Edmond

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Son téléphone sous le nez, je me liquéfie littéralement en découvrant la publication de Pauline. Maintenant Léo sait, et je sais que cette façon de savoir est tout particulièrement la pire. Je suis un homme mort.

Sa bouche est pincée, ses sourcils froncés, mais sa mâchoire n’est pas aussi serrée par la colère que ce que j’attends. Je ne sais pas. Je ne sais pas… J’avais le droit, non ? Coucher. Elle avait dit oui ?

— Je… Euh…

Léonore martèle les mots de la publication, sa voix est sèche, grave. Calme pourtant. Je m’émiette un peu plus, incapable d’évaluer son courroux.

— Oui, euh, j’ai passé la soirée avec Pauline…

— Tu peux dire que t’as couché avec elle.

Oui, c’est ce qui s’est passé, et je n’avais aucune intention de le lui cacher, je lui en aurais parlé aux couleurs d’une banale histoire de mon weekend, mais ce matin, au pied des marches, devant son air si strict, je me rends compte que mes mots ont un gout de trahison. Je ne devais peut-être pas ? Pas comme ça du moins, dans son dos. Ne me suis-je pas engouffré dans son absence pour me soulager de ma frustration douloureuse ? À la seconde où Pauline a posé ses mains sur mes hanches, mon corps a soupiré d’aise, un soufflé tout chaud qui retombe. Et mon esprit a balayé Léonore. Il n’y avait plus que moi et le frisson de mon envie qui se dissipait agréablement. Ce n’était même pas Pauline que je voulais, c’était ça, le sexe, le cul, la peau, la chaleur. J’avais le droit non ?

— Oui… mais je croyais que…

— C’est pas ça le problème Edmond.

À mon nom, je me décompose tout à fait. Puis à mesure qu’elle s’embrouille dans ses explications, j’ai envie de sourire. Je comprends qu’encore une fois elle se cure les oreilles de savoir ce que je faisais de moi même.

— Tu lui as fait croire que tu me trompais, et je suis vexée.

En fait, elle est jalouse, mais une jalousie un peu étrange, emprunte d’un orgueil certain. Je suis à elle. Je suis à elle et les autres doivent savoir qu’il est peine perdue de commencer la bataille des cœurs alors même qu’elle ne peut être gagnée. Et moi dans tout ça, j’aime ce paradoxe. Je suis possédé, et libre. Je me sens invincible. Un grand vaurien touché par la caresse de la sérénité ! Je suis à elle et le crierais sur tous les toits ! Pauline se trompe, je suis un poisson ferré, et Léonore me tient par la queue avec une poigne de feu.

— Si j’avais imaginé qu’on arriverait à une telle situation, je l’aurais crié sur les toits !

D’un seul coup, je vois ma Léo se transformer en la petite flamme timide qu’elle laisse briller si rarement, sa carapace charismatique éparpillée en poussière de cendre. Sa tête appuyée contre ma poitrine, je l’entends soupirer discrètement, comme pour se débarrasser d’une crainte un peu trop oppressante. Je l’enlace. Je crois qu’elle tient à moi plus qu’elle ne l’admet vraiment. Ça m’amuse, ça me plait, ça ne ressemble à rien que je connais. Je me sens apaisé de ne rien avoir gagné d’avance.

J’attrape sa casquette, la pose en équilibre sur le haut de mon crâne trop gros et l’entraine à ma suite au lycée.

— J’ai un truc à régler, je vous rejoins au self !

Je l’ai sentie trépigner toute la matinée et m’interroge. Mon drôle de luron est plutôt flegmatique-apathique en cours, d’ordinaire. Un coup d’œil à Hiroko me suffit pour comprendre qu’elle est animée des mêmes interrogations que moi.

Je lui emboite alors le pas vers le self, mu par la même perplexité.

— C’était bien le japon ? Je lui demande, gêné du silence.

Hiroko est un drôle de personnage, tout en couleurs flashy et je ne sais pas trop quoi lui dire. D’autant qu’elle ne doit pas avoir grande opinion de moi, grand vaurien du lycée que je suis.

— Hai ! Mais crevant, j’avais oublié les heures de maquillage et d’habillage.

« Hai ». Léo a eu l’amabilité de donner à Ludo et moi un cours de rattrapage de japonais. Maintenant, je sais au moins que « hai » veut dire oui et « iie », non. C’est un maigre début, mais ça donne le ton à la phrase.

Nous gardons le silence jusqu’à ce que nous retrouvions Ludo et, Raphaëlle ? Et Raphaëlle, donc, devant le self.

— Hiro, Raphaëlle, Raphaëlle, Hiro, présente-t-il succinctement.

— Ah c’est toi qui avais organisé la journée Japon en première, non ?

— En personne, Raphaëlle-san.

Hiroko s’incline et Raphaëlle l’imite maladroitement, suscitant l’hilarité chez Ludo et moi. Je suis certain qu’Hiroko s’amuse à lui faire croire qu’elle risque de l’offenser.

— Allez, à table ! J’ai la dalle ! finit-elle par dire.

Son exclamation a pour effet de dérider la pauvre Raphaëlle qui comprend alors la mesure de la farce.

Nous sommes déjà tous à table, les assiettes bien entamées, quand Léonore nous rejoint

— Bah t’étais où, meuf ?

— Ludo !

— Ah ouais, « meuf », déso, salle habitude.

— Ah tu vois ?! J’arrête pas de te le dire, surenchérit Raphaëlle.

— Ça va, ça va, vous êtes pas mieux vous, avec vos « nana ».

— Tout de suite ça fait le mec, à rejeter la faute sur les autres, grommèle Léo. On parle de toi là.

Je ris dans ma barbe et me garde bien de voler au secours de Lulu devant son regard appuyé suppliant la solidarité masculine. Je ne prends pas les armes dans des batailles ou la défaite est écrite avant même qu’elle soit commencée.

— Alors tu étais partie faire quoi ? dis-je plutôt.

Elle se tourne vers Hiro.

— Tu te souviens, la fille de seconde d’hier ?

— Hai.

— Je l’ai invité à manger avec nous. Je crois qu’elle n’a pas trop d’amis.

Hiroko lève un sourcil de concert avec Ludo et moi.

— Visiblement, l’idée ne l’a pas tenté, dis-je.

— En même temps, c’est normal, t’as vu sa face ? réponds Hiroko, donnant un coup d’épaule à Léonore.

— C’est ça, moque-toi ! T’as la bienveillance d’une carpe de toute façon. Nan, mais, j’sais pas, ça m’a choqué l’autre débile qui l’a agressé. J’ai le sentiment qu’il faudrait rester vigilant à la solitude de cette seconde.

Le ton de Léonore est sérieux, son visage ne sourit pas, et si Hiro ne semble pas la prendre au sérieux, moi je crois découvrir un bout de ma Léo que je ne connais pas, et peut-être même un bout qui me pousse encore une fois à ne jamais la perdre : son œil veille aux autres. Un œil silencieux et scrutateur sur autrui qui cherche l’âme en peine qu’il faut sauver. Une bienveillance cachée, inhérente à elle-même que son âge grandissant polira à merveille.

Ludo et Raphaëlle en cours à l’autre bout du lycée, nous nous retrouvons tous les trois à la récrée de l’après-midi, investissant un banc abrité par un chêne en retrait de la cour, et Hiroko maugrée bruyamment qu’elle se retrouve à tenir la chandelle. Sur ces arguments, elle nous plante là et préfère aller fouiner parmi les mangas du CDI. Pour ma part, je pense plutôt qu’elle a la maladroite gentillesse de nous laisser tous les deux. Je la remercie silencieusement, car cela tombe à point nommé, la discussion de ce matin étant restée quelque peu en suspend.

— À propos de Pauline… je commence.

Les fesses en équilibre sur le dossier du banc, les pieds sur l’assise, Léonore glisse ses mains dans mes poches de jeans et me tire un peu vers elle. Elle arbore un sourire à peine malicieux et je suis curieux de ce qu’elle s’apprête à dire.

— Tu ne devais pas être trop mal quand même, pour avoir un tel éloge de sa part.

Je crois que je rougis jusqu’à la racine. Sa franchise va me consumer. Il y a nulle part où se cacher avec elle.

— Peut-être. Tu me diras…

— Je serais un piètre juge, tu sais…

J’entends sa gêne de son inexpérience poindre et je me dois de l’en sauver !

— L’expérience ne te permet pas de mieux apprécier, tu sais ?

— J’ai du mal à te croire… Qu’est-ce qui permet de mieux apprécier alors ?

— Simplement vivre le moment présent avec de la complicité.

— Tu me joues le grand sage ?

Elle ricane, toujours un peu gêner je crois, mais il y a un véritable amusement.

— Qu’est-ce que tu voulais me dire à propos de Pauline ?

— Plusieurs choses. Je me suis rendu compte ce matin que je savais pas dans quelle mesure tu voulais, et bien, savoir ?

— Je ne sais pas trop… T’as pas besoin de m’envoyer un préavis ou me demander la permission, quoi, faut pas que ça bousille la spontanéité, je pense. Mais dis-le-moi après, d’accord ?

— D’accord.

— Et si j’ai envie, je te poserais des questions. Et toi ?

— Et moi ?

— Tu veux savoir ?

L’espace d’un instant, mon cœur se crispe d’agacement et je prends conscience que j’avais oublié la réciprocité du contrat. Elle aussi jouit de cette liberté, et mon frisson instinctif témoigne du chemin que j’ai à faire pour l’accepter. Je n’arrive pas à voir Léonore de la même façon que Pauline, une amoureuse du sexe pour le sexe. J’ai du mal à me dire qu’elle aurait besoin d’autre chose que moi, qu’elle voudrait qu’un autre mec touche son corps.

Et plus j’y pense, plus l’image de moi d’un gros dégueulasse possessif s’impose à moi. Un gros et sale vaurien. Je ne suis même pas agacé parce que j’ai peur qu’elle ne m’aime plus, c’est pire que ça !

Je prends une grande inspiration. Le contrat, est, dans, les deux, sens.

— Tout pareil, je réponds. La transparence est ce qui fonctionne le mieux dans tous les domaines !

— Fair enough ! Quelles étaient les autres choses dont tu voulais me parler ?

Cette sincérité brute… Comment je mets, moi, les mots que je veux dire les uns après les autres ? Je ne fais pas ça d’habitude, parler de ce que je veux, quémander de l’affection…

— Je… C’est pas vraiment Pauline avec qui j’ai couché, j’ai… j’avais besoin de…

Ça ne sort pas comme je veux. Je frotte frénétiquement l’arrière de mon crâne, et mon regard court partout évitant soigneusement Léo. Puis sa main se pose sur ma poitrine, tout juste le bout des doigts, et un peu sa paume, délicate. Mes pensées brumeuses s’éclairent d’un rayon de soleil.

— Tu me manques, dis-je.

Un sourire étonné étire ses lèvres.

— Mais, on se voit tous les jours.

— Oui, mais c’est pas juste toi. J’ai envie de toi.

Je me retiens de rire à ses yeux écarquillés.

— Non, non, je veux pas dire ça dans ce sens-là, je glousse. Enfin, si, si tu veux, avec plaisir, mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Je sais que c’est pas le moment, pas de pressions. Je veux dire que j’ai envie de ta présence. J’aimerais te voir plus, en dehors du lycée.

Léonore se lève, ses lèvres se pinçant doucement d’un sourire qu’on réprime, et avec cette tendresse timide si rare que j’aime tant, elle attrape mon visage des deux mains, se hisse sur la pointe des pieds, m’embrasse. Je ne me retiens pas et l’étreins comme si je ne la serrerais plus jamais dans les bras.

La cloche nous interrompt, mais je ne me résous pas à la lâcher. Aux cœurs de mes bras, cette fois-ci un vrai sourire de plaisir sur les lèvres, Léonore me regard un long moment avant de parler :

— Tu viens à la maison ce weekend ?

— Avec grand plaisir.

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