35. Parenthèse
Lilith et le commandant Matty jouaient à cache-cache avec Messi, bien loin de l’état d’esprit torturé du Père qui pesait le pour et le contre en les observant de loin. Il repensait aux mots du général, et même si celui-ci avait raison, il ne parvenait pas à franchir le cap. Plus silencieux et lointain que de coutume. Lilith avait noté le changement dans son comportement ces derniers temps et s’en était inquiétée. Sachant pertinemment que ses explications vagues au sujet d’un patient n’avaient pas été convaincantes, il remerciait le ciel de lui avoir offert un peu de répit avec une belle journée ensoleillée que Lilith ne passerait pas à l’intérieur. Les belles journées d’hiver étaient rares.
Il fut d’ailleurs reconnaissant au militaire Matty de venir chercher Lilith ce matin-là. Il s’estimait heureux de voir que Lilith était pleinement intégrée par tous dans le camp. Elle égayait les journées des soldats, faisait éclore les sourires sur le visage de ces hommes qui cachaient souvent des blessures dans leur cœur et des images derrière leurs paupières, revers d’une vie militaire sur les champs de bataille. Il repensait à la façon dont elle avait été traitée au couvent, ignorée par les sœurs, sans même un regard ou un geste. Il souriait à la pensée que l’enfant maudite et crainte de tous rencontrait ici un écho contraire. Elle était le petit ange des soldats. Elle était un peu leur enfant à tous. Ses sourires, ses jeux, ses lectures et ses rires étaient pour eux le plus précieux des cadeaux. L’atmosphère légère et apaisante qui régnait ici, ils la devaient à Lilith. Tous l’aimaient. Tous la considéraient comme l’une des leurs.
Le Père se sentait partagé, à la voir épanouie parmi ces soldats, au beau milieu d’un camp de militaires. Tantôt soulagé de la savoir heureuse ici avec eux, après des semaines et des semaines à avoir imaginé le pire. Tantôt inquiet qu’elle évolue aussi bien dans un milieu guerrier à voir des plaies et des blessures à l’infirmerie. Il s’estimait heureux que le camp la protège de la réalité de la guerre. Pour le moment.
Comme si ses inquiétudes personnelles ne suffisaient pas, les nouvelles matinales n’étaient pas bonnes. Les relations à la frontière étaient de plus en plus tendues. Après des années faites d’accords de paix, celle-ci était plus que jamais remise en question. Si la guerre se déclarait, le camp serait aux premières loges et Lilith avec. Ce qui déplaisait souverainement au Père Gabriel.
Pourtant, pour l’instant tout semblait tranquille à voir jouait Lilith avec le commandant. Le calme avant la tempête ? Intérieurement, les sentiments du médecin étaient beaucoup moins apaisés. Non seulement ses soucis ne le quittaient ni de jour, ni de nuit, mais ils lui semblaient prendre en ampleur au fil du calendrier. Et contrairement au paquet qui semblait grossir de jour en jour sur l’étagère dans son bureau, il ne s’agissait pas d’un mauvais tour de son imagination. Il attendait, autant qu’il craignait, les nouvelles que le Général ne manquerait pas de lui transmettre, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.
Mais en son for intérieur, il savait que ce qu’il redoutait, ce n’était pas tant l’annonce imminente d’une guerre qui se profilait, mais davantage les décisions qu’il aurait à prendre concernant Lilith. Ne pouvant rien faire de plus qu’attendre que les choses se passent, sa volonté se concentra sur l’instant présent. Profitant de pouvoir encore regarder Lilith jouer dehors avec Messi. La voir rire, sourire les yeux pétillants et profiter de sa présence rayonnante et chaleureuse qui inondait le camp plus efficacement que ne le ferait jamais le soleil.
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