Troubadour marchait dans les rues d'Ambert. C'était incroyable de voir une ville en si bon état. Toutes les maisons avaient été reconstruites, les petites et les grandes. Certaines pierres manquantes avaient été retaillées, ici pour refaire un linteau de porte, là une marche d'escalier. Les habitants d'Ambert avaient retrouvé la méthode pour fabriquer des tuiles et beaucoup de toits resplendissaient d'orange. Seules les fenêtres n'étaient pas au niveau de celles des anciens. Le verre ne ressortait pas parfaitement plane et regarder à travers revenait à voir flou.

Après avoir redemandé sa direction, Troubadour se dirigea vers une grande maison montrée du doigt par un passant. Sur une pancarte de bois verni, "Hôpital" s'inscrivait en lettres dorées. C'était la première fois que Troubadour voyait cette orthographe. Dans la papauté, on utilisait plutôt le terme Hospital, ou parfois Dispensaire. Il se dirigea vers le comptoir dans l'entrée.

Un brassard jaune lui indiqua une pièce au fond à droite. Cet ancien hôtel ne s'érigeait que sur quelques étages. En bout de couloir, il arriva dans une grande pièce qui alignait sur deux rangées une douzaine de lits individuels. Des paravents, plus ou moins déployés, distribuaient quelques îlots d'intimités aux malades.

Dès l'entrée, sur le premier lit à gauche, Camelia était déjà arrivée, discutant avec Jade. Assises côte à côte sur le lit, presque enlacées, elles parlaient par des murmures ponctués de quelques rires. Pas loin, une infirmière au brassard bleu changeait le pansement d'une femme blessée à la cuisse. Aucune des deux ne semblait offusquée par l'attitude sans ambiguïté des deux adolescentes. Heureusement qu'Esther n'était pas là.

- Salut les filles !

- Salut Troubadour, répondirent en chœur les verdoyantes.

Il continua vers le fond de la pièce. Arrivé au dernier lit sous la fenêtre, il accosta celui de Plume et l'embrassa sur le front.

- He le vieux bouc, tu peux garder ta salive pour des plus vieilles !

Sur la table de chevet de Plume reposait une liasse de feuilles typographiées. Reliées d'une couverture en tissu, on pouvait lire en lettres capitales : "Les droits et devoirs du citoyen du rail".

- Ah je vois que tu as eu droit à une version papier.

- L'infirmière me l'a donné en précisant bien que je devais le lire !

- Nous, avec tous les nouveaux résidents, ils nous ont amenés à une réunion d'information. C'était ce matin à l'Agora.

- C'est quoi la Gora ?

- L'Agora, en un seul mot, c'est là où ils se réunissent pour discuter et prendre des décisions.

- Ils l' appellent Agora car, pendant l'Antiquité, c'était la place où se réunissaient les citoyens d'Athènes pour discuter du fonctionnement de la cité, dit Lem arrivant avec son oiseau.

- Salut Lem, dit plume qui tendit la main en avant.

Le choucas se posa sur l'avant bras de Plume. L'oiseau regarda le paume, picora deux, trois fois pour vérifier qu'il n'y avait rien à manger puis remonta par quelques bons sur l'épaule de l'adolescente. Lem continuait de parler.

- C'est un fonctionnaire avec un brassard bleu qui nous a lu la constitution ce matin.

Il se redressa un peu, ferma les yeux et changea le timbre de sa voix.

- Article premier : La cité d'Ambert et sa région définie par le titre de République du rail est indivisible, laïque, démocratique et sociale. Article deux : Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens verdoyants sans distinction d'origine. Article trois : Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les verdoyants majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. Le vote est un droit mais aussi un devoir obligatoire ...

- Merci Lem, mais on va s'arrêter là. Il y plus de 60 articles ! dit Troubadour.

- Il y a des choses que je dois savoir ou il faut que je me tape toutes les pages de ce truc, dit Plume agrippant les feuilles sur sa table.

- Tu dois connaitre quelques trucs. Par exemple, tous les citoyens doivent un jour de travail par semaine à la cité. Certains sont brassards rouges affectés à la sécurité. Les brassards jaunes s'occupent des fonctions administratives. Puis il y a les brassards bleus pour la santé et l'éducation.

- Pourtant, j'ai vu un médecin. Il avait un brassard vert.

- Le vert, c'est pour les fonctionnaires. Ils travaillent pour la république. Ils coordonnent les activités de tous les brassards ou ils ont un poste de grand savoir. Pour eux, c'est l'inverse. Ils doivent un jour de la semaine aux citoyens. Souvent ils remplacent un ouvrier ou un agriculteur qui a mis le brassard. C'est comme ça qu'il appelle leur service pour la cité. Avec ce système, tout le monde participe à la vie de la république.

- Ça change du système jésuite. J'ai jamais vu un corbeau utiliser une pioche ou un marteau.

- C'est encore mieux. La république est découpée en quartiers. Et tous les ans, un citoyen par quartier est élu et un autre est tiré au sort. Ces binômes se réunissent un jour par semaine. L'assemblée ainsi constituée propose des lois.

- Certains sont tirés au sort ! Mais c'est absurde. Comment un boulanger ou un éleveur peuvent écrire une loi ? La plupart ne savent ni lire ni écrire.

- Ça ne fait pas d'eux des imbéciles ! Tous les verdoyants n'ont pas eu la chance de connaitre Mathusalem.

- Je préfère que les érudits s'en chargent. Je serais incapable de faire des lois.

- Tu préfères que ce soit des gens comme Sepulved qui écrivent les lois ? dit Troubadour.

Plume préféra changer de sujet.

- Je dois savoir autre chose ?

- Une fois la loi écrite par l'assemblée, elle est proposée à l'Agora. Lors d'une session spéciale, tous les citoyens viennent pour voter. Et si plus de 50% des citoyens votent pour, la loi est acceptée !

- C'est n'importe quoi. On laisse des gens qui n'y connaissent rien voter ! Ils feraient mieux de demander à faire partie de la papauté. De toute façon Sepulved ne se laissera pas faire.

- Ce n'est pas parce qu'ils sont plus faibles militairement que leur système est pourri. Leur République est encore jeune. Tu verras en sortant d'ici que leur méthode n'est pas si mauvaise .

- En tout cas merci pour le résumé. Je pourrai dire à l'infirmière que j'ai lu la constitution.

- Ah, j'allais oublier, les autres te font des bisous, dit Troubadour.

- Même Esther ? dit Plume ironique.

- Je n'ai pas vu Esther et Dominique depuis notre arrivée à Ambert.

- Ils ne sont pas avec vous ?

- Les non-verdoyants, les ternes comme ils disent, ne peuvent pas entrer dans la cité sans laisser-passer !

- Une de leurs supers lois, je suppose, dit Plume.