Léonore
Ma discussion avec Edmond me reste en tête toute la soirée. Je ne sais pas s’il a compris là où je voulais en venir, mais je vois à sa tête étrangement ravie qu’il se passe quelque chose entre ses deux oreilles. Peu importe, ça attendra demain, car il est temps de se débarrasser des garçons !
Le serment d’Hiroko est un joli tour de main pour mettre Olivia à l’aise. Il n’y a pas à douter que les sujets clés d’une soirée fille bien conduite sont souvent les amours, le sexe, et les règles. Sujet que je l’imagine mal aborder spontanément.
— Mais nous on veut des détails croustillants, genre ton premier amour…
Hiroko… La réponse d’Olivia n’a rien de vraiment étonnant. Quoi que. Fille et garçon ? Vraiment ? Fort intéressant dis-moi petit chat… elle serait peut-être OK pour rentrer dans notre folie ? Un flash me vient. Une idée effroyablement ridicule de niaiserie d’une double cuillère, tous les trois dans un lit, Edmond m’enlaçant et moi tenant Olivia. C’est exactement ce que je veux. Le beurre, l’argent du beurre, le cul du crémier et de la crémière.
C’est peu près là où j’arrive dans mes réflexions quand je refais surface et écoute le dilemme de Raphaëlle.
– Pas sur. Faudrait que j’embrasse une femme pour vraiment savoir.
Je ris d’avance de ma bêtise et me penche pour l’embrasser. Un baiser rapide. Son visage en me redressant est un délice pour les yeux et je fais tous les efforts du monde pour ne pas rire.
— On ne prend pas les gens par surprise comme ça ! Recommence ! Tu n’as même pas mis la langue.
Je lève un sourcil narquois, ne m’étant pas forcément attendue à cette réponse et l’idée d’aller plus loin me tente. J’avoue être curieuse aussi à l’idée d’embrasser une femme. Savoir s’il y a une réelle différence.
— Tu veux vraiment que je t’embrasse normalement.
— Comme si j’étais Edmond !
Oh ma pauvre, que n’as-tu pas dit. Si tu savais qu’il m’appelle double-face, tu n’aurais peut-être pas fait cette précision. Au risque de choquer Hiroko qui a un petit côté prude sur les bords, j’attrape le visage de Raphaëlle sans ménagement et l’embrasse franco. Ma langue joue avec la sienne comme je le fais avec mon Vaurien et je sens son corps d’abord crispé se détendre. Sa main attrape mon cou et voilà qu’elle répond à mon jeu. Crapule…maintenant j’ai envie de plus… Si Hiroko ne nous avait pas séparés, seul mon diablotin sait ce qui serait arrivé. Je ronge ma frustration et comprends enfin mon vaurien. Quand l’envie nous prend, il n’y a plus rien qui compte. Je comprends aussi à quel point c’est futile. Dans l’immédiat je n’avais qu’une envie s’était d’arracher les vêtements de Raphaëlle, mais la pression retombée, je n’en aime pas moins Edmond. Et Olivia. Je glisse un regard vers elle entre deux insultes avec Hiroko et m’étonne de la trouver simplement pensive. Tant mieux.
Les heures passent et les sujets s’enchainent de secrets en aveux, des jouets sexuels aux règles et problèmes de contraception. Raphaëlle se rend d’ailleurs compte qu’étant peut-être lesbienne, elle va pouvoir dégager son implant qu’elle tolère mal. On acquiesce en bâillant et c’est ce qui clôt la conversation. Hiroko descend d’un étage et s’embobine dans la couette du matelas posé au sol tandis qu’il y a une seconde de flottement entre Raphaëlle et Olivia. Je crois voir chez mon chaton, pour la première fois depuis que je la connais, un semblant de rébellion. Elle n’a pas l’intention de céder sa place à Raphaëlle. Ça tombe bien, moi non plus. J’accélère la décision en l’attrapant par la taille et la serre contre moi. Je ne sais pas toujours ce qu’elle pense, mais cette fois, la sentir se caler un peu mieux contre moi, sa main qui se pose sur la mienne, c’est plutôt clair et ça fait diablement plaisir. J’ai beau être claquée, je ne suis pas certaine de réussir à m’endormir.
Que nenni.
— On vous laissera la chambre la prochaine fois, hein.
J’ouvre un œil fatigué sur Hiroko qui nous observe d’un air goguenard et remarque que nous n’avons pas bougé de la nuit, toujours blotties l’une contre l’autre.
— Urusai, baka… soupirè-je.
Je repose mon front contre la nuque d’Olivia et me rendors promptement. Ce n’est que plus tard qu’Edmond nous réveille gentiment pour le petit-déjeuner.
— Waky-waky mes deux marmottes.
Je m’étire et il se penche pour m’embrasser. Je le rattrape avant qu’il ne se redresse et le harcèle de quelques baisers supplémentaires. Sa barbe me pique et j’avoue regretter un peu la douceur des lèvres de femmes. Il finit par se libérer et se penche vers Olivia pour poser une bise sur son front. Sa spontanéité m’étonnera toujours. Mon chaton se retourne en grommelant avant de brusquement se redresser.
— Tout va bien, Liv, tout va bien. Tu es en vacances, Léo est à côté de toi et je suis venu vous réveiller. Thé ou café ?
Elle semble atterrir et se frotte les yeux comme pour être sure de ce qu’elle voit.
— Euh… Thé s’il te plait.
— Ok, je fais ça. Je vous attends en bas.
Edmond m’embrasse à nouveau et sort de la chambre en fermant la porte derrière lui. Je me tourne vers Olivia et réprime mon envie de l’embrasser devant son air apeuré. J’ose tout de même arranger un peu ses cheveux, ce qui lui tire un discret sourire.
— Ça va mieux ?
Elle hoche la tête.
— Il t’a blessé plus que d’habitude, n’est-ce pas ?
Ses yeux s’ombragent et tombent sur la couette. Qui ne dit mot consent.
— Un pas après l’autre, petit chat. Ici, tu es avec nous et en sécurité. Tu n’as qu’à me raconter quand ce sera le moment.
Elle acquiesce et se laisse entrainer à la cuisine où Raphaëlle et Edmond sont déjà attablés. J’imagine qu’Hiroko est encore en train de courir et ne devrait pas tarder à rentrer. Je lance un clin d’œil provocateur à Raphaëlle en m’asseyant et m’amuse de ses joues rougissantes.
— On fait quoi aujourd’hui chef ? demandé-je.
— Accrobranche ! Le mec de la base de loisir m’a dit de venir vers onze heures au vu de la météo annoncée. On mangera là-bas, puis après on voit ce qu’on fait. Soit c’est cata et on rentre, en espérant une éclaircie pour aller faire trois courses, soit il fait pas trop moche et on fait le tour du lac ou du pédalo ou un autre truc si voul-voul.
— Nickel. j’ai jamais fait, mais chui chaud patate, dis-je.
On s’enfile notre petit-déj tranquillement ce qui laisse le temps à Ludo de descendre et Hiro de rentrer. À 10 h 30 tout le monde est près et nous arrivons à l’heure pour notre créneau. Trois débutants, trois confirmés, l’équilibre rend la séance amusante. Quelques frayeurs, quelques blocages, mais dans l’ensemble, nous avons tous profité à fond. Malgré son côté indoor littéraire, Olivia a montré une habilité insoupçonnée et une telle témérité qu’elle s’est lancée dans la noire avec Edmond et Hiroko. Mes petits bras n’étaient absolument pas capables de les suivre. Le midi Edmond nous a payé le repas dans la guinguette couverte de la base de loisirs et nous nous sommes rempli la pense sans compter.
— Allez-y, c’est la princesse qui offre, s’est-il exclamé en reprenant l’expression de Ludo.
Ce qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Repus, nous avons regardé le ciel couvert, mais clair et avons décidé de nous lancer dans un tour du lac en VTT. Un très bon moyen pour faire les ânes à nouveau. Si ma hargne compense souvent ma petite taille, je ne pouvais rien contre les grandes jambes d’Olivia et Edmond ou le cardio d’Hiroko. J’ai donc laissé mon tour quand, une fois à la maison, il fallait aller faire les courses. Nos trois sportifs se sont gentiment dévoués pendant que Raphaëlle, Ludo et moi nous sommes prélassés dans le jacuzzi. Cette fois, je ne me suis pas gênée pour regarder son corps et me suis amusée de la frustration que l’interdit provoquait. Il ne se passera rien cette semaine, mon assiette est trop pleine, mais encore une fois, cinq en de plus et…
Quand le film se termine, nous sommes prêts à aller nous coucher. On a beau faire les malins, le sport plus le manque de sommeil, moi je suis décalquée. Sauf que je ne peux pas me lever du canap. Avec qui je dors ? Si mon instinct me répond Olivia, ma raison a peur de laisser mon vaurien. Mais si je dors avec Edmond, avec qui dort Olivia ?
— Allez, au lit mes marmottes !
Edmond se lève, nous fait une bise à toutes les deux et s’éloigne vers les escaliers.
— Tu viens mon lulu ?
— Je dors avec Raphaëlle.
— D’acc. Hiro ça te dérange de dormir avec moi ? Ça évite de salir d’autres draps.
J’en reste muette. Hausse les épaules à la question silencieuse d’Hiroko. Non ça ne me dérange pas, ce qui me scotche, c’est sa lecture de la situation. Il a dû comprendre ce que je voulais dire lorsque nous préparions le repas. Et sa manière de nous appeler « mes marmottes ». Il se passe définitivement quelque chose.
Nous montons tous et je m’éclipse une minute pour le retrouver dans sa salle de bain.
— C’est OK ? demandé-je simplement.
— Liv et toi ?
Je hoche timidement la tête.
— Et si je te dis qu’elle me plait aussi ?
Il sourit à mon étonnement. Je n’avais pas vraiment envisagé cette option. Prise de court, je bredouille sans trop réfléchir :
— Bin si c’est elle, j’imagine que oui ?
— Léo ?
— Mmh ?
— Je t’aime.
Je me prends sa sincérité comme un boulet de canon en plein cœur. Que dire à ça ? Sa belle gueule, son sourire tranquille, son regard posé sur moi, ses mains immenses qui tiennent ma taille. Beh je suis désolée, je suis une femme faible, je fonds.
— Vaurien… maugréé-je.
Il ricane et m’embrasse furtivement.
— Ne lui dit rien, je ne veux pas la brusquer. J’ai bien compris que les mecs, c’est compliqué, et je ne m’attends pas à ce que la situation change demain. Mais voilà, tu sais.
— J’aime tellement que tu sois si gentil avec elle.
— Je suis normal en fait.
— Oui certes, mais t’es pas un Ludo quoi.
— Tu ne sortirais pas avec Ludo.
— Non, dis-je en riant.
— D’ailleurs, tu n’as pas entendu ça de moi, mais attends-toi à peut-être devoir le recoller demain…
— Ah…
— J’ai peut-être embrassé Raphaëlle.
— Ah !
— Et elle a peut-être un peu trop aimé ça…
— Qui suis-je pour la blâmer. D’ailleurs, en parlant d’embr…
— Non ! ôte tes sales pattes de là ! J’ai ma double face prête à basculer. Si je t’embrasse maintenant c’est foutu !
Edmond se contente de rire et me met donc dehors, non sans me voler un autre baiser.
Je rejoins Olivia que je ne suis pas surprise de trouver en train de lire Izunas. En tailleur, BD sur les cuisses. Je me change, me brosse les dents et je n’ai pas besoin de la voir pour savoir qu’elle me suis du regard entre deux cases.
— Alors ça te plait ?
— J’adore. Mais je pense que je passe à côté de beaucoup de références du folklore japonais.
— On en parlera à la fin, dis-je en grimpant dans le lit.
Je m’emmitoufle sous la couette, éteint la lampe de chevet de mon côté, et lui dit entre deux bâillements qu’elle peut continuer de lire, ça ne me dérange pas. Au lieu de ça, je l’entends fermer la BD et éteindre aussi. Je ne sais pas si je dois me tourner vers elle ou rester immobile. Je sais jusque que j’ai qu’une seule envie, sentir son bras s’enrouler autour de ma taille et son corps contre mon dos. C’était si facile avec Edmond, même au début. Tout a toujours été dit. Pourquoi est-ce que je me sens comme une gamine effarouchée avec Olivia ? Pourquoi je n’ose pas ?
Quand son bras se glisse sous le mien et que je la sens contre moi, toutes mes pensées inutiles se taisent. Elle est un peu comme Edmond. Elle ose.
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