Déclarations

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- Tu n'as pas une question plus simple pour terminer la soirée ?

- Tu séjournes dans un palace avec une femme que tu connais depuis quelques semaines, tu la caresses amoureusement... La question n'est-elle pas incontournable ?

- Si mon attitude te met mal à l'aise...

- Ai-je l'air mal à l'aise ? poursuivit-elle, lui offrant un large sourire.

- Tu me fais peur avec tes questions.

- Alors apporte-moi des réponses.

- J'ai le droit de m'inspirer ?

- Tu es libre mais je ne me contenterai pas d'une réponse académique, je veux ta propre vision de l'amour.

Pianoter sur l'ordinateur redonna une certaine contenance à Louis qui, d'un air sérieux, se mit en quête des premiers indices.

- Sens numéro 1 : « Sentiment vif qui pousse à aimer (quelqu'un), à vouloir du bien, à aider en s'identifiant plus ou moins. »

- Pas très explicite comme définition.

- Sens numéro 2 : « Inclination envers une personne, le plus souvent à caractère passionnel, fondée sur l'instinct sexuel, mais entraînant des comportements variés. »

- La passion, le sexe et des comportements variés, les académiciens ne se sont pas foulés.

- J'ai aussi la définition de l'amour selon Dieu, tu veux l'entendre ?

- Dieu est amour...

- « L’amour va au-delà du simple sentiment à l’exemple de Dieu lui-même qui a donné son fils unique par amour pour sauver le monde. La patience est la capacité à supporter même l’insupportable. Comme Dieu pardonne l’impardonnable, nous devrions aussi être à mesure de nous supporter les uns les autres. »

- Dieu a le goût de la tragédie, dis donc ! Le pardon supérieur à l'amour...

- J'étais sûr que tu allais réagir.

- C'est encore une invention divine pour régler la question une bonne fois pour toutes. Pardonner l'impardonnable, sûrement pas ! Elle est nulle cette définition.

- Ne t'énerve pas. Je ne suis que l'interprète dans cette histoire !

- Eh bien, je pose la question à Dieu, dit-elle en levant la tête au ciel : que devient notre responsabilité envers autrui si le pardon a cette fonction suprême ?

- Tu penses à tes parents ?

- Ceux de Pierre ne sont pas mal non plus dans le genre. L'amour inconditionnel, tu parles !

- Désolé si j'ai ravivé quelque chose de douloureux.

- La révolte a remplacé la douleur depuis bien longtemps.

- Pierre, lui, a préféré ne jamais évoquer le sujet.

- Tu m'as dit un jour que faire l'amour avec lui, guérissait cette blessure.

- C'est ce que j'ai supposé parce qu'après l'amour, il est rayonnant. Contrairement à moi, l'amour ne lui a jamais donné le moindre cerne.

- L'amour est un rayonnement, c'est un bon commencement pour ta définition.

- Tu me fous la pression avec ta définition.

- J'espère bien ! Parle-moi d'amour... soupira-t-elle d'impatience.

- Le premier mot qui me vient, c'est passion.

- Perso, je la trouve violente.

- Pourquoi ?

- Tu remarqueras qu'elle a une bien curieuse façon de faire parler d'elle : lien, attachement, fusion, passion dévorante, tomber amoureux, coup de foudre...

- Lorsque ton cœur s'emballe, que l'absence de l'autre devient obsédante. Tu as déjà ressenti ça quand même ?

- Lorsqu'on regarde le monde assis sur un petit nuage, tu veux dire ? Que le quotidien devient sublime et l'espérance est à son comble... Oui bien sûr j'ai apprécié ces moments pour mieux les regretter ensuite.

- Quand j'ai rencontré Pierre, je me rappelle qu'aucun tracas ne m'atteignait plus. Je me sentais convaincant, prêt à déplacer des montagnes.

- Qui aurait eu envie que ça s'arrête ?

- Curieuse ta question. Pourquoi faudrait-il que ça s'arrête d'ailleurs si le plaisir est réciproque ?

- La réciprocité est une femme au dessus de tout soupçon mais le plaisir est pernicieux.

- Addictif par nature...

- C'est le problème. Qui pourrait prolonger notre plaisir sinon la personne la plus extraordinaire au monde ?

- C'est aussi ce que je voyais en lui...

- Tu voyais surtout l'objet de tes fantasmes. Cet être idéal nous fait perdre la vue et anesthésie notre jugement. C'est le prix à payer pour continuer à se sentir aimé par la personne la plus extraordinaire au monde !

- Possible mais je n'ai jamais eu l'impression de manquer de sens critique à propos de Pierre et l'image que j'avais de lui au début de notre relation ne s'est pas démentie dans notre vie de couple.

- Peut-être parce que tu volais au dessus des nuages quand tu l'as rencontré ? plaisanta-t-elle.

- Je ne crois pas qu'entre nous, il s'agisse d'une telle passion. Il n'y avait rien de dévorant ou de fusionnel. C'est quelque chose de plus profond qui nous lie.

- Philia.

- Philia ?

- Ce terme désigne justement l'amour profond, un amour alliant désir et raison.

- Audacieux de réunir des frères ennemis.

- Ta raison a combattu tes désirs, Louis ?

- Et elle n'est pas toujours ressortie vainqueur. Mais ne nous égarons pas sur ce terrain. Continue.

- Le concept tient en trois mots : « vivre libre ensemble » et le principe est simple : on s'aime mais on ne s'appartient pas.

- T'entendre prononcer cette phrase, c'est étonnant, balbutia-t-il, ému

- Pourquoi donc ?

- Parce que Pierre aurait pu dire exactement la même chose.

- Vous parliez souvent de la liberté dans le couple ?

- Pas vraiment.

- Tu lui as parlé de tes aventures ?

- Emma, je t'ai déjà dit...

- Tout à l'heure tu as opposé désirs et raison, tu voulais parler de tes envies de sexe ?

- Entre autre. C'est déroutant d'être mené par ses envies, quelles qu'elles soient. Résister est douloureux, céder est culpabilisant.

- Je n'ai jamais ressenti ça à propos du sexe, alors j'ai un peu de mal à l'imaginer.

- Parfois, je me disais que c'était juste un moment de plaisir partagé, comme si j'avais apprécié un bon repas avec un pote.

- Et ton appétit rassasié t'empêchait de parler de la faim ?

- Tu lui en aurais parlé à ma place ?

- Oui parce que le rapport au corps est important pour Pierre et c'est étrange de ne pas aborder la question puisque tu dis qu'elle n'est pas taboue.

- Pierre n'a jamais exprimé de crainte en parlant de liberté. Il exprimait un ressenti à travers une sorte de constat qui le rendait heureux.

- À quoi faisait-il allusion alors ?

- Au fait que je ne lui impose pas toutes sortes d'habitudes, je pense. Il a ajouté un jour : « l'attachement n'est pas la dépendance. »

- Eh bien à présent, c'est moi qui aurait pu te dire la même chose si je n'avais pas si souvent constaté l'inverse... au point de penser que tout lien contraint l'autre d'une manière ou d'une autre au final. À quelle occasion t'a-t-il dit ça ?

- Altamira. C'est la deuxième fois que je te parle d'Altamira.

- La grotte aux bisons ?

- Je l'avais encouragé à postuler pour intégrer l'équipe du tournage. Pierre était persuadé de ne pas avoir l'expérience nécessaire ni les capacités. Ses parents lui ont tellement crié leur honte au visage que cette sensation diffuse de ne pas être à la hauteur le poursuit, où qu'il aille.

- La confiance, fruit de l'amour, c'est beau. « Vivre libre ensemble » c'est sûrement ça : vivre à côté de quelqu'un en lui offrant la possibilité de grandir au risque d'y perdre quelque chose.

- C'était le cas, il s'est absenté longtemps pour le tournage.

Louis serra les mains d'Emma dans les siennes.

- Aujourd'hui, c'est toi qui m'as rendu confiance en moi, dans des conditions bien plus extrêmes.

- Je découvre cette sensation de liberté avec toi, une liberté d'expression surtout. Lorsque nous ne sommes pas du même avis, tu prends la peine d'écouter mes arguments.

- Je ne crois pas que l'amour puisse s'épanouir sans le respect de la parole de l'autre.

- Entre nous, c'est de l'amour, alors ?

- Je ne vois pas d'autre mot pour décrire ce qui nous lie.

- Je peux te demander ce que tu ressens lorsque tu me caresses ou quand tu m'embrasses ?

- C'est la première fois que je touche le corps d'une femme, alors...

- Alors ?

- Je ne ressens pas d'excitation sexuelle si c'est ta question. Je ne ressens pas de gêne non plus. J'aime te caresser... Je n'ai même pas l'impression d'être un débutant.

- Tes caresses ne sont pas maladroites, je te rassure.

- Mes mains sont guidées. Ton corps est comme un aimant. J'espère que tu ne te sens pas frustrée.

-Tes caresses ne sont pas celles de mes amoureux. Elles me font vibrer autrement. Tu donnes quelque chose sans attendre un plaisir en retour. Le don de soi, je n'ai reçu ça d'aucun autre homme. Je crois que tu peux compléter ta définition.

- Mais où t'emmènent-elles au juste ?

- Tes caresses ? Pas vers l'extase.

- Où alors ?

- Vers l'abandon.

- L'abandon est ce que tu redoutes le plus...

- Tes bras m'en ont libérée. Là-bas, je ne ressens plus aucune révolte et plus rien ne me fait peur. Pas même la mort.

- Je ne m'attendais pas à... hésita-t-il.

- J'aime tes yeux lorsqu'ils s'embrument.

- J'avais oublié comme c'est touchant une déclaration d'amour ! C'est la deuxième qui compte dans ma vie amoureuse. Je ne sais pas quoi ajouter à tes mots...

- Alors ne dis rien.

Blottis l'un contre l'autre, ils écoutaient leur respiration. Lente, émouvante comme la vulnérabilité de l'être. Inspiration, expiration poursuivaient leur mouvement dans l'accord parfait d'un souffle profond.

Encore

Encore un peu

Jouir

De la vie.

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