XI.

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La conversation se poursuivit jusque tard dans la nuit, et ce n’est qu’aux abords de 4 heures du matin, alors que Séléné étouffait un énième bâillement que Léandre se décida à quitter les lieux.

Des heures durant, tous deux avait discuté de divers sujets fascinants, allant des mœurs de la cour à l’éducation des femmes, en passant par la littérature et même les arts militaires.

Léandre s’était révélé être un parfait gentilhomme : bienveillant, cultivé et tout bonnement fascinant. Il avait su être une oreille attentive aussi bien qu’un orateur de talent, et s’il s’était montré aussi mystérieux qu’à l’accoutumée sur sa vie, dont il n’avait pas révélé le moindre détail, il s’était bien volontiers épanché sur les autres sujets, semblant particulièrement attiré par l’histoire et les sciences humaines en général.

Séléné avait été véritablement ravie du tour qu’avait pris leur entretien : il était rare qu’elle ait des conversations vraiment intéressantes avec son entourage. Entre ses parents dont les centres d’intérêt semblaient se limiter à leur situation financière et à la vie à Versailles, Isabeau qui était une grande amatrice des scandales entourant les courtisans mais en dehors de cela n’avait malheureusement pas grand-chose à raconter, et enfin Ariane, qui n’était encore qu’une petite fille, Séléné avait souvent rêvé de trouver quelqu’un avec qui converser de tous ces sujets qui semblaient n’intéresser personne autour d’elle.

Elle avait quelque part l’impression d’avoir appris plus durant cette nuit que durant toute sa vie : Léandre était si précis et si imagé dans ses descriptions qu’elle avait eu la sensation d’assister aux évènements qu’il décrivait. Il semblait averti de tous les sujets et ne tombait jamais à court d’anecdotes toutes plus captivantes les unes que les autres. Pas une fois cependant il ne se montra arrogant, et il écoutait volontiers la jeune fille discuter de ses propres impressions et idées.

« Je devrais vous laisser à présent. J’ai bien trop abusé de votre temps et vous tombez de sommeil » , annonça Léandre à son interlocutrice qui, en effet, peinait à rester les yeux ouverts.

Séléné se passa une main sur le visage dans une vaine tentative de se remettre les idées en place.

« Il vaut probablement mieux, aussi triste soit-il de devoir mettre fin à un entretien aussi plaisant.

Léandre lui sourit, puis se leva et tendit la main à la jeune femme. Celle-ci la saisit avec délicatesse et il l’aida à se relever courtoisement. Elle lui sourit en retour, remarquant qu’elle était bien la seule à montrer des signes fatigue. Son invité lui, était toujours aussi éclatant de santé que lorsqu’il l’avait rejoint quelques heures plus tôt.

« Je suis ravi que mon humble compagnie ait pu vous distraire. J’ai moi-même passé une très agréable soirée et je vous en remercie.

Séléné l’accompagna jusqu’à la fenêtre, qu’il ouvrit avant de se retourner vers elle.

« Une dernière chose… Ne perdez pas espoir. Rien n’est jamais écrit à l’avance et la situation pourrait bien finir par tourner à votre avantage. Essayez d’envisager ce mariage comme une opportunité plutôt qu’un fardeau.

Constatant l’air peu convaincu de la jeune femme, il ajouta.

« Mais si, je vous assure. Ne vous sous estimez pas, je suis certain que vous vous en sortirez. Alors en attendant, essayez de ne pas trop vous torturez voulez-vous ?

Séléné poussa un long soupir, puis acquiesça.

« Je ferais de mon mieux.

Léandre la dévisagea quelques instants, puis lui adressa un sourire bienveillant.

« Vous êtes courageuse.

D’un bond agile, il enjamba ensuite le rebord de la fenêtre et lui lança :

« Je compte déjà chaque minute jusqu’à notre prochaine rencontre.

Il se laissa tomber au sol sans un bruit, et, exactement comme la fois précédente, s’éloigna jusqu’à totalement disparaître dans les ombres. Séléné le regarda s’éloigner jusqu’à ne plus pouvoir le distinguer dans la noirceur, puis ferma la fenêtre, et se dirigea jusqu’à son lit sur lequel elle s’étendit.

Un sourire ravi aux lèvres et les joues brûlantes, elle s’endormit finalement ainsi, et rêva pour la première fois depuis longtemps.

Séléné trempa sa plume dans l’encre noire, puis suspendit sa main au-dessus du papier déjà à moitié couvert de notes calligraphiées. Elle y inscrivit quelques mots, puis un nouveau point d’interrogation avant de soupirer. A quoi bon ? Tout cela semblait inutile. Avec les seuls indices que Léandre lui avait livré pour le moment il semblait impossible de découvrir qui il était véritablement.

Qui aurait pu se douter qu’un noble dont on connaissait le nom et le prénom puisse demeurer un total inconnu et qu’il soit impossible de trouver la plus infime trace de sa famille dans la moindre archive ?

Léandre Erebus. Quel nom de famille étrange par ailleurs. Pouvait-il s’agir d’un pseudonyme ? Ou bien, était-il possible qu’il ne soit pas un noble mais simplement un roturier ?

Séléné avait bien formulés des hypothèses, plus ou moins improbables. Deux d’entre elles, à ses yeux, faisaient sens.

Léandre, contrairement à ce qu’elle avait toujours pensé jusqu’à présent, pouvait ainsi être un bourgeois et non pas un noble, puisqu’il n’avait après tout jamais prétendu faire partie de la noblesse lui-même. Ceci pouvait ainsi expliquer l’absence totale de sa famille dans les annales politiques et littéraires qu’elle avait pu trouver dans la bibliothèque, mais laissait ainsi à supposer qu’il avait mentit en prétendant avoir été convié à la réception du palais royal, puisque ce genre d’évènement étaient réservés aux courtisans. De plus, les parfaites connaissances qu’il avait démontré des usages de la cour étaient troublantes : il aurait été impossible même au plus instruit des bourgeois d’en connaitre de pareils détails.

Autre possibilité : l’étrange jeune homme était bien de sang noble, mais sa famille avait connu un revers de fortune et en avait réduite à travailler, se retrouvant ainsi réduit au statut de simple roturier comme cela arrivait parfois. Seulement, ceci n’expliquait toujours pas pourquoi Séléné ne parvenait pas à trouver de trace des Erebus dans les livres d'histoire.

Une goutte d’encre vint s’écraser sur la feuille. Absorbée dans sa réflexion, la jeune femme l’essuya du revers de la main, ce qui eut pour effet de venir recouvrir ses notes désordonnées.

Peut-être fallait-il simplement remonter plus loin dans le temps ? Et si Léandre n’était effectivement qu’un roturier vivant dans l’amertume d’une noblesse qu’il n’avait jamais connu, s’efforçant d’en apprendre plus sur les aristocrates par le biais de sa famille qui avait fut un temps connu ce faste dans l’espoir de se rapprocher d’eux ?

Séléné déposa sa plume et, d’un geste agacé, froissa la feuille de papier qu’elle cacha dans un tiroir. Elle le ferait bruler ce soir, inutile d’attirer la suspicion de sa famille d’une façon aussi stupide.

Elle soupira et se passa une main lasse sur le visage. L’idée que Léandre puisse lui rendre visite simplement dans le but de se rapprocher d’une famille noble lui déplaisait particulièrement. Elle ne pouvait cependant se départir totalement de cette idée : si la démarche était, il fallait l’avouer, plutôt excentrique, le charisme du jeune homme était suffisant pour lui offrir des opportunités.

Si elle n’avait pas envie de tout gâcher à cause de simple suspicions, Séléné ne pouvait s’empêcher de se questionner sur les réelles intentions de son nouveau confident.

Et si depuis le début, son seul but avait été de la séduire pour se faire une place dans la noblesse ?

Enervée, autant par cette idée que par son esprit qui la poussait à de si basses assomptions, Séléné se leva avec vivacité et quitta sa chambre en direction du bureau de son père. D’un pas rapide, elle traversa les couloirs sans prêter attention aux domestiques qui la suivait du regard, étonnés par son apparente agitation. Arrivée devant l’imposante porte de bois sombre, elle marqua une brève hésitation et posa sa main sur la poignée. Tout d'un coup, il lui semblait être une enfant à nouveau. Ce lieu avait toujours représenté quelque chose de solennel pour elle, pas uniquement car c'était là que son père s'occupait de toutes les affaires liées à son statut de marquis, mais également car c'était ici qu'il passait le plus clair de son temps au domaine. Ainsi, quand elle franchit finalement le seuil de la pièce, elle eut presque l'impression de sentir sur elle le regard froid de son géniteur derrière le bureau qui lui faisait face. Elle ignora avec un frisson le portrait de son grand-père, un homme à l’air sévère qui semblait la jauger depuis le mur sur lequel il était accroché, et se dirigea vers la bibliothèque de l'autre côté de la pièce. L'air sentais l'encre et le papier et elle pouvait y desceller l'odeur de musc dont son père se parfumait, restée captive de la pièce close en son absence. Décidemment, il semblait toujours présent pour surveiller les moindres faits et gestes de sa fille.

Séléné se mit alors à chercher dans les rayonnages, sélectionnant différents livres à l’aspect le plus anciens qu'elle feuilletait avant de les reposer quand elle comprenait qu'ils ne lui étaient d'aucune utilité. C’était ici qu’étaient consignées toutes les archives de la famille et les documents les plus précieux. Normalement, la pièce était réservée à l’usage de son père uniquement, et pénétrer ce sanctuaire lui permettait enfin d’entrevoir l’ampleur de la tâche à laquelle elle s’attelait. Certains de ces livres semblaient avoir traversés au moins trois siècles...

Délicatement, car ces ouvrages étaient tout particulièrement fragiles, elle tournaient les pages et parcourait les lignes archivant les divers contrats, négociations et marchés établis par ses aïeuls. Les cahiers consignaient ainsi toutes les dépenses et rentrées d'argent de la famille Roserot des siècles passés, années après années.

Après plus de deux heures passées à cette morne occupation, Séléné avait au moins acquis la certitude que ses ancêtres avaient eu plus d’habileté en affaire que ses parents : les actions de la famille avaient jadis été florissantes, et plus de la moitié des terres aux alentours qui appartenaient désormais au roi était à l'époque intégrées au domaine des Roserot. Elle découvrit que c'était ainsi le cas de la forêt où elle se rendait si souvent, et l'idée que la clairière qu’elle aimait tant ait un jour appartenue à sa famille lui provoqua un pincement au cœur. Avec un peu de chance, un de ses ancêtres s'était lui-même aventuré en ces mêmes lieux ?

Les yeux fatigués par la lecture des diverses calligraphies rendues parfois presque indéchiffrables par les effets du temps, Séléné était sur le point d’abandonner, lassée de contempler des noms et des chiffres qui avaient de moins en moins de sens au fil des volumes qui lui passaient entre les mains, quand son regard buta finalement sur le patronyme qu’elle avait l’impression de rechercher depuis une éternité.

Erebus. Le nom était bien là, il se détachait nettement sur le papier jauni.

Le marquis Léandre Erebus de Domecy.

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