5. Cache-cache
Il fallut beaucoup de temps au religieux pour parvenir à échanger avec l’enfant. Il tenta plusieurs approches, plus ou moins fructueuses, en jouant sur sa curiosité, en faisant œuvre de pédagogie ou profitant de l’atout culturel qu’offrait leur voyage, sans plus de résultat.
Un jour, des bruits aigus le firent revenir des bras de Morphée. Encore somnolent, il chercha des yeux la source de cette agitation. L’enfant et le chiot jouaient ensemble, se courant après en émettant des glapissements aigus. Un éclair de surprise fendit son visage et l’émotion humidifia timidement ses yeux. Elle riait. Le chemin était encore long pour que son cœur d’enfant se rouvre à la vie, mais il pressentait qu’une étape avait été franchie. Dans leurs cavalcades, le petit chien jouait à slalomer entre les jambes de l’enfant et la fit tomber dans une flaque d’eau. Le religieux se redressa inquiet, mais voyant l'enfant se remettre à genoux et frotter ses vêtements usés, l’air ennuyé, il décida de ne pas intervenir. Pas encore, il était trop tôt. Le chiot, animé de voir sa camarade de jeu au sol, se jeta dans ses bras en lui léchant le visage, la queue en tourniquet. Les inquiétudes de la fillette se noyèrent dans les coups de langue et de nouveaux éclats de rire résonnèrent. Ne voulant pas les déranger, le Père Gabriel se rallongea sur l’herbe verte, les bras derrière la tête et les yeux perdus dans le ciel. Un sourire émouvant d’espoir illumina son visage, le rajeunissant de façon étonnante. Il la laisserait éclore à son rythme et continuerait son voyage avec elle comme si de rien n'était, attendant qu’elle s’ouvre à lui.
Des jours défilèrent, puis des semaines sans que l’enfant ne montre plus d’intérêt pour son guide. Le Père Gabriel se ravisa et se décida pour une autre approche, celle d’aller à la rencontre de l’enfant, dans son univers à elle, au lieu de vouloir lui faire découvrir celui qui l’entourait et l’effrayait. Encore fallait-il trouver un moyen indirect d’y parvenir pour ne pas se montrer intrusif. Profitant d’une matinée où leur compagnon de voyage à quatre pattes lui portait un peu d’intérêt, en mordillant ses chaussures de cuir, il le prit dans ses bras.
- Alors, canaille, on a faim ? Du coin de l’œil, il s’assura que Lilith les regardait en silence. Il tendit un bout de nourriture que la boule de poil s’empressa d’ingurgiter. L’orpheline s’assit sans les quitter des yeux. Il va nous falloir te trouver un nom, compagnon de fortune, poursuivit le médecin. Canaille ? Crapule ?
Un mouvement en périphérie attira son regard, Lilith secouait la tête en signe de désapprobation. Revenant au chien afin de ne pas trahir ses sentiments et d’effrayer Lilith, il poursuivit sa comédie : Glouton peut-être ? Il essuya un nouveau refus de la fillette. Pensif, il se perdit un instant dans la contemplation du canidé qui battait l’air de sa queue. C’est seulement lorsque la boule de poil s’agita dans ses mains que l’homme vit Lilith s’éloignait en silence. Avait-il laissé s’échapper l’opportunité ou était-ce là la bonne façon de faire les choses ?
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