29. Impasse orpheline
Lilith fuyait. Elle fuyait le regard du père, elle fuyait ses pensées, par trop envahissantes. Elle aurait fui en courant si elle l’avait pu. Elle ne voulait pas faire souffrir cet homme. Elle ne voulait pas aborder ces sujets avec le Père Gabriel, elle s’en était fait la promesse : ne plus faire d’allusions à son père devant son bienfaiteur. Ne plus provoquer cette douleur dans son regard bienveillant.
Ses yeux se noyaient, sa gorge se serrait. Elle baissa la tête, laissant ses cheveux cacher son visage qu’elle sentait s’empourprer. Elle aurait aimé lui parler de ses doutes, de ses craintes, de ses peurs. Elle voulait libérer les mots qui pressaient ses lèvres, au lieu de les retenir, les dents serrées. Elle ne pouvait pas. Elle n’en avait pas le droit. Pas le droit d’abattre sa peine sur l’homme qui lui voulait tant de bien. Pas le droit de le faire souffrir. Elle se l’était interdit. Elle voulait préserver cet homme qu’elle choyait.
Il lui était tellement plus facile de supporter sa tristesse et son affliction que de porter atteinte à celles du Père Gabriel. Tellement plus aisé de cacher au Docteur Cargent sa douleur, que de lui en causer.
Elle se rappelait les tragédies lues avec son mentor. Le choix inextricable du cœur ou de la raison. Elle s’estimait heureuse de ne pas avoir à faire un tel choix ; son cœur comme sa raison lui hurlaient de veiller au bien-être de l’homme qui l’avait sauvée. Non, son choix à elle lui semblait beaucoup plus simple. Dangereusement plus simple. Elle ne pouvait préserver le cœur et la raison d’une seule personne. Entre elle et lui, elle l’avait choisi lui.
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