Avant...
Il n’y a que trois Vérités à connaître en cette Vie : la Foi, l’Espoir et l’Amour.
La plus grande de toutes, c’est l’Amour.
***
Des phares m’aveuglèrent.
Un bus se gara en face de moi, et je devins prisonnier de ce halo lumineux, telle une biche statufiée au milieu d’une route.
Je massai mes tempes douloureuses. Je m’étais assoupi à même le sol, épuisé, mon dos me brûlait. Ces dernières semaines avaient été rudes. Je n’avais trouvé refuge en ce lieu que pour me préserver du froid. Sauf que la gare routière n’était qu’un gigantesque courant d’air. Je grognais d’inconfort, mais au moins y étais-je protégé de la pluie. Les gouttes qui cliquetèrent du plafond fissuré m’indiquèrent que je me trompais.
Un flot de voyageurs descendit. Je me demandais si, eux, rejoignaient un foyer qui espérait leur retour. Moi, personne ne m’attendait nulle part.
J’ouvris mon sac, son contenu me brûla.
La pulpe de mes doigts caressa le papier, mes prunelles s’attardèrent sur le contour des lettres familières. Je n’avais plus besoin de les lire, je les connaissais par cœur. Elles m’étaient devenues plus sacrées que les Évangiles.
« Je n’approuve pas, Enfant. »
Je ricanais sombrement. Sœur Edina me sermonnerait d’oser remettre en doute le divin.
Le chauffeur descendit à son tour, s’étira, avant de se rendre au comptoir le plus proche. Il avança droit devant lui, certain de la direction à prendre. J’aurais aimé en faire de même. Depuis trois ans, je ne faisais que des détours. Ma vie était devenue un paquet de nœuds ; ils me ceinturait si fort que, même si on m’offrait une lame, il me serait impossible de les trancher.
Des effluves de nourriture me donnèrent la nausée, me rappelant mon estomac vide depuis deux jours. Je déglutis, le cœur au bord des lèvres.
De nouveaux passagers arrivèrent et se pressèrent aux portes du bus.
Le chauffeur revint, me lança un coup d’œil curieux avant de grimper les marches et de s’installer au volant. Sans doute en avait-il assez de contempler des miséreux à chaque arrêt.
La destination affichée sur le véhicule se modifia, les lettres serpentèrent. Mon souffle se coupa en déchiffrant l’inscription. Je lis une fois. Deux. Trois. Les anges se moquaient de moi, c’était impossible… Et pourtant, le nom de la ville clignota à m’en brûler les rétines.
De sa place, le conducteur me fit signe de le rejoindre.
Ce fut un signe. Un appel.
Un vent glacé me fit sursauter. Je me relevai péniblement, enfonçai mes poings dans mes poches, effleurai les derniers dollars que je possédais. Je montai en dernier, échangeai ma maigre monnaie contre une place. Il hocha la tête et me tendit un café brûlant en même temps que mon ticket.
Il ne dit rien de plus, donna un coup de menton vers l’arrière, m’invitant à prendre place.
Je trouvai une place au fond, à l’abri des regards, et soufflai sur le liquide. Il manqua de me brûler la langue et la gorge.
Le moteur vrombit. Le bus cahota, des passagers toussèrent, la pluie cessa de s’abattre.
Et nous partîmes.
Je me laissai bercer par le ronflement mécanique et fus gagné par la fatigue. Mes yeux papillonnèrent, mes songes s’égarèrent dans un brouillard épais. J’étais seul et j’avais froid, gagné par la sensation tenace de m’y noyer. Puis, au loin, le soleil pointa. Mon être se réchauffa, mon cœur brûla. J’aurais voulu arracher ma peau et renaître.
Le paysage se modifia. Comme la ligne de mon avenir.
Je laissais tout derrière moi, jusqu’à mon propre nom.
Pour les mots divins et fous d’une vieille femme.
Je m’étais égaré dans des dizaines de lieux. Tous m’avaient repoussé. En quoi le terminus de ce bus serait-il différent ?
Avant…
Avant, les mois défilaient, telles les gouttes qui tombaient des cieux.
Lourdes. Oppressantes.
Elles s’écrasaient contre mes paumes, se fendaient en éclat à leur contact. J’y voyais les directions de vies qui s’offraient à moi. Elles s’obstinaient à me montrer une perte, des pleurs, des rêves, une issue, des baisers…
Toi.
Avant, ma lumière était éteinte, et mon âme, noire comme un ciel d’encre.
Mon horloge du temps était cassée. Celle de mon cœur également.
C’est lorsqu’on a perdu tout espoir que l’inattendu frappe à notre porte. Ton entrée dans ma vie fut un frémissement, un chuchotement. Avant de devenir tempête.
Je tremblais à tes côtés.
Pas de froid.
Non, je frissonnais d’un espoir nouveau. Chacun de tes baisers me brisait avant de me reconstruire.
Chuter était si aisé. Se relever, si douloureux.
T’aimer, lui, m’était essentiel.
Que faisais-tu à la fenêtre, le jour où tu m’avais aperçu dans le jardin de ta mère ? Mes yeux s’étaient posés sur toi, ils s’y étaient ancrés.
Je nettoyais. Je réparais. Je plantais.
En t’apercevant, une angoisse étouffante m’avait vrillé le ventre. Si tu descendais… Que nous arriverait-il ? Après ces nuits sans sommeil, ces douleurs qui me brûlaient les chairs, je m’étais enfin réveillé.
Ce fut à cet instant que naquit notre histoire, le jour où j’étais arrivé.
Notre histoire était unique. Elle était un miracle.
Pourtant, elle commençait comme toutes les autres.
Par un psaume d’amour.
Annotations
Versions