X.

8 minutes de lecture

Un frisson parcourut l'échine de la jeune femme.

Pour un mois de février, la température était encore désespérément basse et sans âtre pour la réchauffer, la pièce était balayée par l’air froid.

Léandre, pourtant habillé assez légèrement, semblait indifférent à la fraîcheur ambiante. Cependant, il surpris le tressaillement de la jeune femme, et il lui jeta un regard de connivence.

« Peut-être devrions nous rejoindre votre chambre ? Je crains que n'attrapiez la mort à rester dans ce courant d'air.

Séléné acquiesça et, d'un pas léger, tourna les talons avant de traverser la pièce.

Elle constata sans réelle surprise que Léandre la suivait avec la même discrétion : c'est à peine si l'on entendait le froissement de ses vêtements dans sa marche. Ses pas, quant à eux, étaient totalement silencieux, quand les talons de la jeune fille claquaient faiblement contre le carrelage.

Ils traversèrent ainsi les couloirs, elle faisant de son mieux pour rester la plus discrète possible, scrutant chaque porte, terrifiée à l'idée qu'une domestique couche-tard ne puisse la surprendre en si fâcheuse position ; lui, se mouvant dans le silence sans difficulté apparente, ne pouvant totalement camoufler son amusement face à l'inquiétude de son hôte qui la faisait ressembler à une enfant prise en faute. Ce qui, après tout, n'était pas si loin de la réalité.

La bâtisse, bien dépouillée d'une partie de ses meubles précieux d'antan, restait vaste et impressionnante, et Léandre pris le temps d'observer les lieux. Quel dommage que la famille Roserot soit tombée aux mains d'héritiers si pathétiques...

À un moment, Séléné, lassée de ne pas entendre le jeune homme derrière elle, se retourna pour s'enquérir de ses agissements, pour le trouver quelques mètres derrière elle, en train d'observer le portrait de l'un de ses lointain et obscur ancêtre.

Léandre, sentant son regard, se détourna et la rejoins sans se presser. L'agacement qui se lisait sur le visage de la jeune femme manqua de lui provoquer un éclat de rire. Elle était toujours si expressive que c'était un véritable plaisir de la tourmenter. Oh, pas méchamment bien sûr. Juste assez pour voir le mécontentement tordre ses lèvres, la surprise déformer son visage ou la colère illuminer ses yeux d'orage. Il en venait parfois à se demander à quoi elle pourrait bien ressembler sous l'emprise de la peur....

Mais le moment n'était pas encore venu. Tout ceci n'était qu'un jeu après tout, un autre moyen de tromper l'ennui.

Pour le moment, elle était encore nouvelle lubie, plutôt jolie, impertinente et imprévisible. Follement intéressante. Bien sûr, comme tous ses passes temps, elle finirait par le lasser, et il retomberait dans la morne monotonie de son existence. Alors autant en profiter pour l'instant.

Séléné poussa finalement la porte de sa chambre et la chaleur de l'âtre brulant dans la pièce vint balayer son visage. Elle poussa un soupir d'aise et s'assit sur le fauteuil au côté de la méridienne, ne prenant pas la peine d'attendre son invité, qui s'avançait à son tour dans la pièce.

Comme il l'avait fait la dernière fois, il s'affaira à allumer les bougies disposées de part et d’autre de la pièce, puis, une fois la tâche accomplie, il s'aventura dans la chambre, observant avec attention les quelques tableaux de paysages qui décoraient les murs, le bouquet de fleur qui ornait la petite table, placé dans un vase qui était venu remplacer celui que Séléné avait brisé ; sembla observer son reflet dans la glace de la coiffeuse.

Séléné observa son manège avec intérêt, se surprenant à voir en lui un rappel de sa jeune sœur, qui avait la même lubie d'explorer chaque pièce dans laquelle elle pénétrait. Il n'en finissait pas de la surprendre. Cet homme mystérieux dont le regard semblait parfois abriter un savoir bien au-delà de son âge, mais qui faisait preuve d'une curiosité toute enfantine ; sa courtoisie et son mépris éhonté pour les règles de bienséance les plus essentielles...

Le paradoxe qu'il représentait la fascinait. Si son effronterie l'avait au départ brusquée, elle qui n'était habituée qu'aux paroles caressantes des nobles qui ne s'exprimaient toujours qu'à demi-mot, dissimulant les insultes dans les compliments détournés, il lui fallait désormais reconnaitre que cela lui plaisait bien.

Après avoir achevé d'observer la pièce sous toute les coutures, Léandre s'assit sur la méridienne, reprenant la place qu'il avait occupé la dernière fois.

Avec un sourire insolent, Séléné rompit le silence qui s'était installé.

« Je suis étonnée de vous voir explorer les lieux. J'aurais pourtant cru que vous en aviez déjà eu le loisir lors de votre dernière visite.

Affectant un air offusqué, Léandre retorqua :

« Chère demoiselle, sachez que je suis peut-être impudent mais je ne suis pas un goujat. Même un homme tel que moi sait qu'il est terriblement impoli de fouiller dans les affaires d'une jeune femme dans son dos.

« En revanche le fait de s'introduire dans ses appartements ne semble pas vous poser de problème. » Répondit-elle en prenant un air indifférent.

Léandre esquissa un sourire.

« La force de l’habitude.

Séléné lui jeta un regard outré, auquel il répondit par un rire qui ne parvint pas tout à fait à dissiper les doutes de la jeune fille. Après tout, ce Léandre Erebus avait tout du séducteur, avec son physique à faire pâlir d’envie les peintures de Versailles et son habilité à manier les mots.

Quelque chose dans l’idée qu’elle puisse n’être qu’une tocade parmi les autres lui déplaisait. Et ce, quand bien même il lui avait assuré que la seule chose qui l’intéressait chez elle était son potentiel en tant que distraction (et non pas en tant qu’éventuelle conquête, il avait au moins été clair sur ce point). Cela dit, même si c’était véritablement le cas, cela importait peu du moment qu’elle-même voyait dans leur engagement un moyen de s’évader de son quotidien monotone.

En tout cas c’est ce dont elle essaya de se persuader.

« … Je crois que je préfère encore ne pas savoir.

« Je vous l’avait dit, un individu de mon acabit doit savoir garder sa part de mystère, ou bien mes visites perdront toute leur saveur. » Répondit-il sur le ton de la plaisanterie.

« Mmmh. Admettons. » Répliqua la jeune femme. « Dans ce cas, puisque vous ne semblez pour le moment pas disposé à parler de vous, pourriez vous au moins me dire pourquoi mon futur époux vous déplait autant ? »

Léandre qui perçut la bile qui se camouflait sous la plaisanterie se départit instantanément de son sourire.

« Je comprends votre curiosité à ce sujet. Puis-je vous demander si vous avez déjà eu l’occasion de rencontrer votre promis ?

Séléné fit non de la tête et Léandre soupira.

« Evidemment, vous n’auriez probablement pas posé la question autrement. Si je dois être totalement honnête, il me parait évident que toute personne normalement constituée se doit d’abhorrer cet homme. Je n’ai eu la malchance d’être confronté à lui que quelques fois, mais ces dernières m’ont suffi à me renseigner sur sa nature… Ignare, impudent et profondément exécrable, voilà ce qu’il est.

Voyant la mine de son interlocutrice s’assombrir, il se repris :

« Enfin, je parle ici du baron et non du mari.

Plus bas, il ajouta cependant :

« Quoique ce que j’ai entendu sur sa qualité de mari n’était guère plus reluisant.

Séléné laissa échapper un gémissement et se laissa aller contre le dossier du fauteuil. Elle lui coula ensuite un regard de biais.

« Pourquoi faut-il qu’au milieu de tout ces mystères vous soyez aussi brutalement honnête à ce sujet ? » lui adressa-t-elle d’une voix plaintive.

Léandre haussa les épaules.

« Je n’allais pas transformer une vérité que vous connaissez de toute manière d’ores et déjà pour vous préserver. Et puis, il vaut mieux vous préparer à l’idée d’épouser ce rustre puisque cette union est inévitable.

Le détachement sur lequel il avait prononcé ces mots blessa Séléné, mais au fond elle savait bien qu’il avait raison. Et elle commençait à l’entrevoir, ce Léandre Erebus n’était pas homme à s’émouvoir.

La jeune femme s’abima un moment dans l’observation de l’âtre dont les flammes crépitaient en projetant une lumière orangée.

« Je suppose que vous avez raison.

Léandre l’observa en silence un instant, puis poussa un soupir avant de croiser les bras.

« Quel dommage tout de même. Peu importe à quel point la situation financière de vos parents est désastreuse, vendre leur fille d’une telle manière et à un tel homme, c’est une honte, vraiment. Pardonnez-moi cette offense, mais je n’ai que dédain pour les courtisans qui se pavanent en affectant des grands airs quand leurs finances sont dans un état aussi lamentable.

Il secoua la tête d’un air désapprobateur avant de poursuivre :

« Livrer leur enfant en pâture à un tel chient pour repayer leurs propres erreurs est d’un barbare, j’ai peine à croire que ce genre de pratiques soient encore autorisées.

Séléné ne put s’empêcher un petit sourire. Il était agréable de se sentir comprise, c’était bien la première fois depuis longtemps. Elle hésita un instant, puis répondit :

« Vous savez, les choses n’ont pas toujours été ainsi. Malgré tout, mes parents sont des gens bien, avec leurs défauts et leurs qualités. Autrefois, nos relations étaient bien plus apaisées, mais certaines de mes… décisions ont définitivement changé les choses.

Elle s’interrompit, poussant un nouveau soupir.

« En un sens, je comprends leur choix, puisque c’est celui que la plupart des nobles aurait fait : il s’agit ici de restaurer le nom des Roserot, ou au moins de le préserver. Dans cent ans, je serai morte et oubliée, mais par ce mariage j’aurais permis la sauvegarde de la maison. Cela n’en reste pas moins difficile à supporter pour autant… Se voir traiter avec la même considération qu’on aurait pour une bête de concours que l’on vend au plus offrant n’est pas vraiment plaisant… » conclut-elle en se passant une main dans les cheveux.

Léandre fronça les sourcils.

« Même si j’admire votre pragmatisme et votre sens du sacrifice, je me dois tout de même de vous signaler que les bêtes de concours, sont au moins traitées avec égard… »

Il se leva pour se rapprocher de Séléné, qui l’observa poser un genou à terre devant elle avec stupéfaction, et regarda sa main s’approcher avant de se poser délicatement sous son menton et d’incliner son visage.

« La tuméfaction de votre lèvre m’informe que vous n’avez pas le droit à la même considération.

Puis avant que Séléné ne puisse réagir, il retira sa main et retourna s’assoir avec autant d’aisance qu’a son habitude.

La jeune fille resta interdite un instant avant de se reprendre. Elle effleura du pouce sa lèvre inférieure, en effet encore enflée du coup infligé par son père et jeta un regard à Léandre qui l’observait avec sérieux.

«…Il faut vraiment que vous cessiez d’envahir mon espace personnel.

L’homme sembla s’amuser de ses mots et s’apprêta à répondre, mais Séléné ne lui en laissa pas l’opportunité.

« Votre main est glacée. C’était déjà le cas ce soir-là, dans la clairière. Avez-vous froid ? » lui demanda-t’elle sans malice.

Le sourire de Léandre s’évanouit aussitôt, et il détourna le regard, observant les flammes quelques secondes avant de lui répondre.

« Ce n’est rien dont vous devriez vous inquiéter. Il s’agit simplement d’une condition particulière dont je souffre, mais qui est sans effet sur ma santé.

« Oh… Je vois. Je vous prie de me pardonner, je ne voulais pas être impolie.

Léandre lui répondit par un sourire rassurant et secoua la tête, ce qui l’apaisa. L’éclat glacé qu’elle avait surpris dans ses yeux pendant un bref instant l’avait transi jusqu’aux os et elle avait bien cru avoir commis un terrible impair.

Séléné lui sourit en retour et, d’un geste inconscient, passa sa main sur son menton.

Elle avait dû se faire des idées.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lioucan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0