La malédiction
Ruby était revenue le lendemain et les jours suivants, pour demander de la nourriture facile au début, et puis enfin pour la compagnie de l’homme. Elle aimait l’entendre parler, elle comprenait de plus en plus de mots et sa voix était douce et mélodieuse. Il n’avait pas eu une vie facile mais malgré tout il était resté positif et cela emplissait la renarde de respect pour lui.
Au bout de deux mois, l’hiver commençait à pointer le bout de son nez, l’air était plus froid, les arbres étaient entièrement nus. Ruby se rendit compte qu’elle pensait beaucoup trop à l’humain, elle devenait de plus en plus dépendante de lui et ne quittait plus guère son territoire et cela l’effraya. En effet il était connu que les Kumiho transformaient leur amant ou les menait à leur perte.
Ruby décida d’espacer ses visites à la cabane mais l’homme c’était, lui aussi, attaché à elle. Quand elle ne vint pas ce jour-là, il se perdit en partant à sa recherche dans les bois à la nuit tombante. Ruby avait essayé de lui montrer le bon chemin dans le noir, mais elle n’avait réussi qu’à l’effrayer et le faire tomber dans le lit d’une rivière asséchée. Sa tête avait alors heurté une pierre dans un horrible craquement et il avait perdu conscience. La renarde avait longtemps pleuré, allongée sur sa large poitrine qui bougeait à peine sous elle, puis elle avait prié ses ancêtres d’épargner la vie de cet homme, elle avait supplié sa grand-mère de lui donner le pouvoir de le sauver.
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À son réveil, Ruby se promis de ne plus jamais le quitter, ses ancêtres avaient entendu sa prière. Ils l’avaient maudit avec elle, ils étaient maintenant liés pour toujours. Alors qu’elle se tenait encore allongée sur son torse, l’homme observait l’étendue de ses blessures. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’elles allaient bientôt disparaitre et alors, comment réagirait-il ? La chasserait-il en la traitant de sorcière, comme l’avait fait son grand-père ? L’abandonnerait-il, dégouté d’elle ?
L’homme lui sourit alors et lui parla gentiment en la caressant, la situation n’était pas si désespérée finalement.
- Vite, lèves toi, je vais te ramener à la maison ! essaya-t-elle de lui dire.
Mais bien sûr il ne comprenait rien à son langage et il se dirigea vers le chemin le plus abrupte. Ruby le tira alors vers le lac, c’était le chemin le plus facile et il pourrait même se nettoyer là-bas. Pourquoi ne le voyait-il pas ?
Léon la suivit docilement tandis qu’elle ouvrait la route, la queue dressée comme un étendard de ralliement. Soudain elle se jeta dans un fourré, il y avait des gens autour du lac à cette heure-ci, elle n’y avait pas pensé. Mais c’était trop tard pour rebrousser chemin, Léon avait déjà attiré l’attention sur son état.
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Elle l’observa alors s’assoupir sur un banc pendant que d’autres humains parlaient entre eux en le regardant.
- Mon Dieu, mais ce n’est pas l’ermite qui vit en bordure de forêt ?
- Oui c’est lui, il a dû finir par devenir fou à vivre tout seul.
- Quel gâchis… tu crois qu’il est ivre ?
- Surement, et il a dû tomber, parce que vu sa taille, je n’irai pas lui demander son portefeuille, moi.
Bientôt une grosse charrette sans chevaux arriva près du lac, il émanait d’elle une lueur bleue qui s’allumait par saccades. Des personnes en sortir et s’approchèrent de Léon. Ruby sentit son anxiété augmenter, son cœur s’accélérait et bientôt il allait se transformer, il fallait faire quelque chose.
Mais Léon accourait déjà vers elle, il la dépassa, la respiration laborieuse. Il se laissa tomber un peu plus loin contre un arbre, la renarde essaya de le motiver à continuer, il leur fallait fuir, mais l’homme s’écrasa sur le sol en la serrant contre lui et reperdit connaissance. A son réveil, Ruby compris qu’il se rendait enfin compte du changement de la malédiction, c’était maintenant le moment de vérité.
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