Prologue
The Whitwood Institute
Offrez à vos enfants un parcours d'excellence !
Pour seulement 200£ par trimestre, notre établissement leur offre depuis plus d'un siècle une équipe pédagogique composée des meilleurs professeurs du Royaume-Uni prêts à partager avec la nouvelle génération leur goût du savoir. De plus, les élèves auront à leur disposition un parc de plus de 25 hectares spécialement aménagé pour faciliter leur épanouissement...
Une tache sombre s'étendit sur la fin de la phrase, et le feu perça le papier du prospectus pour le dévorer avidement. Il souffla sur la flamme dansante de l'allumette et jeta le bâtonnet à moitié brûlé à ses pieds.
— ... ciel nuageux pour Newcastle, quelques averses en fin d'après-midi. Nous sommes le vendredi 5 septembre 1958 et vous écoutez la BBC !
Les mots inscrits à l'encre noire disparaissaient les uns après les autres, réduits en quelques cendres grises qui voletèrent sous la brise fraîche de fin d'été. Ses doigts ne relâchèrent leur prise sur le papier noirci qu'une fois que la chaleur brûlante qui irradiait des flammes orangées lui fut insupportable.
— À présent, chers auditeurs, écoutons une fois encore...
Un long grésillement étouffa la voix grave de l'animateur de radio. Ses pupilles se détachèrent finalement du prospectus détérioré qui agonisait à présent dans l'herbe verte encore humide de la rosée matinale, et il reporta son attention sur le poste transistor posé près de lui.
— Foutue camelote !
L'une de ses mains se posa sur le boîtier et tritura vainement les énormes boutons dans l'espoir de capter à nouveau les ondes de la station, mais avant qu'il n'ait le plaisir d'entendre quelques notes de musique, une petite toux sèche lui parvint depuis l'autre bout du jardin. Pas besoin de mots : James savait parfaitement ce que cela signifiait.
Il serait bientôt l’heure.
***
Les petits talons de ses bottines noires frappaient l'asphalte, résonnant dans la rue comme un gong à chacun de ses pas. Depuis qu’ils étaient descendus de la voiture, il n’avaient croisé personne, à l'exception de jeunes garçons à bicyclette qui remontaient péniblement la pente de la colline. À chaque fois que leurs roues se prenaient dans une flaque d'eau boueuse et aspergeaient le trottoir, cette femme d'une cinquantaine d'années aux boucles noires parfaitement coiffées laissait échapper quelques grognements agacés et resserrait son emprise sur le bras de son neveu.
Ils formaient tous les deux un couple saugrenu qui avait toujours attiré le regard des curieux : Helen Bown était une femme sèche et droite dont la silhouette maigre était encore allongée par son interminable manteau en laine beige. Une main recouverte d'un gant noir posée sur le foulard qui lui protégeait la gorge du vent et l'autre agrippée à la veste en cuir large et usée de James Anderson, le fils de sa sœur cadette décédée l'année précédente, elle marchait à petits pas pressés au milieu du trottoir. Le jeune homme, lui, traînait des pieds en grommelant comme si on le portait à l'abattoir. Vêtu de noir de la tête aux pieds, les cheveux graissés à la brillantine et coiffés dans une vaine imitation d'Elvis Presley, il semblait absurde de le voir bras dessus bras dessous avec une femme qui était son parfait opposé. Un sac se balançait sur son épaule droite et il tenait une large valise à bout de bras, mais sa tante ne semblait nullement se soucier du poids qu'il transportait et le priait constamment de presser le pas.
— Il est encore tôt, Helen, soupira James en dégageant brutalement son bras de l'emprise de madame Bown. Je suis certain que personne n'est encore arrivé, alors ça ne sert à rien que nous...
Sa voix s'éteignit d'elle-même lorsque le grillage en fer forgé de Whitwood entra dans son champ de vision. Unique entrée donnant sur un long sentier de terre bordé d'herbe, de buissons denses et d'arbustes, la rouille ocre qui le dévorait faisait presque tâche au sein de ce tableau de verdure.
— ... nous dépêchions, acheva James avant de brusquement tourner les talons, prêt à faire demi-tour.
— Oh non, mon garçon, gronda Helen en le saisissant par le coude pour s'engager avec lui sur le sentier, poussant le grillage grinçant du bout de ses doigts gantés. Cesse de faire l'enfant et suis-moi. Je crois que tu ne réalises pas la chance que tu as de pouvoir intégrer cet établissement.
— Je rayonne de bonheur, grommela James dans sa barbe, le pas traînant.
— Après ton renvoi du lycée, je doutais que tu puisses reprendre des études un jour. Mais je sais bien que tu es loin d'être sot, tu manques juste de... discipline. Et je compte sur cet internat pour te remettre dans le droit chemin.
Ils marchaient le long du sentier, perdus entre les arbres, humant l'odeur de la terre mouillée et de la végétation qui tranchait cruellement avec celle de l'essence et des relents d'égouts qui embaumait habituellement la ville dans laquelle James avait passé toute sa vie. En passant ce grillage rouillé, ils semblaient avoir pénétré dans un tout autre monde.
Bientôt, le toit pointu d'un bâtiment d'architecture victorienne apparut dans leur champ de vision. Ses tuiles en ardoises brillaient sous la lumière blanche qui perçait les nuages et se reflétait sur les hautes fenêtres rectangulaires. Au sommet de la plus haute tour, sous un clocher surmonté d'une petite croix en fer, James considéra longuement l'horloge aux chiffres romains qui indiquait sept heures et cinquante minutes. Lorsque cette grande aiguille pointue se poserait sur le douze, il deviendrait officiellement un élève de l'internat Whitwood.
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