Olivia 

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Dans le train, le sommeil me guette. Je vois que Léonore lutte autant que moi pour ne pas perdre une miette des plaisanteries qui fusent. Je sens que le plaisir me gagne. Les retrouver me rend heureuse. Merci Léonore pour ces amis.

Merci d’être venue me chercher parce que j’avais abandonné. Après ce qu’il m’a fait, il ne restait rien de moi. Je n’ai réussi qu’à m’éteindre. M’engourdir pour échapper à une douleur trop grande. Un dégout de moi trop intense. Les vacances étaient devenues un rêve inaccessible qu’il ne valait même pas la peine de faire. Lorsque maman m’a souhaité un bon voyage, ses mots ont mis une longue seconde à pénétrer ma conscience, jusqu’à ce que j’aperçoive Léonore adossée à la voiture. Comme un pantin, j’ai avancé et suivi mon corps jusqu’à ses bras et ma douleur s’est évaporée dans sa chaleur.

Qu’un temps.

Je suis là devant le jacuzzi et la honte de mon corps me frappe. Un squelette tout juste recouvert d’une peau cadavérique couverte de bleus.

— Liv, viens entre Léo et moi. Les gens là-bas sont peu recommandables.

Edmond et sa gentillesse. Je trouve incroyable qu’il ait toujours les mots qui me mettent à l’aise. Ou du moins qu’il prenne le temps de les avoir. D’ailleurs son attitude me soulage étrangement. Je l’ai vu me détailler furtivement de son œil d’homme et n’y trouver ni répugnance ni lubricité me rassure. Il n’est pas comme lui. Tous les garçons ne sont pas comme lui.

Tous les garçons ne sont pas comme lui.

Je me glisse donc entre Léonore et lui. La chaleur de l’eau me fait oublier. Il n’y a rien d’autre que mon corps qui flotte et le picotement de l’eau brulante sur ma peau. Le crissement de la forêt qui bavarde donne à l’atmosphère une dimension irréelle.

Ce sont leurs chamailleries qui me mettent à nouveau mal à l’aise. Trop de toucher. Trop de mains que je ne connais pas. Je suis désolée, mais je ne peux pas.

— Je vais aux toilettes.

Je fuis plus que je ne me lève et malgré leur tendresse, les doigts de Léonore ne peuvent me retenir. Je cours me changer, me couvrir surtout et parviens à me détendre. Le pull sent Léonore. J’enfile la capuche, fourre mon nez dans le tissu et m’accoude à la balustrade d’une autre terrasse. La vue sur le lac est fabuleuse. Une immense tâche claire et tranquille. Je me mets à pleurer. Il n’avait pas le droit. Il n’avait pas le droit !

Je sens encore ses mains broyer mon bassin. Son corps écraser le mien. Sa suée, son haleine, ses grognements. Je me dégoute tellement. Je suis salie.

Pitié, je veux oublier.

Oublier.

Oublier.

Oublier.

Oublier…

Ses bras m’enlacent. Léonore. Serre-moi plus fort.

— Promets-moi quelque chose, Olivia.

Tu mets les mots sur mes pensées. J’étais prête à ne rien te dire car c’est mon fardeau, mais tu me rappelles qu’avec toi je n’ai peut-être pas besoin de m’enfermer dans mes vieilles habitudes.

— C’est promis.

Je te le dirais. Mais avant serre-moi plus fort.


Quand nous retournons dans le salon, mon orage personnel est passé. Je me sens à nouveau capable de partager les rires du groupe. Personne ne relève notre disparition et je sais qu’il s’agit plus de délicatesse que d’indifférence.

Léonore se laisse volontiers attraper par Edmond et s’installe entre ses jambes. Son sourire me touche, franc et joyeux. Non sans me lancer un regard intense, un de ceux qui me sont réservés. Des regards que je me prends à guetter. Je m’installe à côté d’eux et m’étonne qu’Edmond m’invite dans le câlin. Je lui souris et refuse. Je ne voudrais pas les déranger. Étrangement, il semble déçu.


Le film terminé, je m’étonne que nous allions déjà nous coucher. Seulement, la porte une fois fermée, je comprends à la mesquinerie peinte sur le visage des trois filles que dormir n’est pas dans les plans.

— Depuis combien de temps n’ai-je pas fait une soirée fille ! s’exclame Hiroko en sautant sur le lit double.

— Moi je n’en ai jamais fait, dis-je.

Toutes les trois se retournent vers moi, forçant leur air estomaqué et je regarde Hiroko, un peu inquiète, se lever pour fermer les volets, allumer une bougie et éteindre la lumière.

— Viens t’assoir immédiatement !

— Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

— Chut… suwatta, assieds-toi.

J’obéis, partagée entre amusement et inquiétude. Je crois que Léonore et Raphaëlle ne savent pas bien ce que manigance Hiroko non plus, mais se prêtent largement au jeu en s’installant en cercle autour de moi, se tenant les mains.

— Répète après moi, dit solennellement Hiroko. Moi, dis ton nom.

— Moi, Olivia…

— … Promets d’accueillir sans jugement les secrets révélés en ce cercle…

Je crois que je commence à comprendre ce qu’est une soirée fille. Je répète.

— … Je promets de donner un avis juste et authentique, sans félonie et calcul sous-jacent…

Je répète à nouveau consciencieusement, même si le rire me guette.

— … Et enfin, je promets de ne jamais rien révéler à la gent masculine, qu’importe le cout, sous peine d’être radiée à jamais des cercles de femmes.

— Ah quand même, dis-je en riant.

— Répète, répète ! me presse Hiroko.

J’obtempère et la regarde me tendre la bouteille de sexe on the beach.

— Maintenant, bois, petite sœur. Te voilà femme ! Bienvenue dans ta première soirée ovaires !

Ça y est, les deux autres n’en peuvent plus et éclatent de rire. Je prends une lampée du cocktail et ri avec elles de tout ce cinéma.

— Merci Hiroko.

— De rien, imōto-chan.

Nous rallumons une petite lampe de chevet, nous mettons en pyjamas, puis nous réinstallons toutes les quatre sur le lit, Hiroko à plat ventre, Raphaëlle étalée sur le côté, Léonore d’abord assise sur Hiroko puis vivement dégagée.

— Bon alors, imotō-chan, puisque tu es l’initiée, on va commencer par toi.

— J’ai peur.

— Tu peux, me souffle Léonore.

— Présente-toi.

— Ça va ça. Bonjour, je m’appelle Olivia, j’ai 15 ans, je suis née en décembre et j’aime lire.

— C’est tout ? Demande Hiroko un peu déçue.

— Je pense oui.

— Mais nous on veut des détails croustillants, genre ton premier amour, si t’as déjà eu un copain, si t’as déjà embrassé un garçon. Ce genre de chose quoi.

Je ris doucement, évidemment, mais je voulais l’embêter. D’ordinaire, je n’aurais pas été capable de répondre à ces questions avec autant d’yeux posés sur moi, mais il faut admettre l’habilité d’Hiroko quant à ce serment brise-glace. Mes secrets seront accueillis sans jugement.

— Je ne suis pas sure d’avoir déjà été amoureuse, ou du moins je n’ai pas d’anecdotes croustillantes sur un crush au collège ou en primaire.

— Mince alors. Ça va couper court à la conversation, commente Raphaëlle. Bon on va faire autrement. Fille ou garçon ?

— Je crois que ça m’importe peu.

— Majikayō ?! Moi je pourrais pas les nanas. C’est beau une femme, hein ? Mais je sais pas, il manque un truc !

— Une bite ?

— Léo ! Non, la bêtise, je dirais. J’aime qu’ils soient différents de nous.

— Moi c’est plutôt l’inverse, tu vois ? avoue Raphaëlle en se tournant sur le dos. Tout se passe bien avec Ludovic, ce n’est pas le problème. Je vous jure qu’il est pas beauf comme ça quand on est tous les deux. Mais quand je sens qu’il en a envie et qu’il me titille, moi j’ai du mal à me mettre en route.

— Tu as peut-être juste pas de libido.

Je ne vois pas complètement le sourire qu’elle lance à Léonore, mais je comprends que ce n’est pas le problème.

— Nan, je me demande si c’est pas parce que j’aime les femmes en fait.

— Facile, est-ce qu’en disant ça, tu en as une qui te vient à l’esprit ?

Un nouveau sourire se peint sur le visage de Raphaëlle et celui-là semble plutôt niais et automatique.

— Raphaëlle, tu nous quittes ? Tu passes de l’autre côté ? Pleurniche Hiro.

— Pas sur. Faudrait que j’embrasse une femme pour vraiment savoir.

Est-ce que la réaction de Léonore me surprend ? Peut-être moins qu’Hiroko. Quant à Raphaëlle, le feu lui monte aux joues plus vite qu’il n’en faut pour le dire. Elle se redresse vivement tandis que Léonore la fixe, hilare.

— On ne prend pas les gens par surprise comme ça ! Recommence ! Tu n’as même pas mis la langue.

Léonore lève un sourcil narquois.

— Tu veux vraiment que je t’embrasse normalement.

— Comme si j’étais Edmond !

— Très bien. Ne viens pas te plaindre si tu tombes amoureuse de moi après.

Ne se souciant plus d’Hiro et moi, Léonore lui attrape le visage assez fermement et l’embrasse avec une avidité qui m’étonne. Je pense qu’à l’instinct avec lequel Raphaëlle attrape à son tour le visage de Léonore, on peut dire qu’elle découvre un nouveau pan de sa sexualité.

— iidesuyo, iidesuyo, soupire Hiro en les séparant. Vous pourrez faire ça dans une autre chambre plus tard.

— Quoi tu en veux toi aussi ?

— iyada ! Va-t’en.

Leurs chamailleries finissent par nous faire rire jusqu’à ce que Raphaëlle reprenne son sérieux :

— Je crois qu’il va falloir que je touche deux mots à Ludo…

— Je pense oui.

Raphaëlle rougit quant au sourire coquin que lui sert Léonore.

Homme ou femme, je crois que moi, ça m’est vraiment égal. Je ne m’étais jamais vraiment posé cette question en fait. Y a-t-il vraiment une différence entre les deux ? Je ne suis même pas sure de comprendre Hiroko et Raphaëlle. L’une n’est simplement pas amoureuse et l’autre n’a imaginé que des femmes comme elle. Non ? Quant à l’attitude de Léonore, je suis curieuse.

— Ma question est peut-être idiote, mais… Edmond ne serait pas blessé que tu aies embrassé Raphaëlle ?

— Ah c’est vrai que tu n’étais pas encore avec nous quand ces deux-là se sont mis ensemble, me répond Hiroko. Vois-tu, ils se disent libertins.

— On ne fait pas que le dire, on l’est !

Hiroko marmotte quelque chose en japonais que j’apparente à « gnagnagna », mais Léonore le comprend assez bien pour lui répondre avec une ironie sur le visage qui ne passe pas inaperçu.

Quant à moi, je me perds dans mes pensées. Le libertinage. Qu’est-ce que j’en connais ? Les liaisons dangereuses ? Dont la morale souligne qu’il est vain face à l’amour véritable. Manon Lescaut ? Plutôt une suite d’adultères et un chevalier tourné en ridicule par cette femme qui l’aime, mais ne peut pas s’empêcher de le tromper. Deux livres datant du XVIIIe siècle. C’est-à-dire une éternité sociale. Je n’y connais donc rien, mais si je devais avoir une pensée à ce sujet, elle se rapprocherait surement de ma préférence entre homme et femme : peu importe.

Je souris. Nous sommes des ados modernes.

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