Marie-Louise
Organiser la gestion de ParcourSup et l’entrée en IUT pour l’ainé, préparer le passage en Sixième et l’arrivée au collège de sa cadette, gérer le déménagement, y compris les démarches administratives inhérentes, tout en continuant à chercher un emploi avec, à 54 ans, le poids de la discrimination anti-vieille… cela commence à faire un peu beaucoup. Depuis deux ans que son noceur de mari s’est fait la malle, tout est devenu vraiment très compliqué. Marie-Louise cherche bien du réconfort là où elle en trouve. Elle fume des roulées coniques comme un pompier, enfile les canettes de bière à la queue leu leu, mange du chocolat par tablettes entières… mais peine perdue, rien n’y fait, la vie de mère solo, c’est apnée perpétuelle.
Sa copine Marie-Jeanne a beau tenter de lui remonter le moral avec ses « Dramatise pas, d’accord, t’es une mère célibataire, mais punaise ! Tes enfants vont bien, même si parfois, c’est pas parfait. Ils sont vivants, ils respirent, ils ont des copains… c’est donc que t’y arrives ! Allez, du nerf ! ". Beau discours, mais les faits sont têtus et Marie-Louise est bien obligée de le reconnaître, elle marche sur un fil.
Ou du moins, elle marchait, sur un fil. Car ce matin, en revenant d’un énième entretien d’embauche, encore en colère de s'être fait humilier par une DRH qui pouvait être sa fille, elle a été imprudente. La tête ailleurs, elle est entrée dans ce petit village très au-dessus de la limite de vitesse et bien sûr, au bout de la ligne droite, l'attendait ce poulet avec ses jumelles. Elle n’a eu que le temps de distinguer l’uniforme et le sourire satisfait du bonhomme. Là c’est sûr, sans permis, donc sans voiture, aucune chance de s’en sortir et la grosse dépression qui couvait depuis un moment, l’a rattrapée d’un coup.
Aussi, quand la mère Denise l’a approchée dans l'après-midi, elle ne s'est pas méfiée. Normalement, ce genre de bigote n’aurait jamais pu mettre les pieds dans son appart, encore moins dans son salon. La dernière fois qu'elles se sont croisées dans la cage d'escalier, la vieille bique, avisant le trio amoureux du troisième, a lâché d'un air entendu :
- Comment peuvent-ils porter le poids de tant de péchés ?
- Simple, a répondu Marie-Louise du tac au tac, ils louent un diable.
Mais aujourd'hui, au bout du rouleau, elle s’est laissée séduire. Il est vrai qu’elle sait y faire, la mère Denise : « Arrêter donc de vous flageller, vous n’êtes ni une mauvaise femme, ni une mauvaise mère. Vous avez une famille magnifique, quant aux hommes, vous savez ce que c’est… Toujours prêts à céder aux tentations. » Et dans une envolée pleine de chaleur : « Il ne faut pas s'exclure du monde, vous n’êtes pas une recluse, pourquoi ne viendrez-vous pas avec moi à l’office ? Vous allez voir, le pasteur est un homme charmant… »
Aussi incroyable que cela puisse paraître, Marie-Louise a accepté l’invitation et, à sa grande surprise, entourée par la ferveur religieuse de la petite communauté évangélique, a ressenti un bien être sans pareil. Tant et si bien que, emporté par l’élan (animal pourtant farouche), elle a levé les yeux vers le ciel, écarté les bras et déclamé dans une prière extatique :
- Oh, Dieu tout-puissant, dans votre infinie bonté, faites que je ne reçoive jamais ce PV !
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