Maurice
Maurice souleva la télécommande, éteignit la télévision, puis, avec un soupir las, se pencha pour la déposer délicatement sur la table marquetéee du salon. La diffusion du reportage qu’il venait d’écourter l’avait laissé pantelant. Il ne supportait pas la violence et la sauvagerie. Voir ces pauvres gens coincés dans un fast-food se faire tabasser sans aucune raison apparente, si ce n’est le plaisir évident qu’y prenaient leurs tortionnaires, l’avait écœuré. Savoir que les expressions “répression” ou “violences policières” sont inacceptables dans un Etat de droit, ne doit rien enlever à la douleur que ressent une personne matraquée entre deux piles de hamburgers. Sans parler du sentiment d’oppression et de terreur provoqué par l’impossibilité d’échapper aux assauts de gars carapaçonnés de la tête aux pieds et sourds aux demandes de clémence.
Soudain pris de frissons, Maurice se leva et resserra les pans de sa robe de chambre en cachemire. D’un pas traînant, il dériva en charentaises pure laine de mouton et bourette de soie du salon jusqu’à son bureau. Au passage, il jeta un œil sur les écrans de surveillance tapissant un recoin du couloir. La vision de Toby, traversant le champ de la caméra couvrant l’arrière du jardin, le rassura. Tant que ses trois mignons rottweilers arpentaient nonchalamment les abords de la maison, aucune menace n’était à craindre. Une dernière inspection machinale des verrous de la porte d’entrée, fermée pour la nuit, et il pénétra dans son bureau.
De son pas chaloupé, il erra jusqu’au coffre-fort, dont la masse sombre imposait le respect à l’autre bout de la pièce. Il se pencha pour pianoter le code, attendit le déclic et tira à lui le lourd battant. Avec délicatesse, il en retira un plateau de bois luxueux recouvert de feutrine dont le lourd contenu l'obligea à utiliser ses deux mains pour le porter jusqu’à son bureau. Il s’installa confortablement dans son fauteuil cuir-de-buffle et s'adonna à un instant de contemplation. C’était son moment préféré, avant que ne commence le tri, profiter de l’éclat des bijoux en vrac et leur petit côté Mille et Une Nuits. Puis, avec un soupir d’aise, il commença à séparer les bijoux pouvant être revendus tels quels de ceux qu’il faudrait démembrer, voire retailler pour les plus grosses pierres.
Dans le mouvement, il accrocha une espèce de grosse paire de jumelles bleues restée dans un angle du plateau. Il attrapa l’objet, l’examina une seconde, avant de le déposer à l’écart sur le bureau. Encore un de ces gadgets électronique à la mode auxquels il n’entendait rien. "Cadeau clientèle" avait ajouté son neveu au moment de clore la transaction. Il secoua la tête, sourire aux lèvres. Décidément, les membres de la génération montante étaient tous de grands enfants.
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