Patrick Druivert
Patrick Druivert faisait les cent pas devant son équipe. L’horloge qui pendant au mur faisait un boucan du tonnerre, chaque tic scandant la cadence en trois temps sur quatre que ses souliers marquaient bruyamment. Finalement, sans que rien ne l’annonce, il prit le parti de parler :
- Bien, messieurs, madame, nous avons un code sept. C’est un fait, c’est ainsi. Vous avez pris connaissance du dossier ? Tant pis, vous le feuillèterez dans le jet qui vous conduira au Caire. Sur cette mission, vous avez trois mots d’ordre : efficacité, vitesse et discrétion ! C’est compris ?
- Oui, monsieur le Directeur !
Patrick sourit intérieurement devant l’ensemble parfait de ses agents. Ils étaient réglés comme une horloge, huilés au millimètre, entraînés au cheveu près. Cela n’avait aucun sens, mais il aimait bien l’idée que ces mots n’exprimaient pas : le faire paraître intelligent et avec trois TGV d’avance sur tout le monde, car personne ne se croyait assez vif pour percevoir la signification de ce qu’il disait. D’ailleurs, tout le monde reprenait ses mots à tort et à travers – preuve que personne ne comprenait, mais pensait impressionner avec. Bref, Patrick était un homme intelligent avec modération ; assez, quand même pour se trouver au poste qu’il occupait aujourd’hui. Charismatique par ailleurs, nul n’osait discuter ses ordres, même quand lui-même doutait de leur bien fondé. Ce qui était précisément le cas.
- Je veux un contact radio avec chacun d’entre vous en permanence ! Un individu vous paraît suspect ? Vous me donnez son nom ! Une voiture vous frôle d’un peu trop près ? Je veux sa plaque ! Un aveugle se balade sans canne ? Photo illico ! C’est clair ? Une mouche ne doit pas pouvoir pisser sans que j’en sois informé !
- Oui, monsieur le Directeur !
Patrick regarda le cadran de sa montre, appuyant ce geste pendant trois longues secondes de silence ; il savait que cette attitude faisait forte impression sur les agents. Levant les yeux sans bouger la tête, il dévisagea chacun des cinq membres de l’équipe.
- Vous êtes encore là ? L’avion décolle dans dix minutes.
- Oui, monsieur le Directeur !
Les agents spéciaux disparurent aussitôt au petit trot.
- Merci Hélène, je vais rester un peu plus tard ce soir, je pense qu’il va y avoir beaucoup de travail. Vous voudrez bien laisser la machine à café en marche avant de partir ?
- Bien sûr, monsieur le Directeur. Hum… Pour la liaison radio avec les agents, je laisse la connexion ouverte dans les deux sens ?
- Non, juste en réception. Je déclencherai l’émission au besoin. N’oubliez pas de signaler au capitaine Dutronc qu’ils sont tous sous ma direction personnelle depuis quatorze heures. Je ne veux aucune émission parasite vers eux, c’est clair ?
- Même vers l’agent spécial Triskèle ? C’est qu’il devrait bientôt être papa et que…
- Aucune. Communication. C’est clair ?
- Oui, monsieur le Directeur.
Patrick attendit qu’Hélène disparaisse – cette fausse secrétaire qui était en fait un redoutable agent spécial et, accessoirement, son garde du corps personnel – puis il se laissa tomber dans son fauteuil. Il ne savait pas qui était l’hurluberlu qui décidait des noms de codes des agents, mais il en tenait une couche ! Le temps d’apprendre à orthographier les noms correctement, la mission était obsolète ! Bon, la paternité à venir du second de la patrouille n’aidait pas, mais tant pis. On s’engage en connaissance de cause, ce n’est pas un camp de vacances ici !
Le dossier de l’agent était d’ailleurs irréprochable sur ce plan : hospitalisation de sa mère suite à un accident de voiture, il était en mission au Congo ; AVC et funérailles de son grand-père, escorte VIP d’un président de la République en Ouzbékistan ; il avait même participé à son propre mariage par procuration (soulèvement discret des populations des îles Andaman). Rien à redire sur les autres non plus. Une équipe de fins stratèges, meilleurs résultats en mission et en théorie sur les sept dernières années consécutives, un petit bémol pour l’agent Ayyavazhi (bon sang, mais ces noms de code !), qui avait posé six jours de congés pour sa lune de miel trois ans auparavant. Bref, on ne pouvait souhaiter mieux pour une mission ou l’humanité était en jeu ! Et un peu le reste du monde vivant, quand même.
Les dix minutes étaient écoulées : le jet venait de décoller. Comme il commençait à s’ennuyer dans son bureau, monsieur Druivert décida de leur mettre un petit coup de pression, aux champions ; c’était une mission importante, Tudieu ! Le directeur actionna le petit bouton qui permettait d’émettre sur la ligne prioritaire pour les cas comme celui-ci. Il se trouvait directement en contact avec les cinq meilleurs agents de l’organisme, c’est-y pas mignon la technologie ?
- Agent Triskèle, où en êtes-vous ?
- Le jet est en panne, monsieur le Directeur, nous allons prendre le Millenium Falcon 1907 en urgence. Il sera prêt dans cinq minutes. Nous sommes déjà embarqués à bord avec notre équipement.
Patrick commuta aussitôt sur la ligne privée de sa secrétaire qui n’en est pas une :
- Hélène, qui est l’imbécile en charge de la maintenance ? Je le veux dans mon bureau dans deux minutes chrono !
Patrick se planta devant la baie vitrée en triple vitrage anti-feu de son bureau. De là, il voyait la piste où l’Antonov An-71 couleur sable, baptisé le Millenium Falcon 1907 (mais ces noms, bon sang !), commençait à faire tourner les moteurs. À côté, une armada de mécanos inspectait le Force Mustang défectueux. Ce jet fonctionnait à merveille la veille encore. Quelque chose clochait. Quelque chose de très louche. Monsieur le Directeur sentait une odeur de pourriture dans cette affaire, et son flair ne le trompait jamais. Y aurait-il une taupe dans les rangs ?
Patrick Druivert sourit. Enfin un peu d’action !
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Chapitre écrit par - Kyllyn' -
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