28. Impasse religieuse
Elle se tenait devant lui, attendant, le regard trop inexpressif pour s’y laisser prendre.
Tant le Père Gabriel que le Docteur Cargent avaient l’esprit vide. Une désagréable impression d’être englouti dans les nimbes fantomatiques des yeux de l’enfant. Il essaya de se reprendre.
- Le Général s’inquiète pour toi, ma fille, s’avança-t-il, pour amorcer la conversation.
Elle leva les yeux vers lui, sans répondre. Cela risquait d’être ardu. Il espérait l’amener à lui faire dire ce qu’elle avait sur le cœur, pour ne pas la brusquer. Mais elle ne paraissait pas très coopérative.
- Tu devines pourquoi ?
Elle secoua la tête, bien décidée à demeurer dans son mutisme. Pinçant les lèvres, le religieux essaya une autre approche.
- Tu sais, j’ai souvent repensé à notre conversation, au monastère.
Il prenait cet air détaché de celui que rien n’atteint. Lilith se figea à ses mots, pendue à ses lèvres, tandis qu’elle s’efforçait de cacher le tremblement des siennes. Le religieux fit semblant de ne pas s’en rendre compte, mais son cœur souffrait avec l’enfant. Il suivait aisément les méandres douloureux des sentiments de Lilith. L’allusion au père de celle-ci faisait inévitablement écho au sacro-saint nom de famille.
- Tu veux qu’on en discute ? L’invita-t-il à s’assoir un peu à l’écart, comme elle ne réagissait pas.
Elle secoua la tête, décidée. Les yeux fuyants, la tête basse. Le religieux accusa le coup intérieurement. Cela faisait longtemps qu’il n'avait plus été aussi démuni face à cette enfant qu’il avait recueilli. Il aurait pu aborder le sujet en lui avouant l’avoir entendu, mais quelque chose en lui se sentait coupable d’avoir volé ces confessions à l’insu de Lilith. Il ne voulait pas perdre la confiance de l’enfant, ni la brusquer. La méfiance n’était pas permise pour sauver une orpheline. Pour sauver son orpheline.
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