Chapitre 1 : Sujet A
« ANDROMEDE continue de faire des ravages. Encore ce matin, une personne s'est donnée la mort dans un lieu public place Obilia. Son suicide à contaminé une dizaine de personnes. Les autorités compétentes ont pu transférer les blessés à l’hôpital Virarius où elles ont été placées en quarantaine. Nous vous conseillons d’éviter les lieux trop fréquentés afin de ne pas... »
Clic !
La télé est coupée. L'écran noir remplace la journaliste qui faisait son speech sur les événements récents. La pièce est calme tout à coup. Seul, s’entend le bruit des travaux au-dehors. Le soleil qui filtre à travers la fenêtre fait ressortir la blancheur des murs et accentue le contraste du feuillage vert des plantes qui décorent le salon. Je ne sais pas pourquoi je déteste autant les informations. C’est peut-être parce que j'ai peur de savoir la vérité, ou bien parce que j’imagine qu’on nous raconte des bobards et qu’on nous manipule. Je sens le regard de Vic planté sur moi. Elle doit se demander pourquoi j’ai éteint au milieu du journal télévisé sans raison apparente. Je lui dois une explication.
— Bordel ! Mais ils peuvent pas nous dire autre chose, quoi ! je peste en lançant la télécommande sur le canapé.
— El, c'est normal que les infos relatent ce type d’évènements. C'est grave ce qui se passe, tu sais !
— Ouais, bah justement ! je m’exclame en me levant du canapé, la main posée sur mon cœur comme pour prononcer un discours politique Justement, ils nous font encore plus flipper avec leurs avertissements à la noix ! Résultat, les gens sont cloîtrés chez eux et passent leur temps à regarder les actualités et des émissions de télé réalité qui leur bouffe le cerveau. « L’amour est dans la campagne » ou « L’histoire des secrets », c’est les neurones que ça détruit ! Et en grand nombre ! Et ça aussi c’est grave ! C’est de la destruction massive, mais ça tout le monde s’en fiche ! Tout le monde s’en contrefiche qu’il y ait de plus en plus de personnes qui restent confinées entre leurs quatre murs et ne profitent pas de la vie à l’extérieur !
Mon petit coup de gueule fait glousser ma grande sœur. Pour faire retomber ma pression, elle commence par me faire « la technique des doigts ninja », plus communément appelé « les chatouilles ».
— Tu dis encore n'importe quoi, El ! dit-elle en me chatouillant. Les ninjas sont obligés de te punir !
— Arrête Vic ! Arrête ça tout de suite, sinon je vais devoir utiliser ma technique secrète !
Intriguée par ce que je viens de dire, ma sœur retire ses doigts de mon ventre.
— Quelle technique secrète ? interroge-t-elle.
— C'est une technique ancestrale que m'a apprise grand père il y a longtemps. Cela m'a pris plusieurs mois pour la réussir. J'ai dû affronter de multiples dangers pour devenir experte, mais maintenant je la maîtrise parfaitement.
Je me penche pour attraper notre chat Pipoune qui somnole à mes pieds, et sans prévenir, je le lance sur Vic en m’écriant :
— La technique chatcré (jeu de mot avec technique sacré) !
Ma ruse pour que ma sœur me laisse tranquille a fonctionné... au poil. Elle m’a cru et ça me rend hilare. Me voilà par terre à rigoler comme une bossue pendant que Vic essaye de se défaire des griffes du pauvre Pipoune qui a eu tellement peur quand je l’ai jeté sur elle qu’il s’est accroché à son jean.
— Ha ! Ha ! Très drôle... soupire Vic d’un air las. C’est nul. T’as un humour qui amuserait sûrement monsieur Matru...
Le nom de celui qui m’enseigne les mathématiques au lycée stoppe illico mes éclats de rire. Vic le connaît bien monsieur Matru. Elle a eu la malchance de l'avoir comme professeur cinq ans avant moi et sait qu’il déteste la plaisanterie. Il n’est d’ailleurs pas réputé pour son sens de l'humour ou sa jovialité, mais pour sa sévérité... Le moindre ricanement dans son dos et c’est envoi direct dans le bureau du proviseur. Ça, c’est sûr. Monsieur Matru n’apprécierait pas du tout ce genre de blague et si je m’y risquais, ma moyenne en math risquerait de faire une chute libre proche du zéro pointé. D’ailleurs, en parlant d’études et de professeur, il est l'heure que je file en cours. J'ai beau être en colère et m’énerver contre ce monde qui tourne à l’envers et va finir avec la cervelle lobotomisée et la bave au coin de la bouche, il est temps que j’aille au lycée.
— Faut que je me grouille ! je dis à ma sœur en attrapant mon sac de cours et en lui faisant un signe de la main pour la saluer.
— Pas de bêtises ! me dit-elle en retour.
— Pareil pour toi ! je lui réponds avant de claquer la porte de l'appartement.
En descendant les escaliers, j'enfile mon masque en tissu blanc. Il est sensé protéger mes voies respiratoires nez-gorge, et obstruer les orifices de mes oreilles. Le port du masque est une mesure obligatoire depuis l’apparition de l'épidémie. En soi, cela ne me dérange pas. On peut même dire que ça m’arrange. Comme il cache une grande partie de mon visage, je n'ai pas à me maquiller. C’est un gain de temps pour quelqu’un comme moi qui ne suis jamais très en avance. Il fait frais aujourd'hui, mais le soleil brille d’une belle lueur. Tant mieux, j'ai encore oublié de prendre mon parapluie. Mon école est à dix minutes à pieds de chez moi. Ce n'est pas loin, mais il faut grimper une longue côte pour y arriver.
Vic, qui a largement l’âge de conduire puisqu'elle a vingt deux ans, n'a pas encore le permis. Elle ne peut donc pas m’emmener. C’est bien dommage. Souvent de fois, j’aimerais bien m’éviter de monter cette rue qui n’en finit pas. Et de toute façon, Vic doit rester à la maison pour son travail. C’est une artiste-peintre. Elle est douée... Enfin, c’est ce qu’on dit... Elle commence à être reconnue dans le milieu des barbouilleurs. Parfois, elle m’emmène aux vernissages. Cocktails, petits fours et beau monde, ça me plait bien. Ses expositions ont du succès. J’ai pu remarquer que beaucoup de personnes aimaient ses œuvres. Moi, ce qu’elle fait, ça me dépasse un peu. Je trouve ça bizarre. Je ne veux pas critiquer son art, c’est certainement très bien, mais de mon point de vue ça ne ressemble à rien ! Pour exemple, la dernière fois qu’elle m'a montré en avant-première une de ses toiles, elle était euphorique et super fière de son travail. Moi, j’étais nettement moins exaltée et avec une moue de dépit, je lui ai dit « C'est Pipoune qui a vomi sur ta toile ? Hein, c'est ça ? ».
C’est clair, ma réflexion lui est restée en travers de la gorge. Elle l’a extrèmement mal pris. Elle ne m'a plus adressé la parole pendant deux semaines. Oui, Vic est rancunière et ne supporte pas qu’on dise quoi que ce soit de négatif sur sa peinture. Enfin, même si on a des goûts différents, je suis bien contente de l’avoir comme frangine et tutrice. Sans elle, à l’heure qu’il est, je serais sûrement dans une famille d’accueil.
— Elely ! Attends !
Une voix me tire de mes pensées. Je me retourne et je vois courir vers moi une blonde avec des lunettes noires. C'est Aline ! Elle est dans ma classe. C'est une fille studieuse et super gentille, mais assez réservée. Elle n’est pas très bavarde, sauf avec moi à qui elle parle et se confie facilement. C’est une chouette fille. Elle me fait confiance et j’aime bien ça.
— Salut Aline ! Pas la peine de te presser. On est en avance !
— Oui... je sais... dit-elle essoufflée, Je ne voulais pas t’appeler dans la rue. C’est pour ça que je me suis dépêchée pour te rattraper !
L’explication d’Aline ne m'étonne pas. Cette fille est tellement discrète qu’elle préférerait se faire écraser par un troupeau d’éléphants que de demander de l’aide à des inconnus ou déranger les gens d’une manière ou d’une autre. À cause de nos masques qu'on ne doit pas retirer, nous ne pouvons pas nous faire la bise. Nous nous serrons la main, puis continuons le chemin ensemble en partageant des anecdotes sur Pipoune. Mon chat est le sujet de conversation favori d’Aline. Il faut dire que ses parents sont allergiques aux poils d’animaux. Il lui est interdit d’en avoir un chez elle. Pour cette raison, mon minou la fascine. Elle ne tarit pas d’éloges sur lui et m’en parle comme s’il était la cinquième merveille du monde.
Quelques minutes plus tard, nous sommes devant le lycée « Grands espoirs ». Je trouve ce nom ridicule, mais la Commune l’a approuvé lorsque le maire a déclaré qu’il fondait de grands espoirs dans les élèves de sa ville. Il y a une file d'attente à l'entrée de l’école. Je me place derrière Aline et il ne me faut pas plus d'une minute pour arriver devant l'agent de sécurité qui vérifie si je suis en ordre. Celui-ci n’est pas chargé de regarder s’il y a une arme ou tout autre objet proscrit dans mon sac. Non, chaque matin, il est tenu d’inspecter mon état de santé selon des points tests révélateurs listés par le lycée afin de déterminer si j’ai contracté le virus ANDROMEDE entre hier et aujourd’hui. Chaque élève et chaque professeur ont tous l’obligation de se soumettre à ce contrôle avant de pénétrer dans l’enceinte de l’établissement. L’examen est rapide. À l’aide d’une lampe torche dont il pointe le faisceau lumineux dans mes yeux, le vigile expérimenté regarde dans mes orbites s’il y a ou non présence de taches bleues. Ces petites maculas sont le premier symptôme d’une personne contaminée. Cinq secondes lui suffisent pour étudier mes pupilles et mon blanc d’œil, et constater que je vais bien. Il m’autorise à passer et je rejoins Aline qui discutent avec Jodie et Nathan, deux de mes meilleurs amis. Je tends la main à Jodie pour lui dire bonjour quand elle pousse un cri qui fait se retourner l’agent de sécurité et tous les élèves dans les parages. C’est la honte ! Aussitôt, Nathan serre Jodie sous son biceps et, d’une voix gênée, il rassure les dizaines de personnes qui nous regardent curieusement :
— C'est bon, tout va bien. Elle n'a consommé aucune substance, je vous le certifie. Tout est normal. Excusez-là.
La réaction de Jodie me laisse pantoise. Je me demande ce qui lui a pris d’hurler de la sorte. J'adresse un sourire confus aux gens autour de nous qui se détournent et reprennent leurs activités.
— Ça va pas de crier comme ça ? s'emporte Nathan en s'adressant à Jodie sans la lâcher.
— Mais tu comprends pas, le concert de Liam Turner c'est ce soir !! Li-am Tur-ner ! répond-elle en détachant les syllabes, Et on y va avec Elely ! J’ai trop hâte ! Ça sera le plus beau jour de ma vie !
D’accord. C’est clair maintenant. Je comprends la raison de cette hystérie en me voyant. Jodie est incontrôlable lorsqu’il s’agit de Liam Turner. Elle est raide dingue amoureuse de ce chanteur gay de vingt sept ans. Dix ans de plus qu’elle ! Un vieux ! Mais de ça, elle s’en fiche. Pour elle, Liam Turner est l’homme parfait. Elle raconte même que c’est l’homme de sa vie. Je me dis que ce soir, au concert de son idole, elle risque de m’exploser les tympans à lui crier sa passion depuis la fosse. Je me plains déjà. J'ai accepté de l'accompagner juste parce que j'aime bien le groupe prévu en première partie et qu’elle ne voulait pas s’y rendre seule, mais j’appréhende de me retrouver au milieu des fans de Liam Turner qui vont reprendre une après l’autre toutes ses chansons et me casser les oreilles avec leurs voix d’adolescents surexcités.
Jodie a de la chance que je l’apprécie. D’ordinaire, je ne suis pas du genre à rendre service. Je préfère mille fois m’occuper de moi que des autres. Non pas que je sois égoïste, mais la vie m’a souvent montré que je ne devais pas trop m'attacher ni être trop gentille. J’ai été souvent de fois déçue, alors maintenant je me préserve et je ne me donne plus sans compter. Jodie, elle, est tout le contraire de moi. C’est une fille hyper sociable. Elle se lie d'amitié rapidement. Au lycée, elle est estimée de beaucoup. Pour ne rien gâcher, elle a un physique avantageux qui lui permet d’avoir un statut de « fille cool ». Mais de cette étiquette ardemment recherchée par la plupart, Jodie n’en a que faire.
Nathan, lui, n'a rien d'exceptionnel. C'est un garçon cool au physique banal. Sa seule particularité, c’est qu’il fait partie du club d’arts martiaux et que, bien qu’il soit mince, il arrive à mettre au tapis pas mal d'adversaires plus costauds que lui. Nathan n’a d’yeux que pour Jodie. Il l’admire et la suit comme son ombre. Il est fou d’elle. Secrètement, il espère qu’un jour elle s’apercevra qu’il lui est indispensable et succombera à son charme. Malheureusement pour lui, Nathan n’est pas Liam Turner. Il n’a même rien à voir avec ce beau gosse à la voix de velours et Jody n’a aucune espèce d’attirance pour celui qu’elle considère uniquement comme un bon pote.
— Toi aussi tu trépignes d'impatience, El ? me demande Jodie.
Je ne suis pas là pour dégonfler l’enthousiasme de ma copine ou la vexer en lui disant ce que je pense vraiment de cette soirée. J’arrange un peu la vérité, histoire de lui faire plaisir :
— Heu, trépigner n’est pas exactement le terme que j'emploierai, mais disons que, ouais... ça risque d’être sympa.
La cloche sonne pour signaler l’heure de début des cours. Tous les quatre, nous nous dirigeons vers notre salle de classe où nous sommes accueillis par madame Nabine, le professeur de biologie. Elle aussi porte un masque. Seulement, le sien est bien plus sophistiqué que le nôtre. Elle a certainement dû le payer une fortune. Je m'installe à ma place habituelle à coté de Jodie. Elle m’agace. Elle est toujours enflammée à l'idée de voir son idole dans quelques heures.
— Je suis tellement excitée ! Rien ne pourra m’enlever ma joie ! Pas envie de redescendre sur terre ! Ah ça non !
— BAM ! fait le bruit d'un livre posé brusquement sur la table.
Madame Nabine se tient face à la classe. Droite comme un piquet, ses petits yeux marron derrière ses lunettes pointues, elle observe les élèves avant de tirer sur les manches de son tailleur.
— Aujourd'hui, nous avons une visite spéciale ! s’exclame-t-elle. Deux personnes du Gouvernement vont venir nous faire part d'informations importantes ! Il faudra être attentif à ce qu’ils diront !
Dans la salle de classe, monte un murmure. Tous les élèves se demandent pourquoi des gens du Gouvernement font le déplacement jusqu’ici. Je réfléchis et je me dis qu’ils sont peut-être chargés de transmettre des informations d’ordre général à tous les établissements scolaires, ou bien qu’ils vont nous expliquer le rôle du Gouvernement, ou bien encore, et là ce serait fantastique, ils vont nous apprendre qu’un remède pour lutter contre ANDROMEDE vient d’être découvert. Qui sait ? Je me mets à rêver de la dernière option.
— Silence ! hurle madame Nabine.
Face à tant de fermeté, tout le monde fait silence. Soudain, la porte s'ouvre et le proviseur précède deux hommes qui s’introduisent dans la salle de cours. Costumes noirs et masques qui leur recouvrent quasi entièrement le visage, ils sont impressionnants. L'un est beaucoup plus grand que l'autre. Il le dépasse d’au moins deux têtes. Le masque de madame Nabine qui est pourtant beaucoup plus grand que ceux que portent les élèves, paraît ridiculement petit et basique comparé aux leurs. La vision de ces hommes élégants dont on entrevoit seulement les yeux derrière une minuscule fenêtre de quelques centimètres, est assez drôle. Ils sont ridiculement dissimulés quand nous n’avons que de simples masques. De quoi ont-ils peur ? Qu’on les contamine ? Même si je suis nerveuse et que j’ai envie de rire, je me contrôle et j’attends de savoir ce qu’ils veulent.
Le proviseur nous les présente comme étant les agents du Gouvernement — ce que nous avions tous deviné à la seconde où ils étaient entrés — puis se positionne derrière eux, tout à côté de l’enseignante qui semble mal-à-l’aise. Je suis pressée d’écouter ce qu’ils ont à dire tout en se demandant si on va pouvoir les entendre nous parler avec cette cagoule épaisse qui comprime leurs lèvres, mais les secondes passent et ils restent muets. Leur comportement nous déroute. Nous attendons sagement sans oser faire le moindre mouvement. Dans la salle de classe, l’atmosphère est lourde. La tension est palpable. Je ne comprends pas ce qui passe. Je commence à stresser. Je m’inquiète quand madame Nabine rompt le silence sur un ton hésitant :
— Heu... je vous présente Monsieur Snoutch et Monsieur Quimpar. Ils sont venus vous demander quelque chose...
Après cette introduction, le plus grand des deux hommes s'éclaircit la gorge et s’adresse à nous d’une voix monocorde :
— C'est exact. Monsieur Quimpar et moi-même sommes envoyés par le Département de recherche des maladies infectieuses pour recruter des volontaires désireux de faire avancer la science.
Personne ne bouge ni ne dit mot. Je suis stupéfaite. Cet homme est missionné pour trouver des cobayes ?
— Ce que mon collègue veut dire, ajoute le deuxième homme, c'est que nous cherchons des individus âgés de 16 à 18 ans pour tester des molécules contre le virus ANDROMEDE. Tous les moyens sont mis en œuvre pour contrer cette maladie, mais nous avons besoin de vous, de votre ADN, de vos cellules, de tout ce qui vous compose en tant qu’être humains et vous maintient en vie.
C'est bien ce que je pensais. Ils veulent qu’on soit des rats de laboratoire au nom de l’avancement de la science. La terre s’ouvre sous mes pieds. Ainsi, nous en sommes arrivés à ce stade ! Je suis abasourdie ! L’urgence sanitaire est telle que le Gouvernement sollicite sa jeunesse pour qu’elle se sacrifie dans l’espoir d’éradiquer ANDROMEDE. Quelle situation terrible ! Voilà qu’on nous demande de mourir pour les autres. J’ai une chape de plomb qui tombe sur mes épaules et je suppose que le reste des élèves est dans la même condition que moi. Se livrer pour que la contamination cesse et que la population puisse de nouveau vivre sans risquer d’être tuée par cette saleté de virus, perturbe ma conscience.
— Excusez-moi ? demande Nathan avec audace. Vous croyez vraiment que l'un d'entre nous va accepter de mourir pour la science ?
— Il n’est pas question de vous faire mourir, rassure monsieur Quimpar. Il s’agit de faire un clone de vous qui subira les essais à votre place. Nous sommes actuellement en capacité de créer des copies de chaque individu à partir de son génome. C’est donc votre double qui supportera les traitements expérimentaux, pas vous. C’est sur lui que nous ferons nos tests et c'est lui qui ingérera ce qui doit l’être.
Des clones ? J’en suis baba. Mille questions traversent mon esprit. Ma première interrogation est de savoir si le clone sera notre copie conforme en tous points. J’ai besoin de précision avant de prendre une décision. Je lève le doigt avant d’intervenir. D’un hochement de tête, madame Nabine m’autorise à parler.
— C’est excitant et effrayant de savoir qu’on peut avoir un double de nous-mêmes, je dis en fixant monsieur Snouch, mais pourriez-vous m’expliquer comment il sera, comment il réagira. Est-ce qu’un clone de moi aura une intelligence identique à la mienne ? Est-ce qu’il aimera les mêmes choses que moi ?
— Le procédé de doublement est récent, c’est pourquoi cette proposition vous est faite maintenant. Les plus grands scientifiques travaillent sur le clonage thérapeutique depuis des années. Rien n’a été laissé au hasard. Tout a été calculé et encadré pour que ces copies soient physiquement, mentalement et émotionnellement semblables à leur source originale. Cependant, nous n’avons pas le recul nécessaire pour savoir s’ils seront exactement pareils à vous dans le temps et selon l’environnement où ils évolueront. Il se peut qu’il y ait quelques discordances entre le clone et l’original, mais ce ne sera que de l’ordre du détail. Rien de bien méchant.
Ainsi donc, ils ont trouvé le moyen d’avoir des cobayes humains pour remplacer les animaux et obtenir des traitements plus efficaces. Copier un homme à l’identique me semble irréel. N’est-ce pas dangereux ?
— Mais il y aura toujours des défauts, je rajoute en haussant les épaules. C'est impossible d’avoir des clones exactement semblables à nous ! Ça veut dire que les résultats obtenus sur les clones suite aux traitements qu’on leur aura donnés, pourront variés d’un clone à l’autre. La preuve, dans un même groupe de personnes qui prend le même traitement, il y en a qui développent des symptômes indésirables !
Monsieur Quimpar pousse un soupir. Il semble exaspéré par ce que je prétends.
— N’ayez crainte jeune demoiselle, m’informe-t-il. Ces clones seront parfaits ! Ils seront conçus de manière à être identique au « Sujet A » ! Et le « Sujet A » ce sera vous. Et quand je dis vous je parle de vous tous ici présent et de tous les Hommes en général.
— Et si nous acceptons de vous aider, qu’est-ce qui va se passer ?
— Eh bien, vous serez placés dans une coque étanche et stérile qui analysera chacune de vos cellules, copiera votre ADN et tout ce qui vous compose. Avec ces données, nous pourrons vous reproduire aisément. Vous deviendrez alors le « Sujet A » et votre clone sera baptisé « Sujet B ». Après ça, nous vous dédommagerons en conséquence de votre participation et vous laisserons repartir chez vous en toute quiétude. Ce sera alors avec le « Sujet B » que se feront les échanges. Est-ce compréhensible ?
— Heu... oui... je crois...
Ça pour comprendre, j’ai compris. J’ai beau balbutier, j’ai bien saisi leurs propos. Et c’est d’ailleurs ce qui me fait perdre mes mots. Des clones ? Nous voilà donc entrés dans une nouvelle ère ! Je n’en reviens pas. Les élèves que je peux voir sont dans le même état que moi. Ils ont tous un visage blême et les yeux ahuris.
— Bien ! s'exclame madame Nabine qui s’avance sur le devant. Nous allons vous faire remplir une fiche sur laquelle vous notifierez si vous souhaitez tenter l’expérience ou non. Aline, si tu veux bien les distribuer ?
— Heu... oui madame... .
Ma copine se lève doucement. Tout le monde la regarde. Elle est rouge pivoine et tremble sur ses jambes. À petits pas délicats, elle va distribuer les fiches à chaque élève et je suis la première servie. Je prends connaissance du contenu de la fiche. Il y a d'abord un long paragraphe truffé de termes scientifiques où sont repris les renseignements qu’on a déjà reçus. À la toute fin, il y a le passage qui concerne l'inscription. Consciencieusement, j’écris mon nom et mon prénom : Elely Bradbury. À la suite, j’inscris mon âge : 17 ans, je remplis les cases à propos de ma personnalité, puis j’arrive à la phrase fatidique : « Acceptez vous de devenir un Sujet de test A ? » « Oui » « Non ».
J’hésite. Je ne sais pas quoi répondre. J’ai peur de faire le mauvais choix et de le regretter jusqu’à la fin de mes jours. D’un coup d’œil oblique, j’essaie de voir ce qu’ont inscrit mes voisins, mais je ne vois rien. Tous cachent soigneusement leurs réponses. Je doute, je me questionne, j’ai des sueurs froides et je frissonne. Aline a elle aussi fait un rempart avec son bras pour me dissimuler ce qu’elle écrit.
Je suis curieuse de nature, et l’idée d’avoir un double m’intéresse beaucoup. Et puis, participer à l’éradication d’une maladie qui tue chaque jour des quantités de personnes, me plaît bien. Il se pourrait que je sois victime d’ANDROMEDE aujourd’hui, demain ou dans un futur proche... L’occasion m’est donnée d’empêcher ce malheur, de me sauver d’une mort certaine et de le faire aussi pour Vic. Je ne veux pas que ma sœur meurt brutalement, ni même mes bons amis. J’ai le cœur qui bat la chamade. La paume humide, je coche la case « Oui », puis je note la date du jour. D’une écriture tremblante, je rajoute « Lu et approuvé », puis je signe tout en bas.
La cloche retentit. Monsieur Snouch et monsieur Quimpar nous remercient de les avoir écoutés. Ils espèrent nous avoir convaincus et laissent la parole à l’enseignante.
— Vous déposerez vos fiches sur mon bureau avant de quitter la salle, précise madame Nabine. De plus, pour ceux qui ont moins de dix-huit ans et auront répondu positivement à la demande du Gouvernement, sachez qu’il nous faudra aussi l’accord de vos parents ou de votre tuteur.
L'accord d'un tuteur ? Cela signifie que Vic va être mise au courant de ma décision. M’approuvera-t-elle ? Je ne le sais pas. Je sors dans le couloir, puis je me retourne. Les deux hommes du Gouvernement me fixent. Pourquoi me regardent-ils ainsi ? Probablement parce que c’est moi qui ai posé le plus de questions...
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