Olivia
La dernière semaine de lycée est passée trop vite et chaque jour me rapprochait inexorablement des vacances. Me voilà vendredi soir, enfermée dans ma chambre, terrorisée des jours à venir. Si le temps annoncé ne change pas, il me sera impossible d’aller lire au parc. Impossible de fuir. De respirer. Vers 21 h, j’entre ouvre ma porte et écoute. Il ronfle en bas. Surement soul comme une botte. Je me faufile hors de ma chambre, calcule mes pas sur le bois de l’escalier, m’arrête dans le hall pour écouter à nouveau. Il dort toujours. Je cours à la cuisine, attrape un morceau de pain et remonte aussitôt.
Samedi et dimanche, passe avec la lenteur de l’hiver suédois et les premières recherches de Michael Blomkvist à Hedestad. Je l’entends vaguement vivre en bas, mais il m’a surement oublié et me laisse tranquille. Tant que je ne descends pas. Je fais abstraction de ma faim. Ce serait trop bête de lui rappeler mon existence. Avant de m’endormir le dimanche soir, Léonore me vient à l’esprit. Ne pas aller au parc c’est aussi ne pas la voir. Pour une fois, ne pas avoir de téléphone me chagrine. Un message de sa part m’aurait fait plaisir.
Elle fait mieux que ça.
Mardi matin, je crois entendre sa voix grave quand je comprends à la réponse agressive écopée qu’elle est vraiment là. Je dévale les escaliers, suis prête à me blottir contre elle quand il m’attrape violemment par le col.
— Tu crois aller où comme ça, sale mythe !
— Je sors ! m’excalmè-je, en essayant de me défaire de sa poigne.
— Tu crois que le ménage et la lessive vont se faire tout seuls ?
Je le regarde bêtement. Il ne m’a jamais demandé de faire ces corvées-là.
— Désolé, elle peut pas sortir. Ni aujourd’hui ni demain, ni les z’aut’ jours.
Et il claque la porte. J’espère inutilement que la sonnerie retentisse à nouveau et que Leonore lui colle son poing dans la figure, mais elle ne ferait pas ça avec un adulte.
— Allez dégage sale mythe !
Il me pousse dans les escaliers et retourne au salon. Pourquoi avait-il fallu qu’il ne travaille pas aujourd’hui !
Je me relève en frottant mon épaule et remonte. Je n’ai pas envie de retrouver Mickaël. J’attrape un vieux livre glané dans un vide grenier et tourne les pages pour arriver au « Conte du genévrier ». De la même façon qu’Oliver Twist m’apaise, la revanche du petit garçon sur sa marâtre qui l’assassine me fait du bien. Je l’assassine un peu lui aussi.
Plongée dans ma lecture, je ne l’entends pas monter.
Je me retourne vivement à ma porte qui s’ouvre et le voit me toiser. Un frisson me parcourt immédiatement. Son sourire. Large et avide.
— Il est temps de payer ton séjour p’tite mythe.
Je comprends trop tard.
Peut-être aurais-je pu m’enfuir si j’avais réagi plus tôt ?
Mais je ne l’ai pas fait.
Je suis donc toujours là.
Pétrifiée.
Sidérée.
Je ne suis même pas capable de pleurer.
De crier.
Une poupée de chair entre ses mains sales.
J’attends.
J’attends qu’il termine.
J’attends.
Je pense à autre chose.
C’est mon seul pouvoir.
Je pense à Thérèse Raquin qui n’aime pas son mari.
Je pense à Denise Baudu qui dit non à M. Mouret.
Je pense à Lisbeth Salandeur qui mutile Nils Bjurman.
Je pense à Léonore.
Tu me manques.
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