Chapitre 7 : Traverser le doute
Dans l'amphithéâtre, Etienne comptait les heures, les minutes, les secondes. Le temps passait et il ne s'intéressait plus du tout à ce qui pouvait se passer autour de lui. L'heure sonna enfin et il sortit de sa salle de classe. Voulant prendre un bon bol d'air frais, il se rendit compte d'une chose: l'air était incroyablement lourd, et quelque chose lui faisait tourner la tête. Deux étudiants étaient entrain de se battre à la sortie de l'université, et personne n'avait l'air de vouloir les en empêcher. Mais quelque chose clochait: Etienne non plus n'avait pas l'air de vouloir les séparer, et ressentait presque du plaisir à les voir se déchirer. Il fut alors pris d'une doute, d'un frisson. Et si ce qu'il redoutait était entrain de se produire? Non, impossible. Il salua alors ses camarades avant de prendre la route vers chez lui. Perdu dans ses pensées, il accélerait quand même le pas pour se rendre sur le parking où était garée sa voiture. Bordel, est-ce que c'était vraiment entrain de se produire? Non, pas si tôt, c'était impossible. Dans les rues, Etienne remarqua que les gens étaient de plus en plus agressifs entre eux, il avait même une envie de plus en plus grande d'attaquer n'importe qui, sans la moindre raison. Merde, il ne fallait pas qu'il succombe. Tant pis pour le road trip en Amérique, il devait retourner en Lozère.
Arrivé à la voiture, sa réfléxion fut interrompue par des cris et des hurlements. Bien décidé à partir juste après avoir emmené Lucie, il démarra le moteur et envoya un SMS à ses amis "Mettez-vous à l'abri, quittez Bordeaux si possible, c'est urgent, je vous explique plus tard". Il démarra alors à toute vitesse en direction de chez Lucie, entendant toujours les cris qui se rapprochaient. Il vit alors au loin une créature qui faisait fuir la foule, c'était à mi-chemin entre un homme et un fauve, beaucoup plus grand, et surement beaucoup plus fort. Un Titan. Ses doutes étaient justifiés, ils étaient là. Vite. Etienne devait se rendre chez Lucie le plus vite possible. A la télévision, le monde entier parlait de la bête de Bordeaux, d'autres avaient été aperçues, et un climat de violence générale était entrain d'éclater. Enfin, Etienne arriva chez Lucie, en banlieue de Bordeaux. Il frappa à la porte. Sans réponse, il l'ouvrit en précipitation et ne vit personne.
-Lucie ! hurla-t-il, Lucie, t'es où?!
Toujours pas de réponse. Il monta alors à l'étage et découvrit sa cousine à moitié endormie, le teint légèrement blâfard.
-Lucie ! Faut qu'on bouge !
Elle se réveilla peu à peu comme d'un mauvais rêve, avant de remarquer son cousin.
-E...Etienne...
-Allez, lève-toi, je t'expliquerais tout en route. Ils sont où, tes parents ?
-A Mérignac...Enfin, je crois...
-Envoie-leur un message, dis-leur que t'es avec moi et que t'es à l'abri.
Les deux cousins montèrent alors dans la voiture.
-Où est-ce qu'on va ? demanda-t-elle
-D'abord chez moi, je veux prendre quelques affaires et avertir Papa. Ensuite, on retournera à La Combe.
Lucie ne répondit pas. Elle avait peur, certes, mais semblait étrangement sereine. La voiture se gara alors devant la petite maison de campagne du père d'Etienne. Ils entrèrent alors.
-Papa ?
Aucune réponse.
Ils montèrent alors dans la chambre du garçon, où il commença à y ranger les plans et les données qu'il possédait. Il sortit de sous son lit une drôle d'arbalète qu'il avait confectionné pour affronter les titans. C'était un vulgaire objet de bois, mais l'important résidait dans les carreaux, imprégnés d'une sève d'arbre hautement inflammable. "Les titans ne craignent rien de plus que la terre qui les a porté, que les arbres qui les ont bercé, et que le feu originel qui les a créé." A voir si ces projectiles allaient fonctionner. En cas d'échec, il avait prévu de nombreuses armes de substitution, si il ne pouvait pas se procurer d'armes à feu, il avait apporté avec lui une masse, une hache et des cisailles. On fait avec ce qu'on a.
Des pas. Des pas venaient de la cuisine. Papa ? Non, pourquoi prendrait-il les précautions de faire si peu de bruit ?
-Tiens, prends-ça, chuchota-t-il à Lucie, lui prêtant la hache. Elle s'exécuta sans broncher.
Tenant sa masse dans les mains, Etienne ouvrit la porte avant de se heurter au problème: un Titan était dans la maison. Il ne devait mesurer qu'à peine 2 mètres mais était couvert de poils, possédait de longs bois sur la tête et des griffes acérées venaient terminer ses mains. Le monstre n'avait pas encore remarqué Etienne, c'est alors qu'il se rua sur lui avant de lui asséner un violent coup au niveau des côtes. Le Titan fut alors projeté contre le mur avant de se retourner.
Le choc fut alors plus qu'intense: ses traits étaient similaires à ceux de Georges. Non... Pas lui, c'est impossible... Le monstre hurla alors, avant de se jeter sur Etienne. Lucie fondit alors sur lui avec la hache, que ce dernier brisa en mille morceaux avant même d'être touché. Profitant de son inattention, Etienne envoya alors un coup de masse visant à assomer le monstre, qui brisa un de ses bois et le mis à terre un instant. Lucie et Etienne coururrent alors du plus vite qu'ils le pouvaient vers la voiture, qu'Etienne démarra du plus vite qu'il le pouvait, alors que le titan était toujours à leurs trousses. Passant la 3ème et la 4ème vitesse en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, ils semèrent bien vite le monstre, et Etienne fut forcé de réveler la vérité à sa cousine.
-Et ce titan, c'était...
-Non, non. C'était pas lui. Et si ça devait être lui, alors je vais essayer d'annuler le processus, pour lui comme pour les autres.
-Alors tu vas le faire ? Tu vas devenir le wendigo ?
-J'ai pas le choix, Lucie. Si je le fais pas, tout le monde va crever. Et le pire, c'est que les titans ne seront qu'une partie du problème, ce ne sont pas eux qui causeront le plus de problèmes, c'est les humains eux-mêmes. Ils vont tous s'entretuer, faire du mal pour faire du mal, et tout ce qu'on a connu ne sera qu'un souvenir, rien de plus.
-Et si c'est un piège ?
-Alors le monde sera perdu, et il n'y aura qu'un titan de plus... sauf s'il reste quelqu'un, dit-il en regardant toujours devant lui, alors que sa cousine le regardait, s'il reste un coeur assez courageux pour réussir à se lever contre cette folie.
Le temps passait, les heures étaient interminables. Car dans les 5 heures pendant lesquelles durait la route, combien pouvait-il y avoir eu de morts à Bordeaux ? Etait-ce la seule ville qui était touchée pour le moment ? Le pouvoir du Wendigo allait-il être un rempart pour arrêter les titans, ou au contraire l'accélérateur de la chute de l'humanité...?
L'hôtel, le musée, la gendarmerie, le séquoïa, la forêt, tout est en place. Dans les coulisses se préparent les comédiens.
Etienne était prêt. Lucie allait assister à la scène et, comme le désirait son cousin, elle devrait l'abattre d'un coup d'arbalète si jamais il venait à perdre le contrôle. Etienne se souvenait encore du passage perdu dans la forêt et commençait à le reprendre accompagné de Lucie. Ils arrivèrent alors dans la clairière où se situait la statue, et évidemment, Gabriel était là. Il avait l'air de savoir, et en guise de bienvenue, il lui lança simplement:
-Tu as fait ton choix ?
Il hocha la tête, s'avançant lui aussi.
-Bien, dit-il en s'approchant de lui, tu sais ce que tu as à faire.
Le jeune s'avança alors vers la statue, saisissant le casque du shaman.
-Brûle-les. Brûle-les tous, jusqu'au dernier.
Jettant alors un dernier regard à Lucie, il plaça le casque sur sa tête. Il hurla alors à pleins poumons à mesure qu'une étrange énergie commençait à consumer son corps. Un autre cri vint se superposer à celui d'Etienne, alors qu'une immonde créature à tête de cerf semblait apparaître en lui. Il tomba ensuite au sol. A travers ses yeux, il voyait les sages des anciens temps, de toutes races et de tous peuples. Il vit les milliers de titans qui ravagèrent jadis le monde. Il vit la Bête du Gévaudan. Il le vit, le premier Wendigo. C'était un esprit maléfique, que seul un coeur lavé des péchés du monde pouvait porter.
La puissance. Il sentait la puissance parcourir son corps, alors qu'il voyait les deux mondes se superposer. Il compris ce qu'aucun humain avant lui ne compris. Il souffrait, mais il se sentait de mieux en mieux. Il venait de comprendre quelle était sa place. Mais surtout, il vit le coupable du réveil des Titans. Ses cheveux poivre sel, son sourire faux, et ses yeux mêlés de souffrance et de plaisir. Il le connaissait. Il l'avait déjà vu. Et à présent, il allait le punir. Il se réveilla alors, et ce qui avait paru être quelques secondes pour Lucie et Gabriel avait duré bien plus longtemps pour Etienne. Des mois ? Des années ? Quelle importance, à présent, il avait réussi, il était devenu Wendigo, celui qui portait en lui le vice et la démesure du monde. Il était le bouc émissaire suprême de l'humanité. Ses muscles étaient devenu plus imposants, ses yeux étaient maintenant dépourvus de pupilles, et l'on n'apercevait que le bleu pâle de ses yeux. Et alors qu'il sortait à peine de sa transe, Gabriel s'approcha de lui.
-Regarde ce que tu es devenu... Tu es parfait, tu es sublime, tu es...
Mais il ne put finir sa phrase, sa tête ayant été malencontreusement détachée du reste de son corps.
-Je ne pouvais pas te sauver, tu es trop pourri de l'intérieur, Gabriel.
Lucie, assistant au spectacle, commença à placer son carreau sur la petite arbalète d'un geste hésitant et tremblant. Wendigo s'approcha alors d'elle lentement, la fixant. Il saisit alors l'arbalète, que Lucie n'avait pas eu le courage d'utiliser avant de la jeter au sol. S'approchant encore, il la prit dans ses bras, la force et la puissance de la Bête était immense, mais tout ce que put sentir Lucie, c'était la douceur extrême dont il faisait preuve. Le calme tombait sur la forêt, et l'air impur qu'elle abritait se dissipa.
-Ne t'en fais pas, petite soeur, dit-il en caressant ses cheveux, je veille sur toi à présent.
Le temps était venu, le Wendigo allait devoir punir les responsables de cette guerre qui n'avait pas lieu d'être. Il porterait désormais ce fardeau à vie, celui de ne plus faire partie du monde des hommes, ni de celui des vivants. Il n'avait pas le choix, il devait bannir à jamais le mal de ce monde.
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