le charme de Steve.

- Imprègne-toi de toute cette joie, cette magie pour écrire une chanson qui sera le clou du spectacle du festival de Noël. Arrête de déprimer, pour une fois.

Il m’attrape la main à travers mon gant fin noir pour me faire découvrir pleins de coins joyeux, lumineux et magnifiques. Ce contact me fait frémir.

- Tu voudrais que j’écrive encore une chanson ? J’en ai écris trois en l’espace de deux semaines !

- Comme je dis toujours, jamais trois sans quatre.

Il me décoche un clin d’oeil et je pouffe bêtement.

- C’est jamais deux sans trois, idiot.

- Je sais. (Il marque un temps d’arrêt.) Allez, Taylor Swift. Détends-toi un peu. Montre-moi à quoi tu ressembles quand tu es heureuse. Montre-moi la Brooklyn joyeuse.

Je fais une moue et enfonce le bonnet noir de Steve (trop grand) sur ma tête.

- Pourquoi tu m’appelles toujours Taylor Swift ?

- Parce que tu chantes bien. Et y a d’autres raisons.

Il me fait un nouveau clin d’oeil.

- Tu es bien différent du Steve que je vois au lycée. Il est passé où, ton côté bad boy sur sa moto, qui fume et se bat tout le temps ?

- Ah, j’ai arrêté la cigarette, c’est pas bon pour la santé. Et sinon… j’ai bien remarqué que les bads boys ne t’intéressaient pas.

Je ne suis pas sûre de saisir. Ou alors j’ai peur de saisir, justement.

- Bonjour ! s’exclame une jeune femme aux cheveux bruns ramenés en deux tresses calées sous un bonnet rouge, portant une robe rouge et des collants verts. J’offre des churros ! Ça vous intéresse ?

- Oui, si c’est gratuit, profitons-en, réponds-je.

Elle nous conduit à son stand où elle demande à une autre lutine rousse de préparer un sachet.

- Je vous mets une formule pour jeune couple ? demande-t’elle avec un énorme sourire.

- On n’est pas en couple, murmure-je.

La lutine brune n’a pas l’air d’entendre et chantonne All I want for Christmas is You de Mariah Carey. Elle nous tend les churros.

- Bon appétit ! (Elle reprend sa chanson.) Make my wish come true...

Il est tout juste dix-neuf heures, je viens d’engloutir une glace cinq boules supplément Chantilly mais j’avale quand même quelques churros. Steve ne mange pas.

- Bon, je te raccompagne.

On marche en silence jusqu’à chez moi.

- Et je compte sur toi pour écrire une chanson joyeuse. Salut, Taylor Swift.

Il quitte l’allée et disparaît dans le noir. Je rentre dans la maison et enlève mon manteau.

- Brooklyn ! Ça va ?

Mon père sert des hot-dogs et ma mère fait la vaisselle.

- Oui, coucou. J’ai pas super faim. Je viens de manger pas mal de trucs. Je vais aller écrire une nouvelle chanson pour le groupe.

- Ah oui, vous avancez bien ? demande Papa en garnissant les pains de saucisses.

- Super. On a terminé une chanson, j’en ai déjà écrit deux autres, mais Steve en veut une autre plus… joyeuse.

- Steve, hein ? taquine ma mère. Mon petit doigt me dit qu’on a pas fini d’entendre parler de lui.

Je rougis.

- N’importe quoi. Bon, je vais dans ma chambre, bisous !

Je monte et retire mon uniforme pour une robe de nuit ample. Je m’assois à mon bureau et grignote mon stylo. L’inspiration ne me vient pas. C’est pas comme si c’était simple de pondre une chanson sur demande.

Il est vingt-deux heures, je n’ai toujours rien écrit. Tant pis pour Steve, je n’ai pas de chanson. Je vais me coucher et pour une fois, je ne rêve pas de noyade, mais plutôt d’un bad boy qui m’offre des glaces à la menthe.

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