Les douze coups de Big Ben
La voix envoûtante de Jevetta Steele accompagnait le générique de fin. Tous deux avaient apprécié revoir ce film américano-allemand de 1987.
Louis jeta un coup d'œil furtif sur l'horloge de son portable. Il restait une longue demi-heure avant d'espérer l'appel de la mère de François. Nul doute que la boulangère lui ferait part de son message mais allait-elle y donner suite ? Il s'étira pour tenter de se décontracter et combattre ce doute.
- Il fait également partie de mon top 10. Ses personnages attachants, son univers poétique... poursuivit Emma encore sous le charme de Bagdad café, lorsque le carillon de Big Ben retentit bruyamment.
- Surprenante ta sonnerie !
Louis saisit son portable et activa maladroitement l'écran tactile pour établir la communication.
- Allô !
- Louis ?
- ...
- Louis, tu es là ?
- François ?
- Je n'arrive pas à croire que tu es à l'autre bout du fil.
- Moi non plus...
- C'est dingue ça ! Je descends chercher des gâteaux pour ma mère et la boulangère me dit : "François, vous tombez à pic, un ami d'enfance vous cherche !"
- Tu as pensé à moi ?
- Je n'ai jamais cessé de penser à toi. Mon coeur n'a fait qu'un bon ! Si je m'attendais à avoir de tes nouvelles par la boulangère !
- Surtout après 25 ans de silence... susurra-t-il la gorge serrée, les yeux livrés à une salve de sanglots.
- Je suis tellement heureux de t'entendre !
- Moi aussi. J'ai été fou. Toutes ces années...
- Je t'ai imaginé heureux toutes ces années.
- J'ai été heureux, oui.
- Louis, ça va ?
- ...
- Louis, tu es là ?
- Excuse-moi, j'attendais un appel de ta mère... Ta voix, ta gaieté...
- Je suis secoué moi aussi ! On ne va tout de même pas pleurer comme deux collégiennes, hein ?
- ...
- ...
- Eh bien raconte-moi quelque chose de ta vie ? reprit Louis en essayant de retrouver un peu d'assurance dans la voix.
- Tu dirais de moi que j'ai épousé le classicisme : marié, deux enfants et un labrador ! Et toi alors ?
- Ambiance plus baroque : célibataire endurci sans enfant !
- Endurci à force de faire fondre des cœurs ? Ah, je n'y crois pas du tout.
- Je te raconterai.
- De vive voix, j'espère ? Est-ce qu'on peut se rencontrer ?
- Tu ne peux pas imaginer à quel point j'en ai envie.
- Où vis-tu ?
- Toujours à Nice. En ce moment, je suis dans les Hautes-Pyrénées. Je voyage avec une amie. Nous séjournons au Grand Hôtel Modern à Lourdes.
- Quelque chose t'a appelé dans la région. Lourdes ?
- Pas la religion, je te rassure. Lourdes, c'est l'issue d'une partie d'échecs, difficile de t'expliquer en quelques mots.
- Tu aimes toujours entretenir le mystère mais ne compte pas t'en tirer comme ça ! Combien de temps restes-tu dans le coin ?
- Nous repartons lundi prochain dans la matinée.
- Eh bien alors, attends-moi. Nous serons de retour demain à Toulouse.
- Tu habites à Toulouse ?
- Oui, depuis cinq ans. Je me suis demandé un instant... Ton passage dans la région n'est qu'une simple coïncidence ?
- Comment aurais-je pu te localiser avec les maigres indices que tu laisses sur le Net ?
- Je n'aime pas les réseaux sociaux et encore moins les photos. Il y en a tout de même une sur Copains d'avant...
- Je l'ai trouvée. Le jour de notre entrée au CP, je garde la mienne dans mon portefeuille.
- Tu te souviens ?
- "Les inséparables, je ne veux plus vous entendre !" imita Louis d'une voix de croquemitaine.
- Tu refais trop bien madame Masquin.
- Quand pourrais-tu venir ?
- Je peux te rejoindre vendredi ou samedi, comme tu préfères.
- J'en discuterai avec Emma. Il faut que je te parle d'Emma. L'idée de la boulangère, c'est elle.
- Eh bien, dis à Emma que mon cœur a failli s'arrêter... mais que la surprise passée, il est reparti de bonheur !
- Je lui dirai, dit-il en riant. On se rappelle pour convenir d'un jour ? Je t'invite à déjeuner et je te présenterai Emma.
- Et moi, je te présenterai ma tribu. À demain alors Louis.
- À demain, François.
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