42. Le poids des mots

4 minutes de lecture

Le Père Gabriel se précipita vers le camp, suivi de près par le général. Les questions se bousculaient dans son esprit. Comment allait-elle ? Était-elle blessée ? S’était-elle blessée ? À quel point l’avait-il blessée lui ? Il traversa les portes du camp essoufflé, mais accéléra encore vers une lumière en partie cachée par un attroupement de soldats. Ils s’écartèrent sur son passage en disant des choses que le docteur n’entendit pas. Il arrêta sa course seulement lorsqu’il perçut sa voix. Faible et abattue.

- J’ai compris, disait-elle à une ombre

- Qu’as-tu compris Lilith ?

Le Docteur reconnu Matty. Et s’obligea à attendre sans se montrer malgré son inquiétude.

- Pourquoi il m’a emmené avec lui.

- Tu parles du docteur ?

- Il disait avoir commis des fautes. Des fautes qu’il regrettait. Il voulait les effacer, alors il a tourné le dos à l’Église pour devenir médecin. Espérant se racheter et fuir son passé et la religion. Mais son passé l’a rattrapé alors il a voulu l’affronter. C’est pour ça qu’il s’est de nouveau raccroché à l’Église. Pour apaiser sa conscience. C’est aussi pour ça qu’il m’a recueilli. Il disait que je l’aidais à se pardonner et qu’il avait besoin de moi. Maintenant qu’il m’a sauvé, il a retrouvé un équilibre et n’est plus en conflit avec lui-même. Il s’est pardonné, car en m’offrant une autre vie il a racheté ses erreurs passées.

À l’écart, le Père Gabriel était blême. Une pluie de coups s’abattait sur lui en continu. Chaque parole plus douloureuse que la précédente. Il voulait se soustraire de cet enfer, mais c’était comme si les mots de Lilith le ligotaient. Lui liant les bras et les jambes pour l’empêcher de se défendre tandis qu’ils frappaient le cœur, encore et encore avec acharnement jusqu’à le priver d’air. Le silence venu, ignorant la main du Général qui le retenait et fuyant son regard, il rassembla le peu de force qui lui restait pour s’éloigner de son bûcher et se réfugier dans la solitude.

- Et même si ce que tu dis est vrai. Qu’est-ce que ça change ? Il tient à toi, non ? Alors il n’y a pas de crédit à accorder à ses motivations.

- Désormais, il n’a plus besoin de moi. Il ne me veut plus auprès de lui.

- Mais d’où te viennent des idées pareilles, Lilith ?

- C’est pourtant simple, non ? Vous ne comprenez pas ?

- Non. Non, Lilith. Je ne te comprends pas.

- C’est pourtant simple, hurla sa douleur. Avant j’étais la petite fille qui l’aidait à se reconstruire et à se pardonner ses fautes. Aujourd’hui je ne suis plus que le monstre qui les lui rappelle alors qu’il s’est pardonné. Je suis désormais la seule chose qui le rattache à ces pêchés qu’il veut oublier. Je suis Lilith, la démone. Aujourd’hui quand il me regarde, c’est les pêchés dont il s’est absout qu’il voit. Qui le nargue. Et pour tourner définitivement la page il a besoin que je m’en aille.

- Personne ne t’a demandé de partir Lilith. Tu es chez toi ici, affirma d’un ton sûr Matty. Il gardait contenance pour lui donner le change, mais n’en menait pas large devant les pleurs et la détresse de Lilith. Il était démuni face aux larmes.

- Personne ne m’a demandé de partir, pleura-t-elle. Mais personne non-plus ne m’a demandé de venir vous accompagner quand vous recevrez l’ordre de partir.

- Nous accompagner ? Où donc ?

Elle resta mutique en affrontant son regard. Visiblement, elle lui en voulait à lui aussi. De quoi pouvait-elle lui en vouloir. Elle parlait d’ordre pour partir... Les paroles lui devinrent alors intelligibles.

- Attends, tu parles de venir à la guerre Lilith. Tu veux nous accompagner au front ? C’est ça que tu veux ?

Son entêtement à ne rien dire lui confirma ses inquiétudes.

- Vous voyez. Vous non-plus vous ne voulez pas. Sa voix se faisait de plus en plus forte. De plus en plus suppliante. Pourquoi ? Pourquoi je ne peux pas venir ? Hurla son cœur. Vous êtes ma seule famille, je n’ai rien, ni personne en dehors de ce camp. Si vous partez tous, je …

Elle ne finit pas sa phrase et éclata en sanglots devant la conclusion évidente de ces mots.

Des images défilèrent devant les yeux du jeune commandant. Des scènes d’une violence inouïe, des blessures fatales, du sang en cascade. Et Lilith. Une enfant sans défense au milieu d’un tel massacre. Elle. Leur petit ange. Leur lueur d’espoir. Il ferma les yeux, serra les dents. Et dit d’une voix blanche.

- Tu n’y penses pas. Tu n’as aucune idée de… Ce n’est pas un endroit pour toi.

- Parce que je suis une fille ? Cria-t-elle

- Parce que ce n’est un endroit pour personne ! Contra-t-il avec une véhémence qui effraya Lilith.

S’apercevant de la frayeur qu’avait inspirée la violence de son ton, il tenta de se ressaisir et adopta une voix plus douce, mais sérieuse.

- Tu as tout faux, Lilith. Si nous ne voulons pas que tu viennes, si le Docteur refuse que tu nous accompagnes, ce n’est pas pour t’éloigner de nous. De lui. C’est pour t’éloigner de la guerre. Écoute, je ne connais pas les motivations qui l’ont conduit à te ramener avec lui. Mais je sais que tout ce qu’il a fait c’est uniquement pour te protéger. Et c’est ce qu’il continue à faire en refusant que tu viennes avec nous. Et si tu doutes de ce que je te dis, alors va lui parler et demande-lui.

Aucun des deux n’ajouta quoi que ce soit. Les yeux de Matty se posèrent sur Lilith, se demandant quelles étaient ses réflexions maintenant. L’avait-il convaincu ? Se sentait-elle plus seule encore ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Clarisse ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0