Chapitre 6 : Traverser le réel
Etienne était installé sur un banc de la faculté de droit, il écoutait sur son téléphone portable une playlist de chansons pop, de rock, de métal. Ce n'était pas encore l'heure de rentrer en cours, il devait bien lui rester 10 minutes, alors il prenait son temps. Cela faisait 6 mois que cette histoire s'était terminée et que sa famille et lui étaient rentrés à Bordeaux. La police embêta un moment Georges, Lucie et Etienne avant de les relâcher. De toutes façons, cette affaire tournait en rond, et la désormais tristement célèbre petite ville de La Combe peinait à s'en sortir. Ils avaient fini par emprisonner Rémy Lacroix en attendant son procès. De son côté, Lucie n'écrivait plus rien, et voyait Etienne beaucoup plus souvent que d'ordinaire. Ses parents disaient d'elle qu'elle ne parlait de plus rien de joyeux, et que ses professeurs les avaient averti d'un manque d'attention et d'une baisse générale des notes, elle qui était plutôt bonne élève. Elle avait été profondément traumatisée par les évènements et peinait à s'en remettre. Georges avait reçu une prime de dédommagement de la part de Gatignol, alors que son neveu Gabriel avait complètement disparu. Il était atteint de terreurs nocturnes et de cauchemars réguliers qui le faisaient déprimer de plus en plus, sans que cela ne soit très apparent.
Mais pour Etienne, c'était différent. Pas de dépression, pas de cauchemars ou de perte d'inspiration. Non. Etienne était plus actif que jamais. Il était tous les jours plongé dans des bouquins ou sur Internet. Il prenait souvent le bus, parcourant la France à la recherche d'indices, de réponses à ses questions. Il cachait dans sa chambre de nombreuses photos, textes, articles qui parlaient du Wendigo, de la Bête du Gévaudan, des passages entre les arbres, des rituels shamaniques des algonquins d'Amérique et du Canada... Il économisait d'ailleurs depuis quelques mois pour partir directement là-bas, et ainsi en apprendre plus sur ce qui avait pu se produire... Et ce qui allait se produire. Le but de Gabriel était de brûler le monde tel que nous le connaissions, alors le massacre de La Combe ne devait pas être la finalité de son plan. Il devait préparer quelque chose. Quelque chose de bien pire que tout ce qu'il avait eu à imaginer jusque là. Il n'était d'ailleurs pas retourné vers le passage de la forêt de Lozère, peut-être que Gabriel lui avait menti, et qu'il allait devenir une créature dénuée de raison comme l'avait été Rémy.
Peu à peu, la vie du jeune garçon prenait un sens. Il était entrain de devenir celui qui voulait éviter au monde une catastrophe sans précédent. Certains l'avaient pour l'honneur, pour la gloire, par héroïsme pur. Lui, c'est parce qu'il ne pouvait pas détacher son cœur de cette histoire, et surtout, il ne voyait pas autre chose qui pourrait mieux lui convenir. Jamais il ne s'était senti si concerné, jamais il n'avait été plus impliqué dans quelque chose. Il essayait de devenir un héros, mais la route pour y accéder était loin d'être si facile à emprunter. Mais il avançait, dans l'ombre. Il apprenait, il se préparait. Il avait même commencé à bricoler des armes qui seraient susceptibles de neutraliser des titans. Mais ce qu'il craignait le plus, ce n'étaient pas ces titans. S'ils étaient bien ce qu'Etienne pensait qu'ils étaient, ils ne devraient pas être un souci pour l'armée, à condition qu'ils ne soient pas trop nombreux. Non, c'était la Grande Rage qui suivait l'apparition des titans. L'aura de vice et de terreur qu'ils dégageaient rendaient soit-disant les hommes autour d’eux complètement fous, devenant eux-mêmes des machines à tuer. Plus le Titan était mâture, plus la colère et la soif de sang des hommes augmentait. C'est cette Rage que craignait Etienne. Car si tous étaient destinés à devenir fous, personne ne pourrait lutter contre eux. Tout serait réduit à néant, et personne ne serait en mesure de leur tenir tête. En tout cas, son petit projet de départ était presque prêt, il comptait partir 2 mois pendant les vacances d'été qui approchaient à grands pas. A partir de là, il devrait trouver de solides alliés et, peut-être, récupérer le pouvoir du Wendigo.
Justement, à son sujet, il en avait appris davantage. Si pour ce qui était de sa puissance Etienne avait tout appris de Gabriel, il n'avait pas bien saisi ce qu'il voulait dire par "passer entre les mondes". En réalité, le Wendigo était capable de passer en un instant d'un plan à l'autre de la réalité, devenant ainsi invisible et impalpable, alors que de son côté, il pouvait tout voir et réapparaître à sa guise. Mais il lui manquait encore une page, un chapitre. Comment le rituel devait-il être réalisé? Etait-il vraiment possible qu'un être humain reçoive cette puissance? Il devait en avoir le coeur net.
Et puis, la sonnerie retentit. Etienne devait retourner en cours de droit civique. Qu'est-ce que c'était barbant... Heureusement, il y avait Marine et Louis, deux de ses vieux copains de lycée pour lui tenir compagnie. En classe de Seconde, Etienne était amoureux de Marine, sans même la connaître ou lui avoit déjà parlé, il le savait. Elle finit par se lier à son meilleur ami, mais Etienne n'était pas rancunier, ça restait une bonne amie. Avec le temps, il finit par ne plus s'intéresser aux filles de son âge, alors cette amourette passagère lui passa. Quand à Louis, c'était aussi un vieux copain qui le suivait depuis la Seconde. C'étaient ses meilleurs amis, et il ne les échangerais contre rien au monde. Il s'installa alors sur un des bancs de l'amphithéâtre à côté de ses deux amis de toujours qui, tout comme Lucie, n'étaient au courant de rien.
Lucie était seule chez elle, un stylo dans la main devant une feuille blanche. Cela faisait 2 heures qu'elle ne savait pas quoi écrire. Elle était sensée faire ses devoirs, mais à quoi bon? Ecole ou pas, il n'y avait plus d'espoir pour elle à présent, pensait-elle. Et pourtant, elle se battait. Elle se battait du mieux qu'elle le pouvait pour ne pas sombrer. Elle se forçait tous les jours à écrire au moins une page, ainsi qu'à faire un footing de 20 minutes pour rester en forme physique et mentale. Elle ne se laisserait pas abattre. Quoi qu'il en soit, elle devait voir Etienne le lendemain, ce qui la réconfortait déjà un peu. Elle le pensait le seul à pouvoir la comprendre, puisqu'il était avec elle ce soir là. Soudainement, quelqu'un vint frapper à la porte de la jeune fille.
Annotations
Versions