Chapitre 5.2 - Dahut
Yvonig s’éveilla en sursaut. Son cœur battait la chamade et il était en sueur, les draps dans lesquels il se trouvait était humides. Les draps ? Il se redressa et découvrit qu’il se trouvait dans une chambre haute de plafond et richement décorée. Des tapisseries, finement brodées de scènes mythologiques, ornaient chaque mur. Les boiseries, toutes sculptées de motifs celtiques anciens et de créatures diverses, étaient entièrement recouvertes de feuilles d’or, du petit guéridon à la tête de lit. Les draps mêmes, dans lesquels il était couché, étaient tissés de la soie la plus fine. Cependant, ce qui le troubla le plus, était le paysage qu’il apercevait par les fenêtres percées sur l’un des murs. Le ciel était d’un bleu-vert sombre aux reflets changeants et la végétation, qu’il distinguait au loin, semblait se mouvoir à un rythme lent.
« Bienvenue à Ker Is, jeune Adam. »
Il tressaillit. Dans un fauteuil à haut dossier et aux accoudoirs à gueules de loups, était lovée une femme magnifique. Ses longs cheveux noirs cascadaient sur de fines épaules, encadrant un visage doux aux yeux verts. Elle semblait le couver du regard, un léger sourire sur ses lèvres vermeilles. Yvonig mit un temps à comprendre ce qui lui avait valu ce nom. Il rougit soudain et remonta vivement le couvre-lit jusque son menton quand il découvrit qu’il était entièrement nu. Ce qui déclencha, chez la jeune femme, un rire cristallin.
« Ne sois pas si prude. Tu n’es pas le premier que je vois ainsi…
— Oh, je m’en doute. »
Il se rendit compte de la discourtoisie de ses paroles et voulu s’en excuser, mais la belle fit comme si elle n’avait rien entendu.
« Mais je dois dire que cela faisait bien longtemps qu’aucun membre de la gente masculine n’avait couché dans ce lit. Sais-tu qui je suis jeune homme ? »
Bien sûr qu’il le savait. Elle était la raison de sa visite, la maîtresse de ces lieux depuis des siècles.
« Vous êtes Dahut, fille du roi Gradlon, souveraine d’Ys. »
Elle fronça les sourcils et le fixa quelques instants.
« Plus personne ne croit aux anciennes légendes… » Petit à petit un franc sourire se dessina, prenant le pas sur l’étonnement, et éclaira le visage de Dahut. « … Il semble que la mer m’ait apporté un invité de choix. »
Elle se leva alors et fit quelques pas dans la pièce. Yvonig resserra instinctivement le drap sur sa poitrine, ce qui lui décrocha un nouveau rire. Il ne put s’empêcher de remarquer à quel point elle était belle. Les boucles noires de ses cheveux où s’emmêlaient des perles chatoyantes. Une robe de lin d’un vert profond brodée d’or et d’argent, soulignant une silhouette parfaite. Son regard brûlant et malicieux aux reflets d’émeraude. Ses gestes gracieux et mesurés. Tout chez elle était fait pour séduire. Il prit alors la mesure de ce qu’il avait entreprit et comprit pourquoi des dizaines d’hommes étaient tombés sous le charme de la fille du roi Gradlon.
« Tu es différent… Je le sens dans ton regard. Comment as-tu réussi à emprunter le Grand Escalier ?
— Je… Je connaissais son existence.
— Tiens donc ! Il a pourtant disparu de la mémoire des hommes.
— Oui. Mais d’autres êtres en ont conservé le souvenir. »
Dahut paraissait surprise et soudainement pensive. Elle esquissa quelques pas en direction de l’une des fenêtres pour contempler le paysage.
« Je suis venu pour vous. »
Elle se retourna, arborant un sourire gourmand sur les lèvres. Yvonig s’aperçut de la tournure malheureuse de sa phrase et tenta de se rattraper.
« Enfin… Je veux dire… Pas pour… Je… » Il ferma les yeux quelques secondes et reprit sa respiration. « Je suis venu vous demander votre aide. »
Elle revint vers le garçon et appuya ses mains délicates sur le pied de lit où des êtres à queue de poisson affrontaient une créature tentaculaire. Elle l’observa un long moment sans rien dire, l’air songeur.
« Voilà une requête des plus originales. Pour que tu sois venu jusqu’ici quérir mon assistance, ton histoire doit mériter d’être contée. Mais avant toute chose, tu dois avoir faim. Tu as des habits secs sur la table de chevet. Habille-toi et rejoints moi dans le couloir. Nous irons déjeuner ensemble et je te ferai visiter la ville. Tu pourras alors m’expliquer en détails ce qui t’amène… Et essayer de me convaincre de t’aider. »
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